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Tunisie : qui est Béji Caïd Essebsi, le favori de la présidentielle ?

A 87 ans, ce champion des opposants aux islamistes a accompagné l'histoire de son pays. Malgré son âge, il est le candidat le mieux placé pour l'élection présidentielle, dont le premier tour a lieu ce dimanche 23 novembre.

Article rédigé par Gaël Cogné - A Tunis,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Béji Caïd-Essebsi, le 1er novembre 2014 à Monastir, en Tunisie. ( CITIZENSIDE / AFP)

Il revient toujours. A 87 ans, Béji Caïd Essebsi, dit BCE, a une carrière politique qui se confond avec l'histoire de son pays, la Tunisie. Plus de sept décennies d'engagement politique durant lesquelles il a vécu l'indépendance, accompagné le premier président, Bourguiba, côtoyé Ben Ali, participé à la transition pendant le "printemps arabe". Le tout ponctué de passages à vide.

Si les chefs d'Etat passent, lui revient toujours. Mais, cette fois, son tour semble venu. Ce sera sans doute à lui de prendre ses quartiers au palais présidentiel de Carthage après la première présidentielle libre de son pays, dont le premier tour a lieu dimanche 23 novembre. Son parti a remporté les élections législatives, ses plus féroces adversaires sont affaiblis et le grand moment approche. Il n'aura plus d'autres occasions.

Dans les pas de Bourguiba

Le 31 octobre, quand Béji Caïd Essebsi se rend à Monastir pour lancer sa campagne à l'élection présidentielle, son parti, Nidaa Tounès, vient de gagner les élections législatives. Il a profité d'un vote sanction contre les islamistes d'Ennahdha et misé sur la crainte du terrorisme. Un deuxième round commence et Monastir n'a pas été choisie au hasard : c'est là que se trouve le mausolée d'Habib Bourguiba. Lunettes noires, langage, gestuelle : tout dans BCE évoque le père de l'indépendance.

Souhayr Belhassen, figure de la société civile tunisienne, qui connaît l'homme politique depuis qu'elle a "une dizaine d'années", était présente. Elle se souvient d'une ressemblance "hallucinante" de Béji Caïd Essebsi avec Habib Bourguiba. "Il le veut, il l'entretient, mais ce n'est pas seulement un calcul, il est clairement attaché à cette image". L'intellectuel tunisien Youssef Seddik, qui le côtoie depuis 1973, se montre très critique : "Sa fidélité à Bourguiba est exagérée et montre sa minceur politique. On ne fait pas de la politique avec de la nostalgie."

C'est que Béji Caïd Essebsi doit beaucoup à Habib Bourguiba. Né dans une famille de notables en 1926, militant indépendantiste dès l'âge de 15 ans, ami du fils du futur chef de l'Etat, licencié en droit à Paris, Caïd Essebsi intègre un prestigieux cabinet d'avocats en Tunisie. L'indépendance acquise, en 1956, il devient conseiller d'Habib Bourguiba à seulement 30 ans et grimpe jusqu'à la tête du ministère de l'Intérieur en 1965. Il a alors 38 ans. Le début d'une longue carrière qui le mène à la Défense, aux Affaires étrangères et à plusieurs postes d'ambassadeurs.

Libéral, il réclame des réformes à son mentor et vit des traversées du désert. Mais le président Bourguiba voit en lui "l'homme des missions difficiles et délicates" et fait "confiance à sa droiture et à son intelligence"

Audacieux ou opportuniste ?

L'homme politique est aussi un habile diplomate. Le 1er octobre 1985, quelques années avant la fin du règne d'Habib Bourguiba, en pleine nuit, dix chasseurs F-15 israéliens trouent le ciel tunisien. Ils bombardent le siège de l'OLP à Hammam Chott, en banlieue de Tunis. Une humiliation. Habib Bourguiba, qui se croyait à l'abri, sous la protection de Washington, n'en revient pas : le parapluie américain fuit. Béji Caïd Essebsi, ministre des Affaires étrangères, colle des rustines à l'ONU. Il obtient une résolution condamnant l'agression, après avoir arraché l'abstention des Américains. Israël s'étrangle des termes de la résolution. BCE assoit ainsi sa stature d'homme d'Etat.

Béji Caïd Essebsi à Paris, le 14 février 1985. Il était alors ministre des Affaires étrangères. (P.GUILLAUD / AFP)

Souhayr Belhassen loue "l'audace" de "l'un des rares hommes politiques tunisiens qui ait une véritable pensée sur la politique internationale", tout en étant "ce personnage oriental au grand savoir-faire et à l'intelligence des situations". Elle souligne aussi son "pragmatisme", sa capacité à être "ferme sur les principes et souple sur l'application".

Certains voient plutôt dans son "pragmatisme" une capacité à louvoyer et à flatter toutes les audiences. En témoigne son parti, Nidaa Tounès. Une formation hétéroclite, qui regroupe des hommes d'affaires comme des syndicalistes, des responsables politiques de gauche et de droite et même d'anciens caciques du régime de Ben Ali. Ses détracteurs l'accusent de capitaliser sur le rejet des islamistes sans avoir de vision pour l'avenir du pays.

BCE masque peut-être aussi un côté sombre. L'homme se garde d'insister sur son passage au ministère de l'Intérieur sous Habib Bourguiba. "Ça laisse forcément des traces", souligne un observateur, sans s'étendre. Une plainte a été déposée en 2012 par d'anciens opposants de Bourguiba, les Yousséfistes, qui affirment avoir été torturés alors que BCE était ministre de l'Intérieur. De même, sous Zine El-Abidine Ben Ali, Caïd Essebsi n'abandonne pas immédiatement la politique. Député, il est élu président du Parlement tandis que le régime vire à la dictature.

Un fin politique

Il s'arrête toutefois à temps. Quand la Tunisie s'embrase, en 2011, cela fait déjà dix-sept ans que Béji Caïd Essebsi a pris ses distances avec Zine El-Abidine Ben Ali, même s'il n'a cessé de cultiver son réseau de relations. Pour les jeunes révolutionnaires, son nom n'évoque pas grand-chose. Il a réussi à se faire oublier, apparaît presque au-dessus de la mêlée. Mais l'heure de son retour a sonné. La rue a eu raison en quelques semaines du dictateur. Ben Ali est en fuite. La Tunisie cherche sa voie. Une chose est sûre, elle ne veut plus du Premier ministre Mohamed Ghannouchi, en poste depuis plus de dix ans sous Ben Ali. Il est poussé à la démission et, en 24 heures, le 27 février 2011, Béji Caïd Essebsi se trouve propulsé à la tête du gouvernement provisoire. Le président par intérim vante ses qualités : "Il est connu pour son patriotisme, sa loyauté et son abnégation au service de la patrie."

Certains grincent des dents. Pourquoi une nomination si rapide ? Dans un livre d'entretiens (Tunisie, la révolution inachevée, éditions de L'Aube, 2014), Youssef Seddik affirme qu'il "a été préféré après de laborieuses consultations de coulisses et d'alcôves". BCE s'accroche pendant neuf mois et tient "sa promesse la plus 'têtue'", se félicite Youssef Seddik : organiser l'élection libre de l'Assemblée constituante. Le 24 décembre 2011, il passe la main, mais prépare son retour en rassemblant l'opposition aux islamistes au sein du parti Nidaa Tounès, créé en avril 2012.

Le candidat Béji Caïd Essebsi lors d'un grand meeting à Tunis, le 15 novembre 2014. (GAEL COGNE / FRANCETV INFO)

Trop vieux ?

Après quelques mois d'une gestion de l'Etat très critiquée, Ennahdha a perdu les législatives et ne présente pas de candidat. Champion du camp des "séculiers", opposés aux conservateurs islamistes, BCE est le grand favori. Déjà, Béji Caïd Essebsi consulte des ambassadeurs et ses lieutenants, rencontrés à Tunis par francetv info, ne peuvent s'empêcher de sourire quand on leur parle de la présidence.

Y restera-t-il longtemps ? Béji Caïd Essebsi est vieux : il fêtera son 88e anniversaire le 29 novembre. Les exemples de Bouteflika et Bourguiba trottent dans la tête des Tunisiens. Le premier a été réélu en Algérie, en avril, sans apparaître en public ; le second a été déclaré inapte à l'âge de 84 ans par Ben Ali, ouvrant la voie à la dictature en Tunisie.

En meeting, samedi 15 novembre, dans la salle de la coupole, à Tunis, BCE s'écarte du pupitre devant ses militants qui hurlent "Béji ! Béji ! Béji". Il fait mine de déboutonner sa veste et lance, en arabe : "Ils disent que je suis malade ! Voulez-vous que j'enlève mes vêtements ? Souhaitez-vous m'examiner ?" Mais après vingt minutes de discours, il parle avec moins de fluidité, moins de véhémence.

Des partisans de Béji Caïd Essebsi lors d'un meeting à Tunis, le 15 novembre 2014. (GAEL COGNE / FRANCETV INFO)

Peu importe. A la sortie, Nesrine, 36 ans, au chômage, parle de "Bajbouj" comme d'un "sauveur", le "seul à avoir autant d'expérience". Un autre dit tout haut ce que beaucoup pensent à mots couverts : "Lui je l'aime, et les salafistes, les islamistes, je les déteste."

Pour expliquer cette candidature, Souhayr Belhassen argue que les années Ben Ali ont étouffé une génération de politiques. Mais, pour Youssef Seddik, l'âge de Béji Caïd Essebsi, c'est "le grand scandale : la révolution a été faite par la jeunesse, comment penser qu'il se présente ? A mi-mandat, il aura plus de 90 ans ! Il nous faut un souffle nouveau."

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