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Turquie: Tahir Elçi, un militant de la cause kurde dont la vie était menacée
Tahir Elçi, célèbre figure de la société civile kurde, a été assassiné samedi 28 novembre 2015 à Diyarbakir. Il était le bâtonnier de l'ordre des avocats de la grande ville kurde du sud-est de la Turquie. Quelques semaines plus tôt, il avait déclaré faire l'objet de menaces de mort.
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«Nous ne voulons pas de combats, d'armes à feu, d'opérations dans ce lieu historique», déclarait Tahir Elçi devant la presse, quelques minutes avant d’être mortellement atteint par une balle à la tête lors d’un échange de tirs entre la police turque et des militants proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Diyarbakir. Le juriste souhaitait attirer l'attention sur les dommages causés au patrimoine culturel de la ville par les combats entre l'armée turque et les rebelles du PKK.
Avant sa disparition, l’avocat kurde avait confié en octobre 2015 qu’il faisait l’objet de menaces de mort au média kurde Rudaw après qu'il a pris la défense du PKK. «Certains m’appellent directement, d’autres utilisent les réseaux sociaux». Derrière ces menaces, «des nationalistes turcs et des faschistes», affirmait-il.
«Je n'ai pas peur»
«Je n’ai pas peur mais je suis inquiet à cause du danger ». Tout comme il n'avait pas eu peur d'exprimer plus tôt ses convictions sur le plateau d’une émission de l’antenne turque de CNN. Bien qu’il ne souscrive pas aux méthodes du PKK, il l’avait estimé que le parti n'était pas une organisation terroriste. «Le PKK est un mouvement politique, qui a de nombreuses revendications politiques et qui bénéficie d’un large soutien, bien que certaines de ses actions puissentt être qualifiées d’actes terroristes». Pour la Turquie, où défendre le PKK est un délit, les Etats-Unis et l’Union européenne, la formation politique est considérée comme une organisation terroriste.
Ses propos lui avaient valu une inculpation pour «apologie du terrorisme par voie de presse» et une brève détention en octobre 2015. Il avait été relâché à la condition de ne pas quitter le pays. Pour les organisations de défense Human Rights Watch et Amnesty International, cet «acharnement judiciaire» constituait une «manœuvre d’intimidation et une démonstration de force de la justice turque contrôlée par le pouvoir».
Tahir Elçi est né à Cizre, ville à majorité kurde qui se situe à la frontière de la Turquie avec l'Irak. L'avocat de 49 ans plaidait depuis 1992 devant la Cour européenne des droits de l’homme et défendait dans le sud-est turc plusieurs cas impliquant des victimes des affrontements entre les rebelles du PKK et l’armée turque, indique Rudaw. Les combats ont repris de plus belle l'été 2015 remettant en cause le processus de paix engagé en 2012 entre les belligérents. Tahir Elçi appelait à la reprise de ces pourparlers.
Ankara pointe le PKK
«Je n’ai pas fait la propagande du PKK. J’ai simplement essayé de montrer à la société qu’on ne peut pas résoudre ce problème avec des imprécations de terrorisme et que toute négociation doit se faire avec le PKK. Je n’ai pas à parler comme le gouvernement ou comme les partis traditionnels. Si un membre de la société civile ne peut pas parler librement de ces problèmes avec ses idées et ses mots, comment les résoudre? La tension est forte maintenant. Le gouvernement n’est pas d’accord avec la liberté d’expression, avec la liberté de la presse», confiait-il en octobre 2015 au journal français L’Humanité.
Réagissant à l'assassinat du militant kurde modéré, le président turc Recep Tayyip Erdogan s'est déclaré «attristé par la mort d'Elçi», rapporte l’AFP. «Cet incident a démontré combien notre détermination à combattre le terrorisme est justifiée», a-t-il poursuivi. L'agence de presse turque Anatolie, progouvernementale, a attribué l'attaque au PKK.
Le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), tombeur d’Erdogan lors des législatives de juin 2015, a estimé pour sa part qu’il s’agissait d'«un assassinat programmé qui vise le combat pour le droit et la justice». La disparition du militant kurde intervient au moment où les atteintes à la liberté de la presse se multiplient en Turquie. L'annonce de sa mort à donné lieu à plusieurs rassemblements, notamment à Diyarbakir et dans la capitale Istanbul.
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