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Les limites de l'engagement de Vladimir Poutine en Syrie

Cinq mois après l'engagement des forces russes en Syrie, Dominique Derda, le correspondant de France 2 à Moscou, revient sur la stratégie de Vladimir Poutine sur le terrain. Et les avantages qu'elle présente pour le locataire du Kremlin.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Assiettes sur lesquelles figurent les présidents syrien Bachar al-Assad et son homologue russe Vladimir Poutine (G) dans une boutique d'artisanat de la capitale syrienne, Damas, le 4 février 2016. (JOSEPH EID / AFP)

Jusqu'où Poutine veut-il aller militairement en Syrie?
Lorsque Vladimir Poutine a envoyé son aviation en Syrie en septembre 2015, la Russie était au ban de la communauté internationale depuis l'annexion de la Crimée un an et demi plus tôt et son soutien avéré aux séparatistes du Donbass. A Damas, le régime de Bachar al-Assad, lui, ne tenait plus à grand chose. Le président russe avait un objectif principal: que la Russie, comme l'URSS avant elle, redevienne un acteur incontournable sur la scène internationale. De ce point de vue-là, son plan a parfaitement réussi. Il a sauvé, temporairement tout au moins, le régime de Bachar al-Assad et permis à son armée, grâce aux intenses bombardements de l'aviation russe, de reprendre du terrain. On le voit à Alep aujourd'hui. On le verra ailleurs sans doute bientôt.
 
Plus rien désormais en Syrie ne pourra se décider sans la Russie. Pour le pouvoir russe, c'est là l'essentiel. Le reste, les accusations de bombardements aveugles qui font de nombreuses victimes dans la population civile, à ses yeux, ce sont des détails vite balayés d'un revers de main par le porte-parole du Kremlin ou celui du ministère de la Défense. «Montrez nous les preuves», répétait encore le général Igor Konashenkov le 16 février 2016 depuis la base aérienne russe non loin de Lattaquié.
 
Vladimir Poutine s'adresse aussi à son opinion publique avec un message qui flatte la fierté nationale. L'époque où la Russie avait perdu son statut de super-puissance est révolue. Elle est de retour, prête à défendre ses intérêts où que ce soit dans le monde, et il faudra désormais compter avec elle. Un message qui passe d'autant mieux auprès de ses partisans que les médias, à la solde du pouvoir, relaient en boucle la propagande officielle et les images, spectaculaires, des frappes aériennes vues du ciel. 

Mécanicien russe sur une base aérienne en Syrie. (Dmitriy Vinogradov / RIA Novosti)
 
Quelles forces russes y a-t-il engagé, et cela pèse-t-il sur les finances russes? 
Il faut distinguer plusieurs choses: l'aviation, les troupes au sol et, dans une moindre mesure, la marine. 
 
Si l'on en croit le ministre russe de la Défense, une cinquantaine d'avions de combat auraient été déployés en Syrie. Auxquels il faut ajouter des chasseurs qui protègent ces avions depuis que l'un d'entre eux a été abattu par l'aviation turque le 24 novembre 2015, ainsi que des hélicoptères et des drones d'observation. Sans oublier des bombardiers stratégiques à long rayon d'action qui sont intervenus à plusieurs reprises mais depuis leurs bases situées en Russie. 
 
A l'automne, on estimait à 5000 le nombre de soldats russes présents sur le sol syrien. Le personnel nécessaire au fonctionnement des moyens aériens ainsi que du port de Tartous où la Russie dispose d'une petite base maritime. Ce chiffre, sans doute sous-estimé, ne tient évidemment pas compte des nombreux «conseillers militaires» qui, eux, sont présents à la fois dans des centres d'entraînement et de formation où ils enseignent aux soldats syriens le maniement d'armes «made in Russia», mais aussi sur les lignes de front aux côtés de l'armée de Bachar al-Assad. Le 4 février 2016, la Russie a confirmé la mort de l'un d'entre eux sans préciser dans quelles circonstances mais en s'empressant de souligner qu'il ne prenait pas part aux combats. Ce qui ne convainc guère les observateurs. A commencer par les rebelles syriens qui se disent persuadés du contraire. 
 
Dans cette grande démonstration de force, la marine russe n'est pas en reste puisque c'est de ses navires qu'ont été tirés, depuis la mer Caspienne, le 7 octobre 2015 (jour de l'anniversaire de Vladimir Poutine), pas moins de 26 missiles de croisière. Une opération spectaculaire renouvelée à plusieurs reprises: 18 missiles tirés à nouveau le 20 novembre de la Caspienne puis une autre volée, le 8 décembre, depuis un sous-marin qui naviguait en Méditerranée. 
 
