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Journalistes emprisonnés, Russie, Daech... Où va le président Erdogan?

Deux journalistes du grand journal turc Cumhuriyet ont été inculpés et écroués jeudi 26 novembre 2015 par une cour pénale pour avoir fait état de livraisons d'armes du régime turc à des islamistes en Syrie. Un dossier de plus qui mine l'image du président Erdogan, vainqueur des dernières élections, après ceux de l'avion russe abattu et ses rapports avec Daech, sans compter la question kurde.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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9 mars 2015. Erdogan réunit son cabinet dans son palais présidentiel, à Ankara. (KAYHAN OZER / ANADOLU AGENCY)

Les deux journalistes de Cumhuriyet, Can Dündar, rédacteur en chef, et Erdem Gül, son chef de bureau à Ankara, ont été incarcérés sous l'accusation d’ «espionnage» et «divulgation de secrets d'Etat» pour avoir publié en mai un article sur de possibles livraisons d'armes par les services secrets turcs (MIT) en Syrie.

Leur reportage publié par ce grand quotidien libéral montrait un convoi de camions des services de renseignements turcs intercepté par les gendarmes locaux dans le sud de la Turquie en janvier 2014. La révélation de cette livraison d'armes dissimulées, selon Cumhuriyet, sous des caisses de médicaments, avait provoqué un séisme politique dans le pays.

Médias sous pression
L’article mettait en lumière ce que beaucoup considèrent comme le jeu trouble du président Erdogan par rapport aux islamistes de Daech. 

Le président turc, qui a finalement remporté les élections législatives du 1er novembre dernier après avoir joué la stratégie de la tension avec le PKK, a pu mettre ses menaces à exécution. Recep Tayyip Erdogan avait en effet personnellement porté plainte contre M. Dündar, 54 ans, et publiquement promis, lors d'un entretien à une chaîne de télévision locale, qu' «il ne s'en sortira pas comme cela». «Il va payer un prix très lourd», avait prévenu M. Erdogan.

Pendant la campagne électorale, déjà, le pouvoir islamo-conservateur d’Erdogan s’en était pris aux médias. A quatre jours des élections législatives du 1er novembre, la police turque avait fait irruption dans les locaux de Bugün TV et Kanaltürk, deux télévisions appartenant au groupe de médias Koza-Ipek (proche de Fethullah Gülen).

Soutien à Daech?
Le rôle de la Turquie dans l'aide à Daech est souvent évoqué. «La Turquie est accusée depuis longtemps par les experts, les Kurdes et même le vice-président américain Joe Biden, dans ce qui était considéré alors comme une gaffe diplomatique, de ne rien faire pour empêcher l’approvisionnement en armes et en combattants volontaires de Daech à travers sa frontière syrienne», rapportait Slate dans un article titré Sans la Turquie, Daech n’existerait pas. De son côté, le journal Zaman (proche de Gülen) estimait que les dénégations d'Erdogan sur l'affaire révélée par les deux journalistes n'avaient «pas convaincu dans un contexte où le soutien de la Turquie aux djihadistes était de plus en plus évoqué». 


Ces accusations ont encore pris de l'ampleur après la décision d'Ankara d'abattre un avion de combat russe le 24 novembre, un Sukhoï 24, alors que Paris tentait de constituer une coalition anti-Daech. Une affaire pour  laquelle il n'a reçu qu'un soutien minimum de la part de l'Otan, dont la Turquie est membre.

L'utilisation de la question kurde
La question kurde est un autre dossier diffcile pour le président Erdogan. Ce dernier n'a pas hésité à jouer la stratégie de la tension avec le PKK pour gagner les élections. «C
omme par hasard, le conflit avec les Kurdes a repris de plus belle et Erdoğan envoie des jeunes soldats mourir pour la patrie», notait Burak Gürbüz, maître de conférences en économie à l’Université Galatasaray d’Istanbul, l'été dernier. Depuis, le conflit a pris de l'ampleur tandis que les alliés du PKK en Syrie, les YPG, sont devenus une des principales forces anti-Daech, avec l'aide des Américains.

Il reste un terrain sur lequel le président Erdogan reste fortement sollicité: celui des migrants vers l'Europe dans lequel il apparaît comme incontournable. La Turquie doit d'ailleurs participer à un sommet européen dimanche 29 novembre 2015.


«La dérive autoritaire est là. Elle continue. Il n’y a pas de raison que ça s’arrête. Peut-être, à la marge, il y aura un apaisement. Mais depuis aujourd’hui, nous sommes rentrés dans un régime hyper-présidentiel de fait à défaut d’être de droit», résumait le journaliste et politologue turc Ahmet Insel, au lendemain de la victoire d'Erdogan.

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