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Erdogan le Magnifique, premier président turc élu au suffrage universel

A 62 ans, Recep Tayyip Erdogan est l’homme fort de la Turquie. Chef du gouvernement depuis 2003, il a été élu président de la République en 2014. C’était la consécration pour ce dirigeant souvent critiqué pour son autoritarisme.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
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Recep Tayyip Erdogan au soir de sa victoire lors de la présidentielle, le 10 août 2014, salue ses partisans à Ankara. (FATIH AKTAS / ANADOLU AGENCY)

Personnage «controversé» pour une grande partie de la presse européenne, Recep Tayyip Erdogan triomphe en Turquie. Il faut dire qu'il se présentait devant les électeurs avec un bilan plus qu’honorable, sur le plan économique. Il est aussi celui qui a su imposer une démocratie stable dans un pays qui a vu se succéder coups d’Etat et crises économiques et financières. Sous la houlette de son parti, l’AKP, la Turquie se transforme, se modernise à grand pas et a connu certaines années des taux de croissance «à la chinoise» (inflation ramenée à 10%, croissance régulière et supérieure à 7%, PIB multiplié par trois).

Elu dès le premier tour de cette première présidentielle au suffrage universel, M. Erdogan entend s'inscrire dans la longue histoire de la Turquie «d’Alparslan à Fatih (le Conquérant), de Kanuni (Soliman le Magnifique) à Yavuz Selim, d’Abdulhamid à Mustafa Kemal, des centaines, des milliers, des millions de héros ont écrit l’histoire de ce pays», avait-t-il déclaré l’an dernier en récitant les noms de ceux qui ont régné sur la Turquie depuis le XIe siècle.

Son image d'homme d'Etat avait pourtant souffert de la crise de juin 2013 qui avait vu des dizaines de milliers de jeunes et moins jeunes descendre dans la rue. Une crise durant laquelle il avait montré un visage autoritaire lâchant la police sans retenue. A cette crise, se sont ajoutées des mesures allant contre la laïcité, base du régime turc depuis Kemal Atatürk ou des parfums de scandales et de corruption. Si les attaques contre Erdogan ont porté dans certains milieux libéraux ou à l'étranger, elles ne semblent pas avoir rencontré d'échos dans la classe moyenne turque, le cœur de son électorat.

Du football à la politique
Enfant d’Istanbul, d'un quartier plutôt populaire de la rive européenne, éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, «Tayyip» a un temps caressé le rêve d'une carrière de footballeur (sport qu'il a pratiqué), avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste. Elu maire d'Istanbul en 1994, «Erdogan acquiert une forte popularité grâce à l'efficacité de sa gestion des services municipaux : diminution des coupures d'électricité ou d'eau, multiplication des projets d'infrastructures (métro), lutte contre la corruption», écrivait le Nouvel Observateur en 1997.

Erdogan a toujours su cultiver sa popularité. «Autre atout, qui explique une partie du succès de Erdogan : son verbe. Il parle comme le peuple turc. Il n’hésite pas à employer les mots de la rue et ceux de la mosquée. Issu du peuple, ce Premier ministre aime à parler comme son peuple, ces "Turcs encore trop pauvres dans une Turquie si riche", message qu’il martèle depuis les tribunes», rapportait Libération dans un portrait de l'homme d'Etat. 

«Merci la Turquie», peut on lire sur le site de campagne d'Erdogan, au lendemain de sa victoire. (DR)


Il fait même de la prison en 1998 pour islamisme. Après cet épisode, il affirme respecter les règles de la laïcité turque, défendant l’idée de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il fonde l’AKP (Parti de la justice et du développement) qui se veut un parti «islamo-démocrate» comme on parle de parti «chrétien- démocrate» dans de nombreux pays européens.

Premier ministre en 2003
Il triomphe en 2002, lorsque son parti (l'AKP) remporte les élections législatives. Il devient Premier ministre un an plus tard, lorsque sa peine de prison est amnistiée.

A son actif, on l'a vu, une certaine réussite économique mais aussi la décision de négocier l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. On lui doit aussi une certaine détente dans la gestion de la question kurde et une présence plus forte de son pays dans la diplomatie mondiale, même si souvent les mots d'Erdogan (contre Israël notamment) n'ont jamais eu de traductions concrètes. 

Il a aussi limité le poids politique de l'armée. En revanche, la Turquie d'Erdogan est montrée du doigt sur les questions de liberté de la presse. Sur les questions de laïcité, il en appelle à plus de libertés religieuses, avec notamment l'autorisation du voile dans les universités.

Sur son compte twitter, Erdogan est déjà président, avant même son investiture officielle. (DR)


Aujourd'hui président, il pourrait donner à ce poste une importance qu'il n'a pas. On imagine mal Erdogan s'effaçant derrière un Premier ministre.

«Aujourd'hui est un nouveau jour, une nouvelle étape pour la Turquie, c'est la naissance de la Turquie, qui va renaître de ses cendres», a lancé, modestement, Erdogan dimanche soir 11 août 2014 à ses milliers de partisans venus l'acclamer devant le siège de l'AKP à Ankara.

Son compte twitter (non officiel) le présente déjà comme «président de la République de Turquie», ce qu'il ne sera officiellement qu'après la cérémonie d'investiture (le 28 août). Un professeur de l'université Bilgi d'Istanbul, Ilter Turan, dit d'ailleurs de lui : «depuis qu'il a pris le pouvoir, il a progressivement viré du pragmatisme à  l'idéologie, du travail d'équipe aux décisions personnelles, de la démocratie à l'autoritarisme».

Erdogan a déjà indiqué qu'il souhaitait faire deux mandats. Jusqu'en 2023, centième anniversaire de la Turquie moderne, celle fondée par Atatürk.

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