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Ukraine: Vladimir Poutine veut-il la guerre?
Le 4 février 2015, Géopolis a mis en ligne une interview de l’universitaire français Jacques Sapir sur «le double discours» des Occidentaux en Ukraine où la guerre fait rage. Le correspondant de France 2 à Moscou, Alban Mikoczy, a recueilli les avis d’experts russes sur les opinions exprimées par ce professeur à l’Ecole économique de Moscou.
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Poutine veut-il que la guerre en Ukraine se poursuive ?
La guerre sur le terrain n'est pour la Russie qu'un moyen, parmi d'autres, de reprendre le contrôle de l'Ukraine. Pour bien comprendre, il faut revenir à la situation précédente. Il y a 18 mois, l'Ukraine était administrée par un régime (celui de Yanoukovitch) qui prenait une grande partie de ses directives à Moscou. Avec l'Ukraine, le Kremlin pouvait compter sur un allié, à qui on laissait quelques libertés, mais qui, sur l'essentiel, savait se montrer fidèle.
Les évènements de Maïdan ont précipité la chute de ce régime qui a été remplacé dans une forme de «coup d'état populaire» par un autre régime, totalement opposé à Moscou. Très vite, le Kremlin en a contesté la légitimité. Mais surtout, les Russes ont lancé une politique de récupération de l'Ukraine. Cela a commencé en Crimée, région dont le rattachement à la Russie s'est fait rapidement et sans violence.
C'est plus compliqué pour l'Ukraine continentale pour une raison fondamentale. Les habitants de ce pays ne s'opposaient pas sur des critères ethniques (comme en ex-Yougoslavie) ou sur une ligne de partage bien précise. Certes, beaucoup ont des origines russes, presque tous parlent la langue russe sans difficulté, mais ils s'étaient habitués à leur nouveau pays et ne voyaient pas de raison de le rejeter.
Les plus importantes manifestations, organisées à Donetsk, par les pro-Russes n'ont jamais rassemblé plus de quelques milliers de personnes. C'est bien peu pour une bassin de population de plusieurs millions d'habitants.
Selon Pavel Fenguelgauer, expert militaire russe : «Poutine ne veut pas forcément la continuation de la guerre, il veut juste gagner, faire revenir l'Ukraine dans le monde russe, quelqu'en soit le coût». La guerre est un moyen d'affaiblir, de saper l'autorité du président Porochenko et de son gouvernement, bien plus qu'une volonté d'annexer une région – le Donbass – pratiquement ruinée.
Donc, la guerre est un moyen, évidemment pas une finalité. Même si, estime Serguei Parkhomenko, journaliste à la radio Echo de Moscou, «elle lui permet aussi de flatter le nationalisme russe et ainsi de conforter son pouvoir en Russie auprès de l'opinion publique».
Dans quelle mesure, le Kremlin cherche-t-il à contrecarrer l'influence occidentale (UE - Otan) dans la région ?
C'est effectivement l'une des clefs de ce conflit. Et l'on peut comprendre que le Kremlin soit inquiet de la politique d'encerclement qu'il croit percevoir. «Comment réagiraient les Etats-Unis si le Canada adhérait à une alliance militaire clairement hostile ?», interrroge Dmitri Ragozine, vice-premier ministre chargé des questions stratégiques.
On retrouve ici un schéma finalement proche de ce que fit l'Union Soviétique après la Deuxième guerre mondiale. Dans la partie de l'Europe qu'elle prétendait sienne, elle a tout fait pour empêcher la réussite de mouvements politiques indépendants. Quitte à utiliser la force barbare comme en 1956 à Budapest ou en 1968 à Prague, ou encore de manière moins extrême en Pologne en 1981.
A court terme, l'Union soviétique avait réussi à conserver son emprise, à empêcher toute dissidence. Mais 20 ans plus tard, ces pays ont profité d'un moment de faiblesse de la Russie pour prendre leur indépendance politique et choisir l'Europe.
Cela peut-il se passer en Ukraine ? C'est un scénario très sérieux. Militairement, la Russie pourrait sans difficulté reprendre le pouvoir à Kiev en quelques jours si elle le souhaitait vraiment... Mais le coût politique en matière d'isolement international et économique serait très lourd. Pour, au final, risquer de tout perdre à moyen terme.
Du coup, apparaît, selon Pavel Fenguegauer, un scénario «bis»: «Le Kremlin n'a pas besoin du Donbass. Il veut toute l'Ukraine donc il lui faut déstabiliser le régime de Kiev, chasser les élements pro-occidentaux du pouvoir et réinstaller des hommes plus fidèles.»
Pour cela, chaque jour de guerre qui passe renforce cette stratégie en affaiblissant Porochenko. L'Ukraine est à bout de souffle financièrement, militairement, et le régime de Kiev est de plus en plus impopulaire. Cette tactique se heurte toutefois à une difficulté ; les leaders de la DNR et de la LNR, les mouvements séparatistes, ne semblent pas en mesure d'offrir la moindre alternative politique crédible.
Cherche-t-il à restaurer une mythique «grande Russie» en s'appuyant sur les minorités russophones ?
Ce n'est qu'une stratégie de communication. La preuve, estime Dimitri Orechkine, analyste politique indépendant à Moscou : «En Asie Centrale, notamment au Turkménistan, la situation de la minorité russe est douloureuse. 150.000 personnes doivent renoncer avec tout lien avec leur culture, leur langue, leur religion. Mais là, Poutine n'intervient pas».
Si le Kremlin ne fait rien dans ces pays, c'est parce qu'il n'a aucun poids, aucun relais. Et qu'une opération militaire se terminerait par un affrontement contre le monde musulman et sans doute une déroute, comme en Afghanistan au début des années 80. Donc la Russie ne prendra pas le risque. Pas plus qu'elle ne le prend en Orient quand il s'agit de s'opposer à l'expansion démographique chinoise qui progresse au sein même du territoire actuel de la Russie. Ce sont des sujets tabous sur lesquels un voile de silence est jeté.
En revanche, la Russie pense que les démocraties européennes sont faibles, lâches et rongées de l'intérieur par une cinquième colonne toujours prête à trahir pour de l'argent, par exemple. Voilà pourquoi, elle peut encore accentuer la pression en agitant des tendances séparatistes dans d'autres territoires (Transdniestrie, Moldavie, Lettonie notamment).
«Si Poutine en a besoin, il provoquera de nouveaux conflits aux marges de l'Occident», affirme Sergueï Parkhomenko.
Voilà aussi pourquoi, la Russie finance de plus en plus largement des «réseaux pro-Kremlin», en France notamment. Moscou a crée en quelques mois, une agence de vente d'images, une agence de presse avec un service en français et quelques obscures chaires d'enseignement pour des intellectuels complices qui sont en fait chargés de publier sur internet les arguments du Kremlin.
La guerre sur le terrain n'est pour la Russie qu'un moyen, parmi d'autres, de reprendre le contrôle de l'Ukraine. Pour bien comprendre, il faut revenir à la situation précédente. Il y a 18 mois, l'Ukraine était administrée par un régime (celui de Yanoukovitch) qui prenait une grande partie de ses directives à Moscou. Avec l'Ukraine, le Kremlin pouvait compter sur un allié, à qui on laissait quelques libertés, mais qui, sur l'essentiel, savait se montrer fidèle.
Les évènements de Maïdan ont précipité la chute de ce régime qui a été remplacé dans une forme de «coup d'état populaire» par un autre régime, totalement opposé à Moscou. Très vite, le Kremlin en a contesté la légitimité. Mais surtout, les Russes ont lancé une politique de récupération de l'Ukraine. Cela a commencé en Crimée, région dont le rattachement à la Russie s'est fait rapidement et sans violence.
C'est plus compliqué pour l'Ukraine continentale pour une raison fondamentale. Les habitants de ce pays ne s'opposaient pas sur des critères ethniques (comme en ex-Yougoslavie) ou sur une ligne de partage bien précise. Certes, beaucoup ont des origines russes, presque tous parlent la langue russe sans difficulté, mais ils s'étaient habitués à leur nouveau pays et ne voyaient pas de raison de le rejeter.
Les plus importantes manifestations, organisées à Donetsk, par les pro-Russes n'ont jamais rassemblé plus de quelques milliers de personnes. C'est bien peu pour une bassin de population de plusieurs millions d'habitants.
Selon Pavel Fenguelgauer, expert militaire russe : «Poutine ne veut pas forcément la continuation de la guerre, il veut juste gagner, faire revenir l'Ukraine dans le monde russe, quelqu'en soit le coût». La guerre est un moyen d'affaiblir, de saper l'autorité du président Porochenko et de son gouvernement, bien plus qu'une volonté d'annexer une région – le Donbass – pratiquement ruinée.
Donc, la guerre est un moyen, évidemment pas une finalité. Même si, estime Serguei Parkhomenko, journaliste à la radio Echo de Moscou, «elle lui permet aussi de flatter le nationalisme russe et ainsi de conforter son pouvoir en Russie auprès de l'opinion publique».
Dans quelle mesure, le Kremlin cherche-t-il à contrecarrer l'influence occidentale (UE - Otan) dans la région ?
C'est effectivement l'une des clefs de ce conflit. Et l'on peut comprendre que le Kremlin soit inquiet de la politique d'encerclement qu'il croit percevoir. «Comment réagiraient les Etats-Unis si le Canada adhérait à une alliance militaire clairement hostile ?», interrroge Dmitri Ragozine, vice-premier ministre chargé des questions stratégiques.
On retrouve ici un schéma finalement proche de ce que fit l'Union Soviétique après la Deuxième guerre mondiale. Dans la partie de l'Europe qu'elle prétendait sienne, elle a tout fait pour empêcher la réussite de mouvements politiques indépendants. Quitte à utiliser la force barbare comme en 1956 à Budapest ou en 1968 à Prague, ou encore de manière moins extrême en Pologne en 1981.
A court terme, l'Union soviétique avait réussi à conserver son emprise, à empêcher toute dissidence. Mais 20 ans plus tard, ces pays ont profité d'un moment de faiblesse de la Russie pour prendre leur indépendance politique et choisir l'Europe.
Cela peut-il se passer en Ukraine ? C'est un scénario très sérieux. Militairement, la Russie pourrait sans difficulté reprendre le pouvoir à Kiev en quelques jours si elle le souhaitait vraiment... Mais le coût politique en matière d'isolement international et économique serait très lourd. Pour, au final, risquer de tout perdre à moyen terme.
Du coup, apparaît, selon Pavel Fenguegauer, un scénario «bis»: «Le Kremlin n'a pas besoin du Donbass. Il veut toute l'Ukraine donc il lui faut déstabiliser le régime de Kiev, chasser les élements pro-occidentaux du pouvoir et réinstaller des hommes plus fidèles.»
Pour cela, chaque jour de guerre qui passe renforce cette stratégie en affaiblissant Porochenko. L'Ukraine est à bout de souffle financièrement, militairement, et le régime de Kiev est de plus en plus impopulaire. Cette tactique se heurte toutefois à une difficulté ; les leaders de la DNR et de la LNR, les mouvements séparatistes, ne semblent pas en mesure d'offrir la moindre alternative politique crédible.
Cherche-t-il à restaurer une mythique «grande Russie» en s'appuyant sur les minorités russophones ?
Ce n'est qu'une stratégie de communication. La preuve, estime Dimitri Orechkine, analyste politique indépendant à Moscou : «En Asie Centrale, notamment au Turkménistan, la situation de la minorité russe est douloureuse. 150.000 personnes doivent renoncer avec tout lien avec leur culture, leur langue, leur religion. Mais là, Poutine n'intervient pas».
Si le Kremlin ne fait rien dans ces pays, c'est parce qu'il n'a aucun poids, aucun relais. Et qu'une opération militaire se terminerait par un affrontement contre le monde musulman et sans doute une déroute, comme en Afghanistan au début des années 80. Donc la Russie ne prendra pas le risque. Pas plus qu'elle ne le prend en Orient quand il s'agit de s'opposer à l'expansion démographique chinoise qui progresse au sein même du territoire actuel de la Russie. Ce sont des sujets tabous sur lesquels un voile de silence est jeté.
En revanche, la Russie pense que les démocraties européennes sont faibles, lâches et rongées de l'intérieur par une cinquième colonne toujours prête à trahir pour de l'argent, par exemple. Voilà pourquoi, elle peut encore accentuer la pression en agitant des tendances séparatistes dans d'autres territoires (Transdniestrie, Moldavie, Lettonie notamment).
«Si Poutine en a besoin, il provoquera de nouveaux conflits aux marges de l'Occident», affirme Sergueï Parkhomenko.
Voilà aussi pourquoi, la Russie finance de plus en plus largement des «réseaux pro-Kremlin», en France notamment. Moscou a crée en quelques mois, une agence de vente d'images, une agence de presse avec un service en français et quelques obscures chaires d'enseignement pour des intellectuels complices qui sont en fait chargés de publier sur internet les arguments du Kremlin.
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