Cet article date de plus de huit ans.
En Europe tout comme aux USA, la pause pipi est un luxe dans les abattoirs
Les ouvriers des abattoirs de volaille aux Etats-Unis vivent l’enfer. Au point que, selon l’enquête d’une ONG, certains ouvriers auraient choisi de porter des couches culottes, vu la rareté des poses. De ce côté de l’Atlantique, la situation n’est guère plus glorieuse. Salaires au rabais et poses à géométrie variable touchent les ouvriers, surtout les étrangers au pays.
Publié
Temps de lecture : 5min
«Je devais porter des Pampers». Le titre du Washington Post est accrocheur. Il résume l’étude menée par l’ONG Oxfam dans le milieu très concurrentiel des abattoirs de volailles. Ici, la vitesse est le crédo. 140 poulets passent chaque minute sur la chaîne. Aussi, une pause est un luxe, que le chef d’équipe n’accorde que s’il dispose d’un remplaçant.
Et parfois, de remplaçant il n’y a pas. D’où des épisodes particulièrement choquants d’ouvriers ne pouvant rejoindre les toilettes à temps pour se soulager.
Dans son rapport, Oxfam n’y va pas par quatre chemins. Pour l’ONG, les faits rapportés sont le quotidien des quelques 250.000 salariés de la filière aux Etats-Unis: faible salaire, fort taux d’accidents et de maladies, et climat de terreur. Marta, qui travaille dans un abattoir du Texas, résume la situation. «Nous sommes des êtres humains, nous pensons, nous souffrons… nous travaillons le mieux que l’on peut. Mais ce n’est pas encore assez pour eux. Ils demandent toujours plus…plus que ce que nous pouvons faire.»
Pas mieux en Europe
Mais la situation des travailleurs dans les abattoirs en Europe n’est guère plus envieuse. Ici également, la course au rendement atteint des sommets qui produisent des dérapages. Le plus célèbre remonte à 1995, chez le leader français du secteur, Bigard à Quimperlé dans le Finistère.
Là aussi, il était question de pauses-pipi dont la direction voulait imposer les horaires. Tout arrêt de travail en dehors de ces plages pouvait être financièrement sanctionné. Finalement le conseil de prud’hommes donna raison aux salariés et les sanctions furent abandonnées.
Pour autant, les conditions de travail ne sont pas devenues idylliques depuis. Un article de Ouest-France en 2014 évoque le quotidien des ouvriers de l’abattoir. «Lever 4 h 30, sept heures à fond, six cochons à la minute : à la fin, je n'en pouvais plus» dit l’un. Une femme interrogée résume l’ambiance «devenue insupportable avec la pression mise par l'encadrement. Il fait 4 °C dans mon service et la cadence est infernale.» Jean-Michel abatteur de porcs précise : «Nous subissons la chaleur, la vapeur et les cadences. On ne peut pas aller aux toilettes quand on veut : il faut attendre qu'on vienne nous remplacer.»
Des exemples qui se multiplient et ne sont pas propres à une seule entreprise, ni à un seul secteur d’activité, ni à un seul pays.
600 porcs à l’heure en Allemagne
Ainsi, la situation des travailleurs étrangers en Europe est particulièrement critique. L’association Echanges et Partenariats (E&P) nous apprend qu’en Allemagne, Roumains et Bulgares font, dans les abattoirs, le travail que les Allemands ne veulent pas faire. «Nous abattons 320.000 volailles par jour» s’enorgueillit le directeur d’un site de Wiesenhof le géant du secteur «grâce à nos 1000 employés de 39 nationalités ou origines différentes».
Ce qu’il ne dit pas, c’est l’extrême précarité qui touche ces salariés. 20% de permanents. Les autres sont intérimaires, fournis par des sous-traitants qui se livrent à une guerre des prix féroce. Les cadences et l’ambiance de travail sont à l’image mondiale du secteur. Les salaires s’étalent entre 3 et 10 euros brut de l’heure pour des durées atteignant parfois 17 heures de travail quotidien. Pour dormir, certains se partagent en 3X8 un lit dans un dortoir pour 200 euros par mois.
Tous les pays concernés
En Belgique, c’est la situation de travailleuses roumaines qui est dénoncée. Là encore les abattoirs emploient du personnel étranger sans papiers. Selon le journal De Standaard, les Roumaines «séjournent illégalement dans le pays, sont sous-payées, doivent faire de longues journées, n’ont droit qu’à une pause de dix minutes pour le déjeuner et travaillent souvent le week-end. Pas question de congés payés ni de prime de fin d’année.»
En Irlande, le secteur de la pêche est accusé de pratiques abusives sur des membres d’équipage philippins, égyptiens, indiens. Souvent entrés illégalement en Irlande, ils sont traités comme de quasi esclaves par les patrons des chalutiers sur lesquels ils embarquent. Confinés sur les bateaux, ils ne peuvent aller à terre qu’avec l’accord de leur patron. Ils sont payés moitié moins que le minimum légal pour des horaires à rallonge, de jour comme de nuit, sans jour de repos véritable.
