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Ferguson : pourquoi le policier Darren Wilson ne sera pas jugé

L'agent a tué de plusieurs balles un jeune Noir, Michael Brown, en août à Ferguson (Missouri), parce qu'il le soupçonnait de vol. Un jury a décidé, lundi soir, qu'il n'y aurait pas de procès. Explications. 

Article rédigé par Salomé Legrand - avec AFP et Reuters
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Photo non datée du policier Darren Wilson, publiée le 24 novembre 2014 par la police de Saint Louis (Missouri, Etats-Unis).  (MLADEN ANTONOV / ST. LOUIS COUNTY PROSECUTOR / AFP)

Il avait 18 ans, n'était pas armé, et a été tué d'au moins six balles, en plein jour, le 9 août, dans une rue de Ferguson (Missouri, Etats-Unis). L'auteur des coups de feu, le policier Darren Wilson, ne sera pas poursuivi pour le meurtre de Michael Brown, a décidé un jury de douze citoyens (neuf Blancs et trois Noirs), lundi 24 novembre. Il avait fait feu à 12 reprises sur le jeune Noir qu'il soupçonnait d'avoir volé des cigarillos.

Parce que la loi protège les policiers

 "C'est extrêmement rare qu'un policier soit poursuivi pour avoir tiré [sur quelqu'un], et encore plus rare qu'il soit puni", note Slate.com (en anglais) qui liste de nombreux et récents cas de bavures policières laissées impunies. D'abord, pour poursuivre le policier, il aurait fallu qu'au moins neuf des douze jurés s'accordent, abonde Vox (en anglais). Pour que Darren Wilson ne soit pas inquiété, il suffisait donc que seulement quatre d'entre eux considèrent que les éléments n'étaient pas assez solides pour l'incriminer.

Ensuite, des quatre chefs d'accusation possibles – assassinat, meurtre, homicide volontaire ou involontaire – seuls les deux derniers pouvaient potentiellement être retenus. Sauf si les jurés retenaient la légitime défense, largement définie par plusieurs arrêts de la Cour suprême. Deux circonstances autorisent ainsi un policier à tirer sur quelqu'un : pour protéger sa vie ou celle "d'un autre innocent", ou lorsqu'un suspect violent tente de s'échapper. Or, selon la police de Ferguson, Darren Wilson soupçonnait Michael Brown d'être parmi les auteurs "d'un vol à main armée"

De surcroît, la loi ne retient pas l'intention ou non qu'aurait eue la victime de blesser le policier, mais bien la "raisonnable et objective" conviction qu'elle représentait une menace. 

Parce que les témoignages sont contradictoires

C'est là que les témoignages interviennent. Le jour des faits, le policier, Darren Wilson, est dans sa voiture de patrouille et identifie Michael Brown comme l'un des éventuels suspects du vol de cigarillos commis quelques minutes plus tôt dans une supérette de Ferguson. Après l'avoir repéré dans la rue, accompagné d'un ami, il lui demande de quitter la chaussée et de marcher sur le trottoir : "Ils ont échangé des mots, mais Michael a continué à marcher au milieu de la rue", relate le procureur de Saint Louis. Autrement dit, le jeune homme n'obtempère pas.

"Lorsqu'ils sont passés devant Wilson, le policier a remarqué que Michael Brown avait des cigarillos dans la main... A 12h02, Wilson a lancé un appel à la radio pour demander de l'aide, affirmant avoir identifié deux suspects", détaille Bob McCullochLe policier Wilson recule alors sa voiture de manière à bloquer leur chemin, ainsi que la circulation dans les deux sens. Une altercation éclate entre l'agent, toujours assis à l'intérieur de sa voiture, et l'adolescent debout, au niveau de la fenêtre du conducteur. "Durant cette altercation, le policier a tiré deux coups de feu", précise le procureur. 

Michael Brown s'enfuit vers l'est, poursuivi à pied par Wilson. Il s'arrête, se retourne vers le policier qui s'arrête également. "Michael Brown s'est dirigé vers le policier, qui a alors tiré plusieurs coups de feu, et Michael Brown a été mortellement blessé", martèle Bob McCulloch. Mais là, les témoignages divergent. Les uns affirment que Michael Brown avait les mains en l'air, dans un geste pour se rendre, tandis que d'autres expliquent que ses "mains étaient baissées, sur les côtés".

"Il y a un certain nombre de témoins qui croient sincèrement que ce qu'ils ont dit est vrai. Jusqu'au bout, ils ont gardé la même version, même lorsque cette dernière ne correspondait pas aux preuves matérielles", insiste le procureur. Et d'ajouter que les témoignages confiés aux médias ne sont pas forcément ceux qui ont été déposés devant les jurés.

Parce que, selon certains, le procureur n'aurait pas joué son rôle

Plutôt que d'expliquer ce que risquait le policier, et faire entendre les principaux témoins ou les conclusions d'un inspecteur, le procureur de Saint Louis a choisi de présenter aux jurés "chaque petit bout de preuve". Une attitude dénoncée par Alex Little, ancien procureur fédéral, interviewé par Vox. "En choisissant cette approche, il a abdiqué son rôle d'avocat de la justice. Cela veut dire qu'il n'y a plus de procureur dans la pièce guidant les jurés et, surtout, plus d'action officielle au nom de l'Etat dans le sens de la victime", décrypte le magistrat. 

A ces considérations s'ajoutent la faible représentation des minorités dans les jurys populaires et l'inclination des citoyens pour les forces de l'ordre, selon David Rudovsky, spécialiste des poursuites à l'encontre des policiers.

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