Cet article date de plus de neuf ans.

Barack Obama : une politique africaine «décevante»

C’est le président américain qui aura suscité le plus d’espoirs en Afrique. Alors qu’il entame son ultime déplacement sur le continent, en se rendant notamment au Kenya, d’où est originaire son père, se pose une lancinante question : aura-t-il été à la hauteur des attentes des Africains?
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Barack Obama à son arrivée à l'aéroport de Nairobi, au Kenya, le 24 juillet 2015  (SAUL LOEB / AFP)

Ses origines africaines en sont peut-être l’explication. Mais le 44e président des Etats-Unis est celui, comparé à ses prédécesseurs immédiats qui ont également eu deux mandats (le démocrate Bill Clinton et le républicain George W.Bush), qui se sera le moins rendu sur le continent. En 2009, il visite l’Egypte et le Ghana. Pour son deuxième mandat, il s’offre une vraie tournée africaine qui l’emmène au Sénégal, en Tanzanie et en Afrique du Sud en 2013. 
 
Son ultime déplacement africain (24 au 27 juillet 2015), à 18 mois de la fin de son mandat, le conduit au Kenya sur les terres de son père qu'il foulera pour la première fois en tant que Président des Etats-Unis, et en Ethiopie qui accueille le siège de l’Union africaine.
 
«Il n’y a pas eu de grand désastre» 
Nicolas van de Walle, professeur au département de sciences politiques à l’université américaine de Cornell, estime que la politique africaine de Barack Obama est globalement «décevante». Il y a eu, selon lui, peu d’initiatives, notamment pour régler les grands conflits, entre autres, en République démocratique du Congo ou en Somalie. «Néanmoins, il n’y a rien dans les huit années de Barack Obama qui soit comparable à la tache noire qu’a été le génocide rwandais dans la politique africaine de Bill Clinton», souligne l’universitaire. «Il n’y a pas eu de grand désastre», conclut-il.
 
Et de faire remarquer : «Obama a plutôt cherché à éviter l’Afrique.» Sa biographie aurait été un handicap dans une Amérique pour qui Barack Obama était déjà «étonnamment exotique». A la décharge du président américain, poursuit-il, «la politique américaine en Afrique est toujours minée par le manque de moyens et d’intentions. L’Afrique n’est pas une priorité pour les Etats-Unis. Washington n’y a pas d’intérêts vitaux.» Exemple : «Les Américains contribuent à hauteur de 40% à la force d’intervention onusienne en RDC et ils dépensent environ un milliard par an. Ils pourraient doubler cette contribution, mais elle n’aurait toujours pas d’effet.» La raison: «La politique africaine des Etats-Unis est toujours conduite par des acteurs institutionnels secondaires qui n’ont ni l’aura ni le prestige (d’un président, NDLR) pour lui permettre d’être plus ambitieuse.»


Des officiels somaliens nettoient le site de l'attentat contre le Siyaad Hotel le 11 juillet 2015 à Mogadiscio, en Somalie.  (NOUR GELLE GEDI / ANADOLU AGENCY)

 
Un partenariat «moins asymétrique»
Un vrai changement cependant sous Obama. «L’instrument privilégié n’est plus l’aide économique et militaire.» Il s’agit plus «d’un partenariat axé sur le secteur privé, plus ouvertement entrepreneurial, qui est de fait moins asymétrique». «Ce n’est pas encore très bien défini», précise Nicolas van de Walle, mais au Kenya et en Ethiopie, ce sera surtout de la «diplomatie économique». Le sommet Etats-Unis-Afrique d’août 2014 en a été la première l’illustration. «Barack Obama essaie de dessiner une politique qui serait plus basée sur l’intérêt mutuel». En filigrane, la Maison-Blanche ne veut plus laisser la Chine seule profiter des opportunités économiques qu’offrent les pays africains. Ainsi, officiellement, Barack Obama se rend au Kenya pour participer au sommet mondial sur l’entrepreneuriat qui s’ouvre le 25 juillet à Nairobi.
                                                                                                                          
Pour le professeur d’études africaines à l’université américaine de San Diego, Francis Njubi Nesbitt, cette tournée africaine est «la dernière chance» pour Obama de redorer sa politique africaine. «A l’instar de son prédécesseur (George W.Bush), l’Afrique a été abordée par Obama sous le prisme de la sécurité nationale qui se concentre sur le terrorisme et le contre-terrorisme. En exemple, l’universitaire cite le Security Governance Initiative for Africa (2014). Le texte serait une combinaison «de mesures économiques et militaires pour créer un environnement sécurisé pour les investisseurs américains sur le continent.»