On croit souvent que la sidérurgie ou les mines sont les archétypes du travail dur voir inhumain. Mais le secteur agro-industriel n’est pas en reste. Souvent uniques employeurs dans les campagnes, les abatteurs exercent une pression très forte sur leurs salariés, allant jusqu'à transgresser la loi en toute impunité. Le chômage ne fait que renforcer l’omerta qui prévaut dans le milieu. L'exemple américain est accablant, mais ne dédouane pas les chefs d'entreprise européens du secteur.
Et parfois, de remplaçant il n’y a pas. D’où des épisodes particulièrement choquants d’ouvriers ne pouvant rejoindre les toilettes à temps pour se soulager.
Dans son rapport, Oxfam n’y va pas par quatre chemins. Pour l’ONG, les faits rapportés sont le quotidien des quelques 250.000 salariés de la filière aux Etats-Unis: faible salaire, fort taux d’accidents et de maladies, et climat de terreur. Marta, qui travaille dans un abattoir du Texas, résume la situation. «Nous sommes des êtres humains, nous pensons, nous souffrons… nous travaillons le mieux que l’on peut. Mais ce n’est pas encore assez pour eux. Ils demandent toujours plus…plus que ce que nous pouvons faire.»
Pas mieux en Europe
Mais la situation des travailleurs dans les abattoirs en Europe n’est guère plus envieuse. Ici également, la course au rendement atteint des sommets qui produisent des dérapages. Le plus célèbre remonte à 1995, chez le leader français du secteur, Bigard à Quimperlé dans le Finistère.
Là aussi, il était question de pauses-pipi dont la direction voulait imposer les horaires. Tout arrêt de travail en dehors de ces plages pouvait être financièrement sanctionné. Finalement le conseil de prud’hommes donna raison aux salariés et les sanctions furent abandonnées.
Pour autant, les conditions de travail ne sont pas devenues idylliques depuis. Un article de Ouest-France en 2014 évoque le quotidien des ouvriers de l’abattoir. «Lever 4 h 30, sept heures à fond, six cochons à la minute : à la fin, je n'en pouvais plus» dit l’un. Une femme interrogée résume l’ambiance «devenue insupportable avec la pression mise par l'encadrement. Il fait 4 °C dans mon service et la cadence est infernale.» Jean-Michel abatteur de porcs précise : «Nous subissons la chaleur, la vapeur et les cadences. On ne peut pas aller aux toilettes quand on veut : il faut attendre qu'on vienne nous remplacer.»
Des exemples qui se multiplient et ne sont pas propres à une seule entreprise, ni à un seul secteur d’activité, ni à un seul pays.
600 porcs à l’heure en Allemagne
Ainsi, la situation des travailleurs étrangers en Europe est particulièrement critique. L’association Echanges et Partenariats (E&P) nous apprend qu’en Allemagne, Roumains et Bulgares font, dans les abattoirs, le travail que les Allemands ne veulent pas faire. «Nous abattons 320.000 volailles par jour» s’enorgueillit le directeur d’un site de Wiesenhof le géant du secteur «grâce à nos 1000 employés de 39 nationalités ou origines différentes».
Ce qu’il ne dit pas, c’est l’extrême précarité qui touche ces salariés. 20% de permanents. Les autres sont intérimaires, fournis par des sous-traitants qui se livrent à une guerre des prix féroce. Les cadences et l’ambiance de travail sont à l’image mondiale du secteur. Les salaires s’étalent entre 3 et 10 euros brut de l’heure pour des durées atteignant parfois 17 heures de travail quotidien. Pour dormir, certains se partagent en 3X8 un lit dans un dortoir pour 200 euros par mois.
Tous les pays concernés
En Belgique, c’est la situation de travailleuses roumaines qui est dénoncée. Là encore les abattoirs emploient du personnel étranger sans papiers. Selon le journal De Standaard, les Roumaines «séjournent illégalement dans le pays, sont sous-payées, doivent faire de longues journées, n’ont droit qu’à une pause de dix minutes pour le déjeuner et travaillent souvent le week-end. Pas question de congés payés ni de prime de fin d’année.»
En Irlande, le secteur de la pêche est accusé de pratiques abusives sur des membres d’équipage philippins, égyptiens, indiens. Souvent entrés illégalement en Irlande, ils sont traités comme de quasi esclaves par les patrons des chalutiers sur lesquels ils embarquent. Confinés sur les bateaux, ils ne peuvent aller à terre qu’avec l’accord de leur patron. Ils sont payés moitié moins que le minimum légal pour des horaires à rallonge, de jour comme de nuit, sans jour de repos véritable.
On croit souvent que la sidérurgie ou les mines sont les archétypes du travail dur voir inhumain. Mais le secteur agro-industriel n’est pas en reste. Souvent uniques employeurs dans les campagnes, les abatteurs exercent une pression très forte sur leurs salariés, allant jusqu'à transgresser la loi en toute impunité. Le chômage ne fait que renforcer l’omerta qui prévaut dans le milieu. L'exemple américain est accablant, mais ne dédouane pas les chefs d'entreprise européens du secteur.
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