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Qui sont les djihadistes en Syrie ?

Un nouveau massacre a été dénoncé le 30 janvier 2013 par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Comme toujours, opposition et régime se renvoient la responsabilité de cette tuerie (65 corps retrouvés dans un quartier d’Alep). Les accusations du régime reposent sur la présence de djihadistes dans le camp de l’opposition. Qui sont-ils ?
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Capture d'une vidéo montrant des combattants de l'opposition syrienne menaçant d'attaquer des villages chrétiens, s'ils ne font pas partir les forces officielles. (AFP/YOUTUBE)

La présence de forces djihadistes dans les combats en Syrie est largement évoquée depuis que l'opposition armée a remporté un certain nombre de victoires dans le nord du pays. Parmi les témoignages sur la présence de combattants étrangers sur le terrain, un nom revient, celui du mouvement al-Nosra (Jabhat al-Nosra, Front de la victoire) comme le montre une dépêche AFP de janvier 2013 : «La base de Taftanaz est le deuxième aéroport d'hélicoptères militaires du pays : elle est tombée aux mains de trois groupes radicaux islamistes, le Front al-Nosra, Ahrar al-Cham et Taliaa al-Islamiya.»

Jabhat al-Nosra apparaît début 2012
«Le nom Front al-Nosra est d’abord apparu en janvier 2012. Après que des attaques ont été perpétrées contre des positions de l’armée de Bachar al-Assad dans la région d’Idlib, près de la frontière turque, un enregistrement de propagande avait été diffusé sur Internet. Sur des images des attaques, un membre du mouvement annonçait la formation du groupe et appelait au djihad (la guerre sainte)», précise France24.

Extrait d'une vidéo du Front Al-Nosra de septembre 2012. (AFP PHOTO / IntelCenter)

«Le Front al-Nosra dit représenter les sunnites et vouloir se débarrasser de "l'ennemi alaouite", le clan auquel appartient Bachar al-Assad qui est une branche du chiisme. Son discours est nettement confessionnel et son but ne serait pas seulement de faire tomber le régime actuel, mais d'instaurer en Syrie un Etat islamique », ajoute RFI.

«Il s'est formé à partir d'anciens combattants d'al-Qaida en Irak, l'une des branches d'al-Qaida. Dans les années 2000, de nombreux Syriens avaient en effet combattu contre la présence américaine en Irak. Lorsque l'opposition au régime de Bachar al-Assad a commencé à s'organiser, il semble que ces hommes sont revenus en Syrie, soutenus et coordonnés par al-Qaida en Irak», affirmait au Monde Aron Lund, journaliste suédois spécialisé dans le Moyen-Orient.

Soutenus par Al-Qaida ?
Dans un combat qui semblait limpide entre opposants et régime dictatorial, l’apparition de ce groupe risque de changer l’image de l’opposition armée, aux yeux du monde. Surtout que des attentats sanglants, en pleine ville, revendiqués par ce groupe, peuvent avoir modifié la nature du combat de l'opposition syrienne. C'est ainsi que dans le nord-est du pays, les combats deviennent plus compliqués puisqu’ils opposent des Kurdes ─ qui, semble-t-il, avec l’appui du régime en difficulté, profitent de la situation pour installer une certaine autonomie ─ aux opposants armés syriens. Les rebelles ont utilisé des chars et des mortiers contre les forces kurdes. «Les affrontements se sont traduits par la morts d'au moins 56 combattants», dit l'OSDH.

Attentat à Damas dans un quartier chrétien et druze (novembre 2012) (SANA / AFP)

Quels sont les buts de ces combattants ? «Le printemps arabe va nous aider, nous les salafistes, à conquérir le monde, d’abord la ‎Tunisie, ensuite l’Egypte, la Libye, puis la Syrie et bientôt la Jordanie. Ensuite, nous ‎continuerons notre combat contre Israël et les Américains. C’est le sens de l’Histoire, on ‎ne peut pas revenir en arrière», confiait l’un des responsables de ce mouvement Abou Mohamed Ataoui, à Sara Daniel, la rédactrice en chef ‎adjointe du service Monde du Nouvel Observateur.Dans le même article, un autre responsable du mouvement revendiquait les attentats menés en ville. 

«Vous avez vu le bel attentat suicide que nous venons de faire à Damas ? Grâce à nos kamikazes, nous avons un beau palmarès !», expliquait Mohammad al-Shalabi, plus connu sous le nom d’Abu Sayyaf, qui a passé plusieurs années en prison pour des attentats en Jordanie.


Mouvement terroriste, selon Washington
Résultat, les Etats-Unis, ont décidé de classer en décembre 2012 le mouvement Jabhat al-Nosra parmi les organisations terroristes. Voice of America explique que le département d’Etat a pris cette décision car «il sert de faux nom pour al-Qaida en Irak dans le but d’infiltrer le conflit syrien». Washington souligne que le mouvement a revendiqué des attaques dans des grandes villes syriennes tuant de nombreux innocents.

Cette condamnation américaine a semé le trouble dans l’opposition syrienne. Le chef de cette opposition, Ahmed Moaz al-Khatib, a même demandé aux USA de réexaminer leur décision. Les djihadistes ont en effet donné une nouvelle force aux opposants, sur le plan militaire notamment, alors que la guerre civile s'enfonce dans la durée. Thomas Pierret estime que «les combattants d'al-Nusra montent systématiquement en première ligne et y font preuve d'un courage qui impressionne leurs compagnons d'armes. Ajoutons que les jihadistes suscitent également la sympathie en raison de leur discipline, qui contraste avec les pillages et enlèvements crapuleux pratiqués par certains éléments de la rébellion».

Manipulation de Damas ?
Certains observateurs vont plus loin et affirment avoir des doutes sur l’origine de ce mouvement. «L'inscription de Jabhat al-Nusra sur la liste des organisations terroristes internationales est un merveilleux cadeau fait à Assad, qui a qualifié ses opposants de terroristes islamistes dès les premiers jours de la révolution», note ainsi Thomas Pierret  sur son blog de Médiapart. «Le régime syrien a, dans les premières semaines du soulèvement, libéré des islamistes radicaux dont certains ont ultérieurement participé à la création de groupes tels que Jabhat al-Nusra. La genèse de ce dernier mouvement est d'ailleurs obscure, de lourds soupçons existant quant à une possible manipulation de la part des services secrets d'Assad», ajoute-t-il.


D’autres chercheurs font la même analyse. «Les milieux de l’opposition, rejoints par plusieurs analystes occidentaux, ont estimé que ce mode opératoire relevait d’une mise en scène du pouvoir. Les auteurs des premiers attentats ont, en effet, évité de causer de vrais dégâts à la cible sécuritaire supposée. Ils auraient utilisé, pour crédibiliser la tuerie, des corps de manifestants tombés plusieurs jours plus tôt en prenant soin de rendre impossible toute identification des victimes», estiment François Burgat et Romain Caillet sur le site de l’Ifpo.

Alors que les combats durent depuis près de deux ans, la Syrie risque de tomber entre les mains de groupes islamistes radicaux si la communauté internationale n'aide pas de façon plus substantielle l'opposition au président syrien Bachar al-Assad, a déclaré le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, reconnaissant ainsi l’émergence du djihadisme dans la guerre civile syrienne.

La proposition surprise de Ahmed Moaz al-Khatib, le chef de l'opposition syrienne, en faveur d'un dialogue avec le régime de Damas, traduit, peut-être, sa crainte d'un enlisement du conflit et d'une montée en puissance du rôle des islamistes radicaux.

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