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[Exclusif] Hans Blix sur la Syrie: toute la loi, rien que la loi

Hans Blix a été chef des inspecteurs de l’ONU en Irak en 2002-2003, juste avant l’invasion américaine de ce pays. Après 700 visites de sites, ses équipes n’avaient pas conclu à l’existence d’armes de destruction massive. Contrairement aux affirmations des USA. Il donne ici son avis sur la crise syrienne après l’attaque chimique d’août 2013, et sa gestion par la communauté internationale.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
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Hans Blix à Washington le 21-2-2012. (AFP - Karen Bleier)

Russie et Etats-Unis ont signé un accord sur les armes chimiques dans le cadre de l’ONU. Dans ce contexte, la perspective d’une attaque américaine et française sur la Syrie semble s’éloigner. Que pensez-vous de la gestion de la crise par les Occidentaux d’un côté, la Russie de l’autre ?

Très positivement ! Un tel accord était dans l’intérêt des Américains et des Russes. Les Américains sauvent la face. Il faut voir qu’Obama n’avait pas très envie d’intervenir en Syrie. Il n’était pas sûr d’avoir la majorité au Congrès, son opinion était opposée à une intervention. Et il ignorait les conséquences d’une frappe.
 
Pour les Russes, le fait de ne pas contourner l’ONU était très important. Ils savaient que celle-ci aurait refusé le principe d’une attaque et il s’agissait de ne pas répéter le scénario de 2003 contre l’Irak. Ils ne voulaient pas perdre l’influence qu’ils exercent au sein des Nations Unies. Ils voulaient aussi empêcher que l’ONU soit remplacée par les Etats-Unis dans le rôle de gendarme international.

Dans une interview au «Monde», vous dites qu’en Irak en 2002-2003 et en Syrie aujourd’hui, l’on a assisté «à une dangereuse escalade de la rhétorique». Dans le «Huffington Post», vous expliquez que «la dynamique politique s’est emballée et devance l’application régulière des procédures normales». Cela signifie-t-il que l’émotion et l’aspect moral, avec l’évocation de scénarios «punitifs», l’emportent sur le droit et les procédures internationales ? Quel rapport faites-vous entre les crises irakienne et syrienne ?

Casques bleus de l'ONU brésiliens à Port-au-Prince, capitale d'Haïti, le 19-4-2009 (AFP - Thony Belizaire)

Je m’en tiens à «l’application régulière des procédures normales». Les «procédures normales», c'est-à-dire passer par l’ONU et la Convention sur les armes chimiques. C’est le chemin souhaitable pour développer le rôle de la communauté internationale. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous n’avons pas une bonne police mondiale. Mais graduellement, celle-ci émerge de la jungle. Elle a déjà su jouer son rôle. Ainsi, dans les années 90, elle a contribué à rétablir la souveraineté du Koweit et a mis sur pied plusieurs missions de maintien de la paix.

Le problème, c’est le mépris des Etats-Unis vis-à-vis des Nations Unies. Contrairement au discours tenu par Barack Obama lors de la remise du prix Nobel de la paix à Oslo (le 10 décembre 2009, NDLR), qui évoquait la nécessité d’adhérer aux «normes internationales» («international standards»).

C’est là que l’on peut établir une constante entre les crises irakienne et syrienne : à savoir l’empressement des Etats-Unis à intervenir hors du cadre des Nations Unies, unilatéralement et seuls. Sauf qu’en Syrie, les informations fournies par les services secrets américains étaient meilleures.
 
Car en ce qui concerne l’attaque chimique d’août 2013, les preuves semblent montrer qu’elle a été menée par le régime de Damas. Même si, comme le disent les Russes, elle n’était pas dans l’intérêt de ce dernier.   
 
Comment voyez-vous l’évolution de la situation en Syrie ?

Une première étape a été franchie grâce à l’accord entre la Russie et les Etats-Unis. Des inspecteurs sont sur place en Syrie pour vérifier les informations fournies par le régime et superviser la destruction des armes chimiques. Un travail évidemment difficile.

Dans les rues de Deir al-Zor (à 450 km à l'est de Damas) le 19-4-2013. (Reuters - Khalil Ashawi)

Mais l’étape suivante est encore plus difficile : il s’agit d’obtenir un cessez-le-feu sur le terrain pour faire cesser les massacres, les flots de réfugiés. Alors que le carburant qui entretient le feu du conflit continue à couler. Le carburant, c'est-à-dire les livraisons d’armes : celles faites aux rebelles syriens par l’Arabie saoudite et le Qatar, et celles faites au régime de Damas par l’Iran et la Russie. C’est ce qui permet la poursuite de la guerre. Les difficultés sont renforcées par la présence, au sein des rebelles, de groupes liés à al-Qaïda.
 
Dans ce contexte, la détente apparue dans les relations entre les Etats-Unis et l’Iran pourrait faciliter les choses. Car elle pourrait permettre de trouver un accord sur le nucléaire iranien. Lequel serait susceptible de rassurer les sunnites, au premier rang desquels l’Arabie saoudite, inquiets de voir l’Iran chiite acquérir l’arme nucléaire.
 
Cela permet de mieux comprendre l’attitude des uns et des autres dans la crise syrienne actuelle, liée à l’utilisation d’armes chimiques.

Il faut voir que des attaques chimiques massives, il y en a déjà eu en 1988 en Irak. A l’époque, tout le monde s’était tu. Cela n’a pas été le cas en Syrie. Mais là se profile le dossier nucléaire iranien. Obama ayant fixé en 2012 une «ligne rouge» avec les armements chimiques, c’était la crédibilité des Etats-Unis qui était en jeu. A savoir celle de mener une attaque contre ces équipements. Au-delà, c’était sa crédibilité à lancer des frappes contre l’Iran, importante pour Israël et l’Arabie.

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