Cet article date de plus de dix ans.
Ukraine-Russie : quels risques d'escalade ?
Incidents à répétition, escalade verbale, manœuvres militaires... la tension ne cesse de monter autour de l’Ukraine. Mais doit on craindre une escalade façon guerre froide ou pire encore des opérations militaires ? Avec pour conséquences l'intervention de puissances extérieures ?
Publié
Temps de lecture : 8min
Incidents à répétition
Sept personnes ont été blessées dans une explosion à un barrage tenu par des nationalistes ukrainiens près d'Odessa, sur les bords de la mer Noire, non loin de la frontière occidentale du pays vendredi 25 avril ; attaque meurtrière d’un barrage tenu par des pro-russes dans l’est de l’Ukraine… Sur le terrain, la tension est forte une semaine après les accords de Genève.
Escalade verbale
Tension sur le terrain, mais aussi escalade verbale entre Moscou d’un côté et les USA – timidement secondés par l’Union européenne – de l’autre. La Russie «n'a pas pris la moindre initiative» pour mettre en œuvre l'accord conclu à Genève pour faire baisser la tension en Ukraine, a tonné le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, dénonçant «une erreur coûteuse».
Washington répondait indirectement aux propos tenus par Vladimir Poutine après l’attaque du barrage pro-russe par des forces ukrainiennes : «Si le régime actuel à Kiev a vraiment commencé à utiliser l'armée contre la population dans le pays, c'est un crime très grave contre son propre peuple», a lancé le président russe. Il a averti que cette opération aurait «des conséquences pour les gens qui prennent ces décisions». Quant à Kiev, il continue à employer le mot de «terroristes» pour qualifier les populations se disant pro-russes et met en cause Moscou : «Nous exigeons que la Russie cesse de s'ingérer dans nos affaires intérieures, cesse le chantage et les menaces, et retire ses troupes de la frontière orientale de l'Ukraine».
Le leader des séparatistes de Slavyansk, Viatcheslav Ponomarev, avait demandé le 20 avril à Vladimir Poutine d'envoyer des troupes russes pour soutenir les insurgés, renforçant les craintes d'une intervention. Le 23, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, avait averti que la Russie était prête à intervenir si ses intérêts étaient menacés dans l'est de l'Ukraine, faisant le parallèle avec l'Ossétie du Sud. Pour l'instant, officiellement, aucune force russe n'a cependant franchi la frontière.
Manœuvres militaires
Après les incidents du 24 avril, Moscou a annoncé de nouvelles manœuvres militaires, une façon de montrer ses muscles… sans entrer en Ukraine toutefois. Immédiatement, Washington a réagi en qualifiant les nouveaux exercices menés à la frontière par l'armée russe de «menaçants», tout en se lançant lui aussi dans des manœuvres dans les anciens pays de l’est, en Europe. Les Etats-Unis ont déployé 600 soldats en Pologne et dans les pays baltes. Paris a envoyé trois Rafale en Pologne. D’ailleurs, Moscou justifie ses propres manœuvres en évoquant celles des Américains. «Les exercices prévus par les forces de l'Otan en Pologne et dans les pays baltes ne favorisent pas davantage une normalisation de la situation entourant l'Ukraine», a affirmé le ministre russe de la Défense. «Nous sommes contraints de réagir à cette évolution de la situation», a-t-il ajouté.
Quels sont les risques d’escalade ?
Les «observateurs» sont quasi unanimes à estimer que le risque d’escalade incontrôlé est faible. «La crise devrait se dénouer par une négociation très dure. Après avoir fait monter les enchères, Moscou va chercher à engranger le maximum de bénéfices pour le long terme, c'est-à-dire l'entrée progressive de l'ensemble de l'Ukraine dans la sphère d'influence de la Russie dans le cadre du grand dessein d'Union eurasiatique», estime, dans Le Figaro François Géré, historien et spécialiste en géostratégie, président fondateur de l'Institut français d'analyse stratégique. Le spécialiste ne voit pas de guerre possible, rappelant le principe qui gouvernait la guerre froide, l'équilibre de la terreur : «Il serait prématuré de parler de guerre en Europe, voire de guerre mondiale. Les verrous nucléaires fonctionnent même si les gouvernements se gardent bien d'en parler.»
Un autre spécialiste, Philippe Migault, directeur de recherche à l’IRIS, explique les craintes de la Russie : «Le vrai problème, c’est l’OTAN, c’est l’influence américaine en Europe. La Russie ne veut pas que la frontière de l’OTAN, qui est déjà à 130 kilomètres de Saint-Pétersbourg, avance jusqu’à 500 kilomètres de Moscou. Cela peut se comprendre. Comment les Américains réagiraient-ils si demain un régime de type chaviste, ouvertement hostile à Washington, l’emportait dans toute l’Amérique Latine et s’étendait jusqu’au Rio Grande? Mal, je pense». Pour lui, le danger pourrait venir de Kiev : «Le gouvernement ukrainien n’a aucun moyen de rétablir l’ordre dans l’Est par la force, à moins de vouloir mettre le feu aux poudres et de subir une défaite. Ce peut être une tentation d’ailleurs : celle de la fuite en avant, d’envoyer les quelques blindés dont Kiev dispose encore dans les zones russophones pour faire réagir Moscou et, par contrecoup, les Occidentaux. Mais ce jeu serait terriblement dangereux», écrivait Philippe Migault le 10 avril dernier…
Même analyse de Nina Bachkatov, politologue et spécialiste de la Russie, pour qui le risque d'une guerre civile existe : «Le gouvernement ukrