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Quel crédit accorder à l’Observatoire syrien des droits de l’Homme?
L’OSDH, vous connaissez ? Il s’agit de l’autoproclamé «Observatoire syrien des droits de l’Homme», dont les informations sur la guerre en Syrie sont très souvent utilisées par les gouvernements et les médias occidentaux. Mais qui se trouve derrière ce sigle? Quels sont ses méthodes de travail ? Et ses données sont-elles fiables ? Beaucoup de questions. Et assez peu de réponses…
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«162 personnes tuées hier 25/01/2016», annonçait, le 26 janvier 2016, le site (en anglais) de l’OSDH. Et de préciser que l’on trouve notamment, dans ce sinistre bilan, «42 civils, 29 rebelles, 24 combattants islamiques non syriens, 24 membres des forces régulières».
Reste à savoir comment des informations aussi précises peuvent parvenir à cet «observatoire». Selon son directeur, Rami Abdulrahman, cité par La Croix, la structure disposait en 2012 d’un réseau «désormais composé de plus de deux cents personnes», apparemment sur place en Syrie. Réseau qui communiquerait notamment via Skype et serait coordonné par quatre hommes, eux-mêmes sur le terrain. Ces informateurs, dont plusieurs seraient morts, ne se connaîtraient pas «pour ne pas les mettre en danger au cas où l’un d’entre eux serait arrêté».
Selon le site russe en français RT (lancé par l’agence de presse gouvernementale RIA Novosti), qui l’a rencontré en 2015, son directeur connaîtrait «tous les militants travaillant pour l’observatoire». «Cependant, je connais certains activistes à travers des amis communs. L’organisation accepte les nouveaux membres après une période probatoire de six mois et le candidat doit être connu par un membre de l’Observatoire ou un contact extérieur fiable», ajoutait-il.
L’OSDH se veut professionnel. «Nous ne diffusons une information que si elle nous a été confirmée par d’autres de nos sources ou si nous recevons une vidéo ou des photos l’accompagnant», selon une certaine Hivin Kako (citée par La Croix), qui en 2012-2013 servait d’assistante à Rami Abdulrahman. Toutes les précautions seraient prises pour éviter les manipulations. «Nous avons subi de nombreuses tentatives d’infiltration de la part des services de renseignements syriens. Nous ne rendons donc publique aucune information dont ne soyons pas sûrs à 100%», expliquait le directeur à Reuters fin 2011. Reste ensuite à intégrer toutes ces données sur un site bilingue (arabe et anglais).
Basé à Coventry (Grande-Bretagne)
Mais, au-delà, qu’est-ce que cet «observatoire» ? L’OSDH, fondé en 2006, «n’est associé et n’a aucun lien avec un quelconque organisme politique», explique son site. «Nous sommes un groupe de personnes qui croient aux droits de l’Homme, à l’intérieur et à l’extérieur du pays (…). Nous coopérons avec des organisations de défense des droits de l’Homme en Syrie, dans le monde arabe et au sein de la communauté internationale, qui partagent nos buts et nos aspirations.»
La présentation n’est guère précise… On y apprend par ailleurs que le pseudonyme de son directeur, Rami Abdurrahman, est Ossama Suleiman (ou Ossama Ali Suleiman, selon La Croix). Ce dernier est un citoyen syrien de 45 ans, qui aurait échappé à la prison et se serait réfugié au Royaume Uni en 2000. Il aurait commencé à constituer son actuel réseau d’informateurs «pendant (sa) jeunesse quand il organisait des manifestations politiques clandestines», rapporte le New York Times. On peut entrer en contact avec l’observatoire via Facebook. Mais il n’a pas répondu aux sollicitations de Géopolis.
L’OSDH est apparemment basé dans une maison de Coventry en Grande-Bretagne. Rami Abdurrahman y tient un magasin de vêtements avec sa femme.
Selon RT, il a refusé de rencontrer physiquement l’un de ses reporters. Lors d’une conversation téléphonique, il semblait «très angoissé». «Il a évoqué les dangers d’une rencontre en plein jour, ‘‘…parce qu’ils veulent me tuer’’», a-t-il expliqué au représentant de l’agence gouvernementale russe, sans plus de précisions. Selon ses déclarations à Reuters, des membres de la famille de sa femme en Syrie «ont été arrêtés et battus».
A écouter Hivin Kako, Rami Abdurrahman paierait tout de sa poche et passerait une grande partie de sa vie au téléphone. En 2012-2013, à écouter son assistante, il dormait «en moyenne quatre heures par nuit». En clair : «Il n’arrête jamais.» «Je reçois des appels 24 heures sur 24», a-t-il lui-même expliqué à un journaliste de Reuters. Conclusion de ukmediawatch, site britannique d’observation des médias, le groupe qu’il dirige «n’est rien d’autre qu’un blogueur unique opérant» à partir de chez lui, «lisant et reconditionnant les blogs et les tweets d’autres personnes».
Quelle fiabilité ?
Différentes polémiques ont entaché la réputation de Rami Abdelrahmane qui n’hésiterait pas à se présenter comme «journaliste indépendant», rapporte atlantico. Selon la même source, l’homme est accusé par plusieurs spécialistes d’appartenir aux Frères musulmans syriens et de diffuser leur propagande. Ce dont il se défend. Pour l’universitaire Francis Balanche, «les pertes de l’armée syrienne sont gonflées par l’OSDH». Ce dernier est «clairement financé par des fonds saoudiens et qataris», affirme Alain Chouet, ancien de la DGSE.
Ces observateurs ne sont pas les seuls à émettre des doutes sur la fiabilité de l’information fournie par le site de l’observatoire.
infosyrie.fr l’accuse ainsi carrément d’être un «fournisseur (quasi) exclusif de fausses nouvelles», avatar «d’une officine étrangère, chargée de porter le fer et le feu dans les plaies syriennes». Ce site, lancé (selon Wikipedia) par Frédéric Châtillon, un proche de Marine Le Pen, se définit comme une «agence de réinformation sur l’actualité en Syrie» et défend le régime de Damas.
Sans aller aussi loin, le blog Un œil sur la Syrie, installé sur le site du Monde et rédigé par Ignace Leverrier, un ancien diplomate, évoque, lui, «la crédibilité perdue de Rami Abdelrahman». L’OSDH «est loin de bénéficier, dans les rangs de l'opposition syrienne, d'une véritable considération», peut-on lire sur ce blog.
Les opposants, qu’ils soient laïques ou islamistes, libéraux ou socialistes, «lui préfèrent les sites d'autres organisations dont ils ont le sentiment qu'elles (les organisations, NDLR) ne sont pas faites d'abord pour les opinions publiques occidentales, qu'elles ne se laissent pas dicter des récits et des détails douteux, et qu'elles ne s'égarent pas dans la couverture, partiale et orientée, de faits de guerre n'entretenant que de lointains rapports avec les Droits de l'Homme», poursuit Ignace Leverrier.
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