Le président américain Barack Obama s'exprime lors d'une conférence de presse, à l'issue du sommet Etats-Unis - Afrique le 6 août 2015 à Washington DC. 

 (AFP PHOTO / Saul LOEB)

Priorité à la sécurité nationale
La prévalence des questions sécuritaires dans les rapports entre l’Afrique et les Etats-Unis demeurent «une constante». «Il y a une grosse demande du côté africain, indique Nicolas van de Walle, et habiller la politique africaine d’un contexte sécuritaire est une moyen de faire passer les budgets au Congrès américain».
 
Autre aspect de la diplomatie américaine sur le continent : son plaidoyer pour la démocratie. Lors de son déplacement au Caire et au Ghana, Barack Obama s’en est fait le chantre. «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes», dixit le Président au Ghana, rapporte Peter A. Dumbuya, professeur au département d’histoire à la Fort Valley State University (Etats-Unis), dans une analyse de la politique africaine d'Obama. Dans cette optique, les printemps arabes seront un test grandeur nature.
 
La posture vole vite en éclats sur le dossier égyptien. Barack Obama ne veut pas soutenir le régime d’Hosni Moubarak, mais il veille aussi à ne pas s’aliéner l’armée égyptienne. «L’impératif démocratique était en tension directe avec celui de maintenir la stabilité dans la région», note Nicolas van de Walle. Même attentisme en Libye où la Maison-Blanche a laissé la France et la Grande-Bretagne aux avant-postes. Selon le chercheur de Cornell, les Etats-Unis n’ont pas mesuré les conséquences de cette politique du «leading from behind (leadership en retrait)»La Libye a été ensuite abandonnée à elle-même et est devenue le chaos qu’on connaît.
 
L’ultime occasion de redorer son blason africain
Bilan mitigé aussi au niveau de la recherche d’alliés puissants en Afrique sub-saharienne pour Barack Obama qui a reçu le nouveau président nigérian Muhammadu Buhari le 20 juillet 2015. «Il y a une recherche du partenaire fiable mais le Nigeria n’a jamais pu l’être. Dans la lutte contre Boko Haram, explique Nicolas van de Walle, les Etats-Unis auraient bien voulu aider Abuja. Cependant, ils ne sont pas certains de pouvoir faire confiance aux autorités nigérianes en ce qui concerne, par exemple, le partage de renseignements. Avec un exécutif mieux élu, peut-être que le partenariat pourrait connaître un nouvel élan». L’Afrique du Sud se retrouve dans le même cas de figure. Conclusion : «Les deux partenaires logiques en Afrique, pour des raisons différentes, n’arrivent pas à devenir des bons alliés pour l’Amérique selon les critères de Washington».

Manifestation à Washington DC, devant le Grand Hyatt hotel, le 6 août 2014 pour dénoncer, entre autres l'inaction du président américain face au groupe terroriste Boko Haram, notamment après l'enlèvement des filles de Chibok.  (AFP PHOTO/Brendan SMIALOWSKI)


 
En attendant, au Kenya et en Ethiopie, «Barack Obama, absorbé depuis 2009 par la récession américaine, les crises au Moyen-Orient, le terrorisme et son "pivot asiatique", tâchera surtout de consolider son bilan africain», explique Voice of America. «Selon des sources diplomatiques, le débat fait rage en interne à la Maison Blanche pour déterminer si ce bilan doit inclure une tentative de résolution du conflit au Soudan du Sud, pays fondé en 2011 et ravagé par une guerre civile.» D’autant que la naissance du 54e Etat africain est un marqueur de la continuité entre la politique africaine de George W.Bush et celle Barack Obama.

Une chose est certaine: Barack Obama déclarait le 22 juillet 2015, quelques heures avant de s’envoler pour le Kenya, qu’il travaillait «durement pour que (les) relations avec l'Afrique atteignent une nouvelle dimension».
 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.