Un message reçu cinq sur cinq dans les état-majors occidentaux. La Russie se donne les moyens de ses ambitions internationales et affiche sa puissance. Elle est capable non seulement de déployer en un temps record des milliers d'hommes mais aussi de frapper loin et fort. A plusieurs milliers de kilomètres. Avec des missiles qui pourraient bien, si besoin était, recevoir un jour des ogives nucléaires et pas simplement classiques.
 
Interrogé sur le coût de cette opération militaire en Syrie lors de sa conférence de presse annuelle le 17 décembre, Vladimir Poutine a répondu que ce n'était pas un fardeau supplémentaire pour le budget national: «Nous organisons régulièrement des manœuvres militaires d'envergure et nous avons juste pris une partie de dépenses prévues pour ces manœuvres pour mener une opération en Syrie. Il est difficile d'imaginer de meilleurs entraînements.» 
 
Mais pas un mot, lors de son allocution, au sujet des «débats collatéraux» que font ces «manœuvres» parmi la population civile en Syrie...
 
Rappelons au passage que cette intervention militaire est aussi pour l'industrie de défense russe la vitrine idéale et grandeur nature de son savoir-faire en matière d'armement. De la même manière, toutes proportions gardées, pour le constructeur français Dassault, que l'utilisation du Rafale, dans la coalition internationale.

Après des frappes russes sur des zones résidentielles, dans le quartier de Bustan al-Qasr, quartier d'Alep, en Syrie, le 21 janvier 2016. (Beha el Halebi / ANADOLU AGENCY)
 
Poutine parle, par la voix de son Premier ministre, d'une nouvelle guerre froide, qu'a-t-il à y gagner?
C'est un discours qui, à mon avis, est d'abord à usage interne. En période de grave crise économique, comme c'est le cas actuellement en Russie, Vladimir Poutine a besoin de détourner l'attention de ses concitoyens qui, comme le dit très justement le journaliste Sergei Buntman, de la radio indépendante l'Echo de Moscou, pourraient avoir tendance à se détourner de leur téléviseur pour regarder ce qu'ils ne trouvent plus dans leur frigo. Comme toujours en pareil cas, en Russie, il faut dénoncer des coupables, si possible étrangers ou à la solde des étrangers. Les Etats-Unis, plus que jamais depuis la chute du régime soviétique, sont à nouveau désignés comme l'ennemi, responsable de tous les maux non seulement de la Russie mais de la terre entière. 
 
Il y a quelques jours, des anonymes ont projeté sur des facades en plein cœur de Moscou une animation vidéo qui additionnait le nombre de morts en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye mais aussi, pour une raison étrange, en Ukraine, et faisait de Barack Obama le «tueur numéro 1» dans le monde avec des cornes qui lui posaient sur le front et le faisaient ressembler à un diable. Un diplomate américain de haut rang que j'ai interrogé à ce sujet me disait que, comme à chaque fois, les autorités russes lui avaient répondu que c'était là l'illustration de la liberté d'expression qui régnait dans ce pays et qu'il devrait s'en féliciter... Il ne se passe pas une semaine sans que «spontanément» des jeunes gens présentés comme de «simples étudiants» ou des «artistes» ne réalisent des clips ou des «œuvres d'art» qui dénoncent les «exactions» des Etats-Unis et de leur président. 
 
Cette agitation anti-américaine parvient-elle à convaincre? Les sondages disent autre chose. Dans une enquête d'opinion dont les résultats ont été publiés dans la semaine du 8 au 14 février, seuls 18% des Russes disent craindre que leur pays s'implique dans un conflit avec les Etats-Unis et les pays musulmans alors que 46% déclarent avant toute chose redouter une crise économique et financière et 27% le chômage. Un sondage riche d'enseignements puisqu'il nous apprend aussi que 17% des personnes interrogées placent en tête de leurs préoccupations le risque de chaos politique. 
 
C'est sur la stabilité politique et la prospérité économique que Vladimir Poutine a bâti en grande partie sa popularité. Sur le retour aussi de la fierté nationale. A l'heure où le prix du baril est au plus bas, où le cours du rouble ne cesse de s'effondrer face au dollar et à l'euro, où le nombre de chômeurs, lui, monte en flèche, le président russe a besoin de trouver ailleurs à qui faire porter le chapeau. Peu avant les fêtes de fin d'année, un caricaturiste l'a représenté assis sur les genoux du Père Noël. «S'il te plaît, disait Vladimir Poutine, donne moi de nouveaux ennemis.» 

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