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Syrie : Daech et l’«industrie» du pillage archéologique
Selon l’Unesco, le groupe djihadiste Etat islamique (EI) se livre en Syrie à un pillage archéologique «à l’échelle industrielle». Un pillage nourri par des «milliers de fouilles illégales». Explications.
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«De nombreuses images prises par satellite (...) montrent des sites archéologiques en Syrie parsemés de milliers de fouilles illégales, littéralement des trous, qui témoignent d'un pillage à l'échelle industrielle», a expliqué la directrice générale de l’organisation internationale, Irina Bokova, lors d’une conférence de presse tenue à Sofia (Bulgarie), le 16 septembre 2015.
«Les six sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial ont été détruits ou endommagés, et certains pillés : par exemple Palmyre, Alep, les villages antiques au nord de la Syrie. De même, huit sites inscrits sur la Liste indicative du patrimoine mondial font également l’objet de pillages et de fouilles clandestines», expliquent les services de Mme Bukova.
Pour autant, un état des lieux est difficile à établir dans la mesure où l’organisation internationale ne peut se rendre sur place pour d’évidentes raisons de sécurité. Cependant, grâce à des informations régulièrement obtenues auprès de contacts locaux, elle a pu apprendre que des pillages ont touché plusieurs musées, alors que des fouilles continuaient sur certains sites archéologiques. Ce qui a permis au Conseil international des musées (ICOM) d’établir une Liste Rouge d'urgence des biens culturels syriens en péril.
Archéologie et idéologie
Les pillages sont menés parallèlement aux destructions à caractère idéologique, comme celle du temple de Bêl à Palmyre. Destructions par lesquelles les djihadistes entendent supprimer toutes les traces de civilisations qui ont précédé le prophète Mohammad.
La destruction du temple de Bêl à Palmyre
Apparemment, les fouilles illégales existaient déjà avant l’arrivée d’EI. Ainsi à Palmyre, les nécropoles «sont souterraines, invisibles, et on peut facilement les piller. Des soldats de l’armée syrienne ne se sont d’ailleurs pas gênés, et des photographies ont circulé, les montrant avec, dans les mains, des bustes et des têtes qui venaient sûrement des nécropoles», affirme l’ancien responsable adjoint de la direction générale des antiquités et des musées de Syrie, Michel al-Maqdissi, dans une interview au Monde.
Jusqu’en 2014, année décisive pour l’expansion de Daech, «les pillages étaient réalisés par différents groupes armés, de simples individus ou (des représentants du) régime syrien», rapporte une enquête (très complète) du Guardian. Mais c’est l’organisation djihadiste qui les a institutionnalisés et organisés à grande échelle, selon l’archéologue syrien Amr al-Azm cité par le quotidien britannique. Les objets archéologiques découverts contribuent ainsi à financer le groupe EI. Au même titre que les trafics d’armes, de pétrole ou d’êtres humains.
Au départ, les djihadistes prélevaient une taxe de 20% sur les pilleurs qu’ils autorisaient à fouiller, selon la même source. Mais par la suite, ils se sont réappropriés le processus en faisant travailler leurs propres archéologues. «C’est alors que l’on a constaté un pic dans les pillages», affirme Amr al-Azm.
Filières
Reste à savoir comment s’organisent les filières qui écoulent les objets découverts lors de ces «fouilles». «Malgré les contrôles, les pièces illicitement exportées de Syrie et d'Irak transitent essentiellement par les pays voisins, Turquie, Liban, Jordanie, Israël, pour atteindre les marchés londoniens, suisses, français, du Golfe, chinois, japonais, américains, italiens, etc. Cependant, nombre de ces pièces ne réapparaissent pas sur les marchés officiels avant des années», explique-t-on à l’Unesco.
L’Allemagne et la Suisse (notamment les places de Genève, Bâle et Zurich) seraient particulièrement concernés, selon le Guardian. Autant de pays où les objets peuvent retrouver un visage convenable avant d’être vendus aux enchères à Londres ou New York...
L’enquête du quotidien révèle le rôle de Londres, l’un des plus importants marchés d’antiquités au monde, et qui est «considéré comme une destination naturelle pour les biens pillés». L’auteure de l’enquête, Rachel Shabi, accompagnée d’Amr al-Azm, a ainsi retrouvé chez des commerçants spécialisés de la capitale britannique des antiquités provenant, selon toute vraisemblance, de Syrie ou d’Irak. Les personnes qui les proposent à ces commerçants, prétendraient souvent que les objets appartiennent depuis des lustres à leur famille. Anonymat et discrétion toujours…
Sensibilisation
Dans ce contexte, comment lutter contre ces trafics? En accélérant le processus de signature et de ratification des textes internationaux comme la Convention de 1970 sur la protection des patrimoines culturels, ou la Convention de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, répond l’Unesco. La directrice générale de l’organisation internationale a notamment demandé aux pays membres de l’UE, en particulier, de «consolider leur législation» pour stopper le phénomène. Selon elle, ces pays ont beaucoup à faire dans ce domaine.
«La sensibilisation est également un outil efficace, que ce soit dans les pays concernés auprès des communautés locales, des autorités nationales, etc., ainsi que dans les pays où le marché de l’art est très implanté. Nous avons lancé des campagnes spécifiques et travaillons plus étroitement avec le marché de l’art pour accroître la vigilance des professionnels sur la provenance des biens proposés», précise-t-on à l’Unesco. Mais tout cela n'est-il pas une goutte d'eau dans la mer pour un pays comme la Syrie, en plein chaos...?
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