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Affaire des sous-marins : les propos de Joe Biden sont "très forts" mais "il reste à passer aux travaux pratiques", affirme un spécialiste

"Dire qu'on a été 'maladroits', c'est quand même un terme très fort dans le langage diplomatique", analyse le professeur émérite à SciencesPo Bertrand Badie, ce samedi sur franceinfo. 

Article rédigé par franceinfo
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Le président français Emmanuel Macron (à droite) et le président américain Joe Biden (à gauche) se rencontrent à l'ambassade de France au Vatican, à Rome, le 29 octobre 2021. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Les propos de Joe Biden sont "très forts" mais "il reste à passer aux travaux pratiques et là on n'a aucun élément", analyse le professeur émérite à SciencesPo Bertrand Badie samedi 30 octobre sur franceinfo, après que Joe Biden a reconnu que les États-Unis avaient été "maladroits" dans l'affaire du contrat des sous-marins français rompu par l'Australie. Les présidents américain et français se sont rencontrés vendredi, à la veille du G20, ce week-end à Rome.

franceinfo : Pensez-vous que les propos de Joe Biden sont sincères ou qu'ils sont seulement pour la forme ?

Bertrand Badie : Si c'est seulement pour la forme, c'est une forme quand même assez épaisse. Les mots qui ont été employés ne sont pas ordinaires dans le langage diplomatique et surtout dans le langage d'une superpuissance. Dire qu'on a été "maladroits", c'est quand même un terme très fort dans le langage diplomatique, surtout quand on prétend être en position hégémonique. Donc on voit bien qu'il y a là une dimension fondamentale de cette crise, qui est la dimension psychologique, affective, que l'on essaie d'effacer. Le problème, c'est que l'affectif ne s'efface pas comme ça. Ça se calme, on peut jouer du cosmétique - et là on en a utilisé abondamment – mais il reste quand même une interrogation et une blessure. Peut-être que le côté blessure a été moins soigné que le côté incertitude et crainte de voir un ami s'éloigner. La blessure, c'est la France qui veut à tout prix être reconnue dans sa politique étrangère comme une puissance mondiale et qui s'est sentie exclue d'une partie du monde où elle considère qu'elle a des choses importantes à faire. C'est une humiliation à deux niveaux, verbale, formelle – et là je crois que les soins qui ont été apportés ont été importants – et c'est une humiliation stratégique.

Emmanuel Macron dit que "les preuves, c'est mieux" que les déclarations. Des actes concrets vont-ils suivre ?

Joe Biden a expliqué que la France était un partenaire essentiel, mais il reste à passer aux travaux pratiques et là on n'a aucun élément. Je crois que c'est tout le problème. Pour confirmer que la blessure affective est bien guérie, il faut passer aux travaux pratiques et là on ne voit pas bien parce que cette crise affective, cette blessure, cette humiliation, porte quand même sur des points essentiels. D'abord, on se demande quelle est la place de la France dans l'Indo-Pacifique et on n'en sait pas beaucoup plus aujourd'hui sauf quelques phrases générales. On ne voit pas bien dans le court-moyen terme comment les choses pourraient être rétablies, par quelles mesures, décisions, proclamations, etc. Deuxièmement, il y a le problème du rapport bilatéral entre la France et les États-Unis. Les choses changent, évoluent, et tout le monde fait comme s'il ne se passait rien, alors qu'il y a un moment où il faut actualiser les politiques de part et d'autre.

La France a-t-elle des moyens d'influence sur les États-Unis ?

C'est là que le bât blesse. Aux États-Unis, peu sont ceux qui considèrent qu'ils ont besoin de la France. D'abord parce que les États-Unis sont dans une crise depuis le trumpisme et le nationalisme et ne semblent pas considérer que l'alliance est un oxygène indispensable pour eux. D'autre part, l'Europe les intéresse de moins en moins. Il y a un vrai problème parce qu'on fait comme si rien n'avait changé mais depuis 30 ou 40 ans tout a changé : la disparition du bloc soviétique, la montée en puissance de la Chine et surtout la mondialisation. La mondialisation, c'est ce géant des affaires internationales qu'on ne veut pas voir parce qu'on ne sait pas comment jouer avec lui. Or, il ne faut pas oublier une chose, c'est qu'aujourd'hui les États-Unis considèrent qu'ils ont été plus victimes que bénéficiaires de la mondialisation, ce qui les incite plutôt à dire que les autres se débrouillent et qu'eux se reconstituent chez eux.

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