Cet article date de plus de sept ans.

Récit Mardi, 15 heures à New York : quand la journée d'Halloween tourne au drame

Un terroriste se réclamant de l'Etat islamique, au volant d'une camionnette, a tué huit passants et cyclistes, mardi, en plein cœur de la plus grande ville américaine.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
La police inspecte la camionnette avec laquelle un terroriste a tué huit personnes, le 31 octobre 2017, à New York. (ANDREW KELLY / REUTERS)

Tom Kendrick court tranquillement, en cette après-midi fraîche et ensoleillée, lorsque son jogging vire au cauchemar. Il est 15 heures, mardi 31 octobre. Cet avocat new-yorkais de 36 ans perçoit une agitation inhabituelle dans ce quartier paisible du sud-ouest de Manhattan, au bord de l'Hudson River. Il s'approche. Il voit un corps et un vélo dans les buissons qui bordent la piste cyclable. Puis, un peu plus loin, encore trois corps de cyclistes fauchés.

"Je suis allé voir si je pouvais aider, mais ils n'avaient pas besoin d'aide : ils avaient l'air morts", raconte-t-il au New York Times (article en anglais). Ils sont en sang et inconscients, leurs membres pendent. Une scène atroce. Irréelle.

Quelques instants plus tôt, une camionnette blanche a déboulé sur cette piste cyclable. Le long de cette agréable promenade qui chemine au bord d'une enfilade de squares urbains, on trouve plusieurs stations de vélos en libre-service, des courts de tennis, un terrain de basket, un skate-park, un petit parc à chiens… Au volant, Sayfullo Saipov roule à vive allure, fauchant au hasard cyclistes et piétons.

Des vélos fauchés par le pick-up gisent sur la chaussée de la piste cyclable, à New York, le 31 octobre 2017. (BRENDAN MCDERMID / REUTERS)

Une course folle de 1 500 mètres

Cet Ouzbek de 29 ans, inconnu des services de police, avait pu louer le véhicule sans encombre, moins d'une heure auparavant, dans une agence de la chaîne Home Depot à Passaic, dans l'Etat voisin du New Jersey, où il réside. Ce n'est qu'après un parcours de 1 500 mètres, au croisement de West street et de Chambers street, que sa course folle se termine. Le pick-up entre en collision avec un bus scolaire. Le choc blesse deux adultes et deux enfants.

Mais derrière lui, l'assaillant a déjà ôté six vies, alors que deux blessés mourront à l'hôpital. Parmi les huit victimes fauchées, il y a deux Américains : Darren Drake, un jeune homme de 32 ans originaire du New Jersey, et Nicholas Cleve, un New-Yorkais de 23 ans. Ann-Laure Decadt, une Belge de 31 ans, mère de deux enfants, roulait à vélo avec sa mère et ses sœurs lorsqu’elle a été écrasée par la camionnette.

Les cinq autres victimes venaient d'Argentine. Ariel Erlij, Hernan Mendoza, Diego Angelini, Alejandro Pagnucco et Hernan Ferruchi faisaient partie d'un groupe de dix ex-camarades de promo de l'école polytechnique de Rosario, venus à New York fêter les 30 ans de leur remise de diplômes. Le maire de New York, Bill de Blasio, a rendu hommage aux huit morts mercredi : "Nous les considérerons pour toujours comme des New-Yorkais."

Les dix amis argentins prennent la pose avant de s'envoler pour New York. (DR)

"On a cru que c'était une blague d'Halloween"

Sur les lieux du drame, c'est la panique. Une crèche et plusieurs établissements scolaires donnent sur ce carrefour. "Au début, nous avons cru à un accident", témoigne une mère de famille venue chercher son enfant à l'école, citée par le New Yorker (article en anglais). "C'était la sortie des classes, les gamins traînaient." Et puis, elle a vu l'homme sortir de sa camionnette, commencer à courir de façon erratique, ses deux armes à la main. "On a entendu quatre coups de feu", relate-t-elle.

Sirus, un élève de 14 ans à la prestigieuse Stuyvesant High School, raconte au New York Times avoir "entendu des gens hurler". Les mots fusent dans le désordre. "Flingue !", "Tireur !", "Fuyez !" Sirus et ses amis ont d'abord pensé "que c'était une blague d'Halloween". Mais quand il a vu cet homme, avec deux armes, tituber au milieu de la chaussée, Sirus a compris que l'instant était dramatiquement réel.

Adria Menezes, une nounou de 45 ans, venait juste d'entrer dans l'enceinte de l'école publique 89, située juste à l'angle, pour récupérer les deux enfants dont elle a la garde, quand elle a entendu le bruit de la collision. En levant les yeux, elle s'est rendu compte qu'elle se trouvait à quelques mètres seulement de l'assaillant.

Il criait des paroles impossibles à discerner et tirait en direction des voitures.

Adria Menezes

au "New York Times"

Très rapidement, un policier somme l'assaillant de lâcher ses armes (qui étaient en fait un pistolet à plomb et un fusil de paint-ball). Saipov n'obtempère pas. Alors l'agent Ryan Nash n'hésite pas. Il tire, touchant le terroriste à l'abdomen. Si ce policier se trouve sur place, c'est grâce à un concours de circonstances : à 14h35, soit une demi-heure avant l'attentat, la police de New York avait reçu un appel en provenance de la Stuyvesant High School, pour intervenir auprès d'une élève suicidaire.

Des enfants au cœur de l'horreur

Ryan Nash, 28 ans, est désormais considéré comme un sauveur. "Je tiens à saluer la réaction de notre officier, qui a permis de mettre fin au carnage", a déclaré le commissaire de la police de New York, James O'Neill lors d'une conférence de presse. "C'est un héros, il n'y a pas de doute", a considéré le gouverneur de l'Etat de New York, Andrew Cuomo.

Dans les locaux de la Stuyvesant High School, qui surplombent la scène, élèves et enseignants se rendent compte que quelque chose d'inhabituel vient de se produire, raconte le New Yorker (article en anglais). L'impression se confirme lorsqu'un responsable de l'établissement annonce dans les haut-parleurs que toutes les classes sont soumises à une mesure de confinement. Plus personne n'est autorisé à quitter l'établissement.

Annie Thoms, qui donne un cours d'anglais dans la salle numéro 838, reçoit peu de temps après un coup de fil de son mari, qui lui donne des détails sur la nature de l'attaque. Elle propose alors à ses vingt-huit élèves, âgés de 14 ou 15 ans, de sortir leurs téléphones afin de dire à leurs parents qu'ils sont en sécurité. Trois heures passent avant qu'ils ne soient autorisés à rentrer chez eux.

Une ville qui fait bloc

Dehors, devant le bâtiment de l'école primaire toute proche, l'ambiance est surréaliste, en ce jour d'Halloween. Des grappes de parents inquiets attendent que leurs enfants sortent de l'établissement, sous les crépitements des photographes. Trop petits pour comprendre ce qu'il se passe, ils se fraient un chemin au milieu des cordons de police en mangeant des bonbons, déguisés en sorcière ou en Spiderman.

Une mère de famille avec ses deux enfants passent devant un cordon de sécurité, près du lieu où a été arrêté le terroriste, le 31 octobre 2017 à New York. (KENA BETANCUR / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Pendant ce temps, la police est déjà à pied d'œuvre. Des centaines d'enquêteurs sont mobilisés. La voiture personnelle de l'assaillant, laissée à l'endroit même où il avait loué la camionnette, est saisie. Son domicile de Paterson, dans le New Jersey, est perquisitionné. Et le suspect est interrogé sur son lit d'hôpital. Des notes manuscrites en arabe sont retrouvées sur le lieu de l'attaque. L'enquête permet rapidement de déterminer que Sayfullo Saipov a agi "au nom de l'Etat islamique" et qu'il avait planifié son acte depuis plusieurs semaines.

Malgré les polémiques suscitées par les tweets de Donald Trump, qui a tardé à rendre hommage aux victimes, New York tente de faire bloc. Dimanche, le mythique marathon de la ville, qui attire tous les ans 50 000 coureurs et 2,5 millions de spectateurs, sera bel et bien couru, avec des mesures de sécurité supplémentaires. Le soir même de l'attaque, les New-Yorkais avaient déjà affiché leur volonté de ne pas se laisser intimider : un million d'entre eux ont participé au 44e défilé d'Halloween. Sans doute le plus triste de l'histoire de la Grosse Pomme.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.