Cuba-Etats-Unis: un rapprochement qui n'emballe pas tout le monde
L’image de cette poignée de mains échangée à Soweto a fait le tour du monde. Barack Obama et Raul Castro, héritiers d’un demi-siècle de relations vénéneuses entre les Etats-Unis et Cuba, se sont salués en décembre 2013 à l’occasion de la cérémonie organisée en hommage à Nelson Mandela. Une courtoisie empreinte d’acidité puisque quelques minutes plus tard seulement, le président américain déclarait à la tribune : «Il y a trop de leaders qui prétendent être solidaires de la lutte pour la liberté de Mandela, mais ne tolèrent pas la dissidence au sein de leur propre peuple.»
Ami affiché de Fidel Castro, Nelson Mandela avait fait de Cuba l’une de ses premières visites à l’étranger après sa sortie de prison en 1991. Il a souvent rappelé avec gratitude l’engagement des frères Castro contre l’apartheid. Un appui notamment matérialisé dans les années 80 en Angola, où les forces cubaines affrontent directement la puissante armée sud-africaine. «Un virage dans la lutte pour libérer notre continent et notre pays du joug de l'apartheid», a souligné Nelson Mandela en personne. Aujourd’hui, le président sud-africain Jacob Zuma entretient cette amitié. Comme les autres membres des BRICS, il suit de près le rapprochement américano-cubain.
Du Brésil à la Chine, secousse chez les investisseurs
La levée de l’embargo américain a reçu un accueil mitigé chez les acteurs économiques engagés à Cuba. Indispensable pour refaire de l'île une plaque tournante du commerce international, la fin de l’embargo génère néanmoins quelques inquiétudes. Notamment au Brésil, qui a financé à hauteur de 70% le terminal de conteneurs du port de Mariel (à 50 kilomètres de La Havane), et encourage ses propres entreprises à s’y installer. En effet, une irruption de la concurrence américaine sur le port de Mariel ne serait pas dénuée de remous. «Ne pas s’implanter à Cuba dès à présent, c’est laisser la voie libre à la concurrence», mettait d’ailleurs en garde le New York Times en octobre 2014.
Les éventuelles réserves cubaines de pétrole en eaux profondes, ce n’est un secret pour personne, suscitent la convoitise. A ce titre, courtisée par les investisseurs étrangers, l’île cubaine a bénéficié ces derniers mois de plusieurs annulations de ses dettes. C’est le cas par exemple du Mexique, qui depuis le retour du Parti révolutionnaire institutionnel au pouvoir en 2012, a annulé 70% de la dette cubaine. Idem pour Moscou qui en juillet 2014 a annulé 90% de la dette cubaine contractée à l'époque de l’Union soviétique. Le restant, soit 3,5 milliards de dollars (2,6 milliards d'euros), sera transformé en investissement… dans la région spéciale du port de Mariel.
La fin de l’embargo américain à Cuba ? «Un événement comparable à la chute du mur de Berlin», a considéré le président urugayen José Mujica. «Un geste courageux et nécessaire au vu de l’Histoire», a salué son homologue vénézuélien Nicolas Maduro. Si la déclaration de Barack Obama, reconnaissant que l’embargo américain n’avait servi à rien, a ravi en façade, en coulisses, ce rapprochement a littéralement pris de cours ces anti-impérialistes historiques.
Un mois plus tôt, ils célébraient ensemble les dix ans de l’Alba – Alternative bolivarienne pour les Amériques –, une alliance fondée en 2004 par Fidel Castro et Hugo Chavez pour contrer la puissante influence de Washington dans le sud du continent. Si la levée de l’embargo américain était l’une des principales revendications de l’Alba, certains membres de l’alliance bolivarienne continuent d’être soumis à des sanctions américaines de ce type. A l’automne 2014, le Congrès américain a notamment voté une loi favorisant le gel des biens de fonctionnaires vénézueliens taxés de violations des droits de l’Homme. Le nom de cette loi, souligne Marie Delcas du Monde, est «calqué sur celui de la fameuse loi Helms Burton de 1996 qui renforçait l’embargo contre Cuba».
Nicolas Maduro, qui a étudié les sciences politiques à Cuba, continue comme le faisait son prédecesseur Hugo Chavez d'irriguer l'économie anémiée de l'île. Premier producteur de pétrole brut, Caracas fournit à La Havane près de 60% de son énergie. En échange, des milliers de médecins cubains sont partis s'installer au Venezuela pour prêter main forte aux programmes sociaux de la révolution bolivarienne. Un vieil arrangement que la fin de l'embargo américain pourrait à terme altérer.
«Courage» ; «audace»... A Bogota, le président colombien Juan Manuel Santos n’a pas tari d’éloges à l’égard des présidents américain et cubain. Jouant un rôle crucial dans le dialogue de paix entre le gouvernement et les Farc, Cuba pourrait avec la levée de l’embargo américain, cesser d’être inscrit sur la liste des nations soutenant le terrorisme international. L’île y avait été incluse en 1982 au motif qu’elle soutenait plusieurs mouvements révolutionnaires au Salvador et ailleurs en Amérique latine.
Appuyés par les Etats-Unis, les pourparlers de paix engagés avec les guérilleros colombiens se tiennent à La Havane. Un rôle constructif reconnu par Washington, et que Fidel Castro détaillait déjà en 2008 dans La paix en Colombie, son ouvrage disponible en téléchargement gratuit. Il y fustige notamment la politique de la chaise vide adoptée dans la première décennie (1998-2008) du dialogue de paix par Manuel Marulanda, le chef historique des FARC. Pour l'heure, les FARC ont prudemment gardé le silence face au rapprochement historique entre Cuba et les Etats-Unis.
Affinités, intérêts, ou courtoisies de voisinage... Les ficelles diplomatiques tirées par les dirigeants de la planète après le «Todos somos americanos» de Barack Obama relèvent ni plus ni moins d'un «énorme match sur le Tinder géopolitique», conclut avec humour l'Orient-Le Jour.
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