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Joséphine Baker, mé(ga)lomane au grand cœur

Pour certains, Joséphine Baker est cette star parisienne d’origine américaine qui divertissait les troupes françaises à Casablanca en 1944. Pour d'autres, c'est une altruiste excentrique qui a adopté douze enfants, tous d'origine différente. Mais une chose est sûre : Josephine Baker, qui s’est éteinte à Paris il y a 40 ans, c'est la folie des grandeurs.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Joséphine Baker, photographiée dans les années 20. (AFP -  CULVER PICTURES - THE ART ARCHIVE - THE PICTURE DESK)

Joséphine Baker est associée au Charleston, aux Folies Bergère et au Casino de Paris. Mais au-delà de la danse et du chant, qui se cache derrière cette fascinante personnalité ?
 
Elle a grandi dans l'extrême pauvreté d'un bidonville de Saint-Louis dans le Missouri, aux Etats-Unis. Toute petite, l’enfant métis, d’origine afro-américaine et amérindienne, travaille comme domestique chez des propriétaires blancs. Pour survivre, elle revend du charbon ramassé sur les voies ferrées. Mais elle évolue aussi dans un milieu artistique, puisque ses deux parents sont des danseurs-nés. Elle arrive en France en 1925 avec la troupe de la Revue nègre. Elle a alors 19 ans. Et va gérer comme elle peut sa célébrité naissante. Par la suite, un tantinet mythomane, elle s'inventera plusieurs vies.

La Banana Dance de Joséphine Baker 
 
Baker l'inclassable
Mariée à 14 ans, divorcée quatre ou cinq fois, bisexuelle, libertaire, Joséphine ne rentre décidément pas dans les cases. Elle est de confession baptiste. Mais se serait convertie au judaïsme pour se marier avec Jean Lion, un «courtier en sucre, riche et mondain».

Naïve, elle provoquera plusieurs incidents diplomatiques. Notamment quand elle soutient publiquement Mussolini lors de l'invasion de l'Ethiopie (1936). Elle déclare que l'empereur d'Ethiopie, Haïlé Sélassié, un Noir, est… «un ennemi de la race noire».
 
En 1963, lorsque Martin Luther King prononce son célèbre discours I have a dream, qui eut un écho international et fut le point d'orgue du Mouvement des droits civiques, Josephine décrète qu'elle «aurait pu faire mieux que lui»
 
Trop blanche et trop noire à la fois
Plus blanche que ses frères et sœurs, elle est considérée par sa mère comme «laide» car trop blanche. Pourtant, sa tante et sa grand-mère l'aiment particulièrement, car, justement «pas trop noire». De même, le public parisien qui l'accueillera dans les années 20, la trouve tantôt trop noire tantôt «pas assez authentique», donc trop pâle à leur goût.
 
En 1954, lorsqu'elle tente d'adopter un enfant en Colombie, on lui explique que les Blancs ont la réputation, selon une malédiction locale, de boire le sang des bébés colombiens. Joséphine est stupéfaite d'être considérée comme une Blanche et d'avoir à en pâtir. 
 
Mais Joséphine sait s'adapter et tirer parti de sa couleur de peau. A son arrivée à Paris en 1924, à l'âge de 19 ans, elle comprend vite que les Parisiens veulent voir en elle une «négresse» sauvage. Elle joue alors de cette image pour plaire, et n'hésite pas au fil des années, à se poudrer le visage pour paraître tantôt plus claire, tantôt plus noire, en fonction de la mode et des attentes du public parisien.
 
Un Noël chez Joséphine Baker

La tribu arc-en-ciel
Apparemment dans l'incapacité de faire un enfant, peut-être à cause d’un avortement présumé à l'âge de 14 ans, Joséphine Baker décide d'adopter un enfant de chaque confession. Une excentricité qui reflète à la fois son caractère capricieux et sa grandeur d'âme. Pour l’artiste, cette «tribu arc-en-ciel», comme elle aimait à l'appeler, était la preuve que les humains peuvent cohabiter, peu importe leur couleur de peau ou leur religion.
 
Joséphine Baker se met à parcourir le monde. En 1954, elle adopte deux petits Japonais dans un orphelinat de Tokyo : Akio et Tenuya, alias Janot. Ultérieurement, Jari, le petit Finlandais, Moïse l'Israélien, Brahim l'Arabe, Mara le Vénézuélien, Marianne et Noël les catholiques… rejoindront sa «tribu arc-en-ciel».
 
A la stupéfaction de l’artiste, Moïse déclara un jour à Jean-Claude, un Noir, que les Noirs étaient «fainéants» et «bons à rien». Elle se rendit alors compte à ce moment-là que ses enfants, qu'elle n'avait ni élevés ni éduqués, n'étaient pas à l'image des idéaux qu'elle revendiquait.

Visite dans le château de Joséphine Baker

Héroïne de la résistance
Dans une tribune du Monde datant de 2014, l'écrivain Régis Debray en a surpris plus d'un en se positionnant pour la «panthéonisation» de Joséphine Baker. Et pourtant, la star n'est pas seulement une meneuse de revue dénudée et excentrique. Décorée de la Croix de guerre et de la médaille de la Résistance, fan inconditionnelle du général de Gaulle, Joséphine a, à sa manière, joué un rôle dans la libération de la France.
 
En 1939, lorsque la guerre éclate, Joséphine est hospitalisée pour surmenage. Malgré tout, elle s'improvise espionne et utilise la clinique où elle séjourne comme lieu d'échange de documents secrets. Rétablie, elle organise des concerts pour réunir de l’argent au profit de l’armée française, puis s’engage pour la Croix-Rouge. Elle part ensuite pour l’Afrique du Nord.
 
Quitte à exagérer son rôle ? «Elle revint en France plus française que Louis XVI», raillait Alain Romains, un musicien engagé auprès des FFL (forces françaises libres) ayant reçu la légion d'honneur.
 
Combat contre la ségrégation américaine
Après des années passées à Paris, Joséphine Baker revient en 1951 aux Etats-Unis pour une tournée. Elle est indignée par la ségrégation raciale qui y règne. La lutte pour l'égalité va alors devenir son nouveau cheval de bataille. Elle impose ses conditions pour ses spectacles. Elle refuse de loger dans des hôtels où la ségrégation est pratiquée, à savoir presque tous, et impose aux théâtres qui l'accueillent que son public soit blanc et noir. Quitte à perdre de gros contrats.
 
Dans certains commerces, des panneaux indiquent «Interdit aux chiens, aux juifs et aux nègres», écrit Marcel Sauvage dans sa biographie de la danseuse. Son producteur de l'époque, Jack Jordan, se souvient : «Elle allait dans les bars réservés aux Blancs. On la jetait à coups de pied au cul, mais elle revenait à la charge comme si de rien n'était.» Dans un restaurant californien, elle procèdera elle-même, comme la loi l'autorise en Californie, à l'arrestation d'un homme ayant proféré des propos ouvertement racistes. Dans les années 60, elle se rallie aux manifestations aux côtés d'artistes comme Bob Dylan, Joan Baëz avec le NAACP (National Association for the Advancement of Colored People).
 
Menacée par le Ku Klux Klan, critiquée au sein de son propre camp, Joséphine n'arrêtera jamais ce combat contre le racisme. Elle s’éteint à Paris à l’âge de 68 ans. Au lendemain d’un spectacle à Bobino destiné à célébrer ses (presque) 50 ans de carrière sur scène. 

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