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Syrie : la justice internationale prête à instruire

La Cour pénale internationale doit être saisie pour enquêter sur les crimes de guerre commis en Syrie, selon Carla del Ponte, aujourd'hui membre de la commission d'enquête de l'ONU. Mais le chemin paraît encore long et semé d'embûches. Explications.
Article rédigé par Jean Serjanian
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Carla del Ponte et Rolando Gomez, deux membres de la commission d'enquête de l'ONU sur la Syrie, lors de la conférence de presse du 18 février 2013 à Genève.   (AFP PHOTO / FABRICE COFFRINI)

Pour Carla del Ponte, magistrate suisse de haut-rang qui s'est fait connaître en tant que procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) entre 1999 et 2007, il est désormais «temps d'agir».

La Commission d'enquête de l'ONU, qui a publié le 18 février 2013 un rapport de 131 pages sur les crimes de guerres et les violences liées au conflit en cours en Syrie, dénonce une escalade de la violence qui a fait quelque 70.000 victimes à ce jour. Le texte, qui suit un précédent rapport rédigé en août 2012, répète que les deux camps sont coupables de crimes de guerre, avec une responsabilité légèrement amoindrie pour les rebelles.

Depuis août 2012, la spirale de la violence s'est aggravée, a indiqué la Commission et, selon le Brésilien Paulo Pinheiro, président de la commission d'enquête de l'ONU, des combattants étrangers, qui ont fait leurs armes en Libye ou en Afghanistan, sont à l'origine de la radicalisation des milices anti-régime.

Les représentants de la Commission d'enquête de l'ONU sur la Syrie à Genève, le 25 octobre 2012. De gauche à droite, Vitit Muntarbhorn, Karen Koning AbuZayd, Paulo Pinheiro, Carla del Ponte. (AFP PHOTO / FABRICE COFFRINI)


«Après tant de mois et d’année de travaux et d’enquêtes je pense que la communauté internationale et en particulier le Conseil de Sécurité doit prendre la décision de mettre en route la justice. Bien sûr, nous pensons continuer à enquêter, mais nous sommes la seule institution qui traite des crimes commis en Syrie et ils se poursuivent. Donc maintenant, vraiment, il est temps que le tribunal international et la Cour pénale internationale prenne cette affaire en main.» a déclaré Mme Carla del Ponte, au cours d'une conférence de presse à Genève, pour présenter le nouveau rapport.

«Nous proposons la Cour pénale internationale, nous ne pouvons pas décider nous-mêmes, mais nous faisons pression sur la communauté internationale pour qu'elle agisse», a-t-elle lancé avant de conclure: «Il est temps de réagir, après deux ans, il est incroyable que le Conseil  de sécurité n'ait pris aucune décision.»

  
La décision de saisir la Cour pénale internationale est du ressort du Conseil de sécurité de l'ONU, profondément divisé entre, d'un côté les pays occidentaux, et de l'autre la Russie, allié de longue-date du régime syrien, et la Chine. La Chine soutient la Russie sur la question syrienne, opposant son veto aux résolutions du Conseil de sécurité qui auraient davantage mis sous pression le régime de Bachar al-Assad. Pékin a aussi lancé plusieurs appels au dialogue pour mettre fin aux violences.

La Commission déclare détenir une liste des noms des auteurs des crimes de guerre
«Nous sommes capables d'identifier les auteurs de haut-rang de ces crimes, ceux qui décident, organisent et planifient», mais cette liste, destinée aux autorités judiciaires, reste «secrète, car c'est au tribunal de lancer sur cette base des enquêtes formelles, et de rédiger des actes d'accusation», a déclaré Mme del Ponte.

Paulo Pinheiro a, lui, rappelé que la commission «n'est pas un organe de justice». «Nous collectons l'information des deux côtés, et nous ne faisons aucune différence entre les parties au conflit», a-t-il expliqué, en refusant de donner des précisions sur cette liste.

Le rapport de la Commission d'enquête de l'ONU couvre la période de six mois allant jusqu'à la mi-janvier. Il s'appuie sur 445 entretiens avec des victimes et des témoins interrogés à l'étranger. Les enquêteurs n'ont pas été autorisés à opérer en Syrie.


La Commission d'enquête de l'ONU
La commission d'enquête de l'ONU a été créée en 2011, sous l'égide du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, pour enquêter sur la guerre civile qui oppose le régime syrien à des rebelles depuis mars 2011. Mais elle ne peut physiquement pas se rendre en Syrie pour enquêter, car le régime syrien n'a pas répondu à sa requête de venir sur place.

La commission invite le Conseil de sécurité des Nations-Unies «à agir d'urgence» pour faire en sorte que les crimes ne restent pas impunis, par exemple en saisissant la Cour pénale internationale.

«La CPI est l'institution adéquate pour lutter contre l'impunité en Syrie. En tant que structure existante jouissant d'une large approbation, elle pourrait entamer immédiatement des investigations à l'encontre d'auteurs de crimes graves commis en Syrie», lit-on dans le rapport de la Commission d'enquête de l'ONU.
 
Selon Karen Koning AbuZayd, l'un des quatre commissaires qui encadrent la vingtaine d'enquêteurs, «c'est la première fois que nous mentionnons directement la CPI. Le Conseil de sécurité doit se réunir et décider ou non de saisir la CPI». 

Mais la Syrie n'étant pas signataire des statuts de Rome instituant la CPI, le tribunal international ne pourrait être habilité à poursuivre des ressortissants syriens qu'en cas de saisine par le Conseil de sécurité, dont la Russie, un des cinq membres permanents disposant du droit de véto.

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