Ukraine : vivre au milieu des combats
Des deux côtés de la sinistre avenue des Partisans, on découvre des bus et des bâtiments calcinés. Deux tiers des habitants ont déserté ce quartier fantôme qui essuie, jour et nuit, des tirs d’artillerie. Ceux qui restent sont les plus démunis : devant la porte criblée de balles d’un immeuble de briques, se trouve Svetlana, 54 ans. Sur son visage encadré de cheveux blonds, on lit l’angoisse et l’épuisement. "Moi j’aimerais bien partir mais je ne peux pas. Mon mari est handicapé. Ma mère a 80 ans. Je ne peux pas les emmener avec moi. Et puis, je n’ai pas l’argent" , déplore cette femme.
Svetlana nous accueille dans son modeste appartement. Pour faire face aux coupures d’électricité qui durent plusieurs jours parfois, certains voisins ont ressorti de vieux poêles à bois. Elle garde son four de cuisine ouvert Depuis que son bâtiment a été visé fin août, Svetlana n’occupe plus les pièces de son appartement qui donnent sur la rue. "Je dors ici dans le couloir parce que j’ai peur des explosions de l’autre côté. J’ai conservé les éclats d’obus qui ont atterri dans la cuisine. Ils ont failli me tuer alors que j’étais en train de boire mon café. Après ça, j’ai dû combler les vitres cassées avec des planches de bois. Tout ça est une terrible folie" , raconte Svetlana en ressortant les morceaux d’explosifs de son sac à main.
Comme tous les fonctionnaires de Donetsk, comme tous les retraités, Svetlana a cessé cet été de toucher tout salaire, toute pension en provenance du pouvoir de Kiev. Sa famille ne peut plus compter que sur la "générosité" de Rhinat Akhmetov, l’oligarque milliardaire de Donetsk qui organise des distributions de vivres. "On mange ce qu’il y a dans les colis humanitaires : ces préparations pour bouillies par exemple qu’on reçoit tous les 15 jours. On n’aurait jamais pensé se retrouver abandonnés par le gouvernement. C’est la première fois de ma vie que je vis de l’aide humanitaire" , s’attriste la quinquagénaire.
Avec leurs rares économies, les habitants du district achètent aussi des pommes de terre à un homme qui s’improvise marchand ambulant avec sa balance électronique posée à même le trottoir.
Cauchemars d'enfants
A deux pas de là, deux garçons de 4 et 12 observent par une fenêtre du premier étage. Leur père est un des rares à ne pas avoir perdu son travail malgré les combats. Il continue de descendre chaque jour dans la mine de charbon toute proche. Irina leur mère reste seule avec eux en permanence. "C’est un cauchemar. Souvent les tirs d’artillerie font trembler la terre. Mes enfants, au début, je leurs disais que c’était juste des feux d’artifice. Mais en fait, on ne peut rien leur cacher. L’aîné a très peur. Mes garçons ne vont plus en classe. Les écoles les plus proches ont été endommagées. Et les autres sont trop loin" , explique la mère de famille qui sourit comme pour défier l’angoisse et la mélancolie.
Pas d’école non plus pour Eva, la fillette de 4 ans qui habite l’immeuble voisin. La petite Eva, les cheveux bruns relevés en chignon, interrompt sa séance de dessin pour venir nous parler. Elle fait partie des rares enfants dont la famille n’a pas fui le secteur. "J’ai peur des coups de feu. Quand ça siffle, moi je cours dans la salle de bain, parce qu’il n’y a pas de vitre dans la salle de bain. Quand ça siffle, Vania, le petit voisin, lui, ne fait que crier" , se plaint l’enfant en imitant le bruit des sifflements.
Antonina, la grand-mère de la fillette, a le cœur serré et les larmes aux yeux à écouter ces mots. La sexagénaire nous emmène dans la cave de son immeuble. Un endroit humide transformé en abri avec une seule petite ampoule au plafond et quelques matelas et couvertures sur le sol abîmé. Elle y descend presque chaque nuit. "Ma petite fille dort ici avec moi mais, ces derniers jours, on ne peut plus la descendre parce que dès qu’on prononce le mot "cave", ça lui provoque des crises d’hystérie. Alors, même quand ça tire de partout, elle reste dans l’appartement. Avant c’était une fillette tranquille. Maintenant elle fait des crises de nerf. Elle aurait besoin d’un psychologue" , confie la sexagénaire inquiète.
Antonina est très croyante. Elle prie chaque jour dans cette cave. "Seul Dieu nous sauvera" , dit-elle. Elle est un des seuls ici à encore soutenir le pouvoir de Kiev. Les élections demain ? Elle aurait aimé y participer, mais les séparatistes ont interdit le scrutin dans la ville. "Une injustice", selon elle.
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