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Lettre d'une combattante de Kobané: «Mon nom inscrit à l’encre rouge»

La lettre d'une combattante de Kobané, ville syrienne à population kurde, attaquée par les hommes de l'Etat Islamique, circule sur les réseaux sociaux. Nous la publions car elle donne une réalité aux combats qui se déroulent actuellement à la frontière turque.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Suruc, Turquie, le 14 octobte2014. Emotion d'une femme kurde lors des obsèques de combattants de l'YPG (branche syrienne du PKK). Les combattants kurdes résistent aux hommes de l'EI dans la ville de Kobané, à proximité de la frontière turque. (La photo n'est pas liée au texte ci-dessous) (ARIS MESSINIS / AFP)
Dans les rangs des forces kurdes qui défendent la ville, il y a plusieurs femmes. Leur présence n'est pas un phénomène nouveau: dans les années 1990, les rebelles du PKK comptaient déjà de nombreuses combattantes dans leurs rangs. C'est d'ailleurs une femme qui dirigerait la résistance kurde à Kabané dans sa bataille contre les djihadistes. 


La lettre a notamment été diffusée par une agence de presse indépendante, basée en Turquie, et reprise par les réseaux sociaux favorables aux Kurdes et par le site de RTL Belgique. Elle serait écrite par une combattante de 19 ans, prénommée Narin, et est adressée à sa mère.

La lettre

«Je vais bien maman, hier nous avons fêté mon 19ème anniversaire.
Mon ami Azad (prénom qui signifie en arabe, comme en turc, en arménien ou en perse : liberté) a chanté une belle chanson sur les mères. Je me suis souvenue de toi et j’en ai pleuré. Azad a une très belle voix, il pleurait aussi en chantant. Sa mère qu’il n’a pas vue depuis un an à lui aussi lui manquait.

Hier, nous avons aidé un ami blessé. Il a été blessé par deux balles. Il ne savait pas trop à propos de la deuxième blessure quand il a montré la première balle dans sa poitrine. Il saignait aussi de son flanc, nous avons bandé ses blessures et je lui ai donné mon sang.

Nous sommes dans la partie Est de Kobanê, mère…  il reste seulement quelques kilomètres entre eux et nous. Nous voyons leurs drapeaux noirs, nous écoutons leurs radios, parfois nous ne comprenons pas ce qu’ils disent quand ils parlent dans des langues étrangères mais nous pouvons dire qu’ils ont peur.

Nous sommes dans un groupe de 9 combattants. Le plus jeune, Resho vient de Afrin (ville syrienne du gouvernorat d’Alep). Il a combattu à Tal Abyad (ville du gouvernorat de Raqqah à la frontière turco-syrienne) et nous a rejoints. Alan est de Qamishlo (ville du governorat d’Al Hasakah, à la frontière turco syrienne, non loin de l’Iraq), il a combattu à Sere Kaniye (gouvernorat d’Al Hasakah à la frontière turco-syrienne) et nous a rejoints. Il a quelques cicatrices sur le corps. Il nous dit que c’est pour Avin.

Le plus vieux est de Dersim, des montagnes du Qandil (région à majorité zaza et alevie (minorité proche du rite chiite, NDLR) dans l’est de l’Anatolie), et sa femme fut suppliciée à Diyerbakir (grande ville à forte majorité kurde de l’est de la Turquie) le laissant avec deux enfants.

Nous sommes dans une maison en bordure de Kobanê. Nous ne savons trop rien de ses habitants. Il y a des photos d’un vieil homme et une autre d’un jeune homme avec un bandeau noir, qui paraît être un martyr… Il y a une photo de Qazi Mohamad (leader du mouvement autonomiste iranien exécuté en 1947), Mulla Mustafa Barzani (leader kurde, président fondateur du parti démocratique du Kurdistan irakien), Apo (Abudllah Öçalan, chef de file du PKK détenu par la Turquie), et une vieille carte ottomane mentionnant le nom du Kurdistan. (Nota : En 1920, le traité de Sèvres prévoyait la création d’un État kurde sur les restes de l’Empire Ottoman détruit, comme pour les autres peuples de la région. Mais par le traité de Lausanne de 1923, le Moyen Orient est divisé en plusieurs pays qui ne prennent pas en compte le droit des Kurdes à disposer de leurs terres).

Un jour tu chercheras la maison qui aura été témoin de mes derniers jours
Nous n’avons pas eu de café depuis longtemps, nous nous sommes aperçus que la vie était belle même sans café. Honnêtement je n’ai jamais eu d’aussi bon café que le tien, maman.

Nous sommes ici pour défendre une ville pacifiste. Nous ne nous sommes jamais adonné à la tuerie de qui que ce soit, au contraire nous avons donné refuge à de nombreux blessés et réfugiés parmi nos frères syriens. Nous défendons une ville musulmane qui a des dizaines de mosquées. Nous la défendons des forces barbares. Mère, je te rendrais visite une fois que cette sale guerre qui nous a été imposée sera terminée. Je serais là avec mon ami Dersim qui ira à Diyerbakir pour voir ses enfants. Nos foyers à tous nous manquent et nous voulons revenir mais cette guerre ne sait pas ce que «manquer» veut dire. Peut-être que je ne reviendrais pas, mère. Alors sois assurée que j’ai rêvé de te voir depuis tellement longtemps mais que je n’ai pas eu cette chance.

Je sais que tu visiteras Kobanê un jour et chercheras la maison qui aura été témoin de mes derniers jours… c’est l’une d’entre elles sur la partie est de Kobanê. Une partie est endommagée, elle a une porte verte avec de nombreux trous dû aux tirs de snipers et tu verras 3 fenêtres, l’une donnant sur l’est, tu y verras mon nom inscrit à l’encre rouge… Derrière cette fenêtre, mère j’ai attendu en comptant mes derniers instants à regarder la lumière du soleil comme elle pénétrait ma chambre à travers ses trous causés par les balles…

Derrière cette fenêtre, Azad a chanté sa dernière chanson à propos de sa mère, il avait une voix magnifique quand il a dit: Maman tu me manques».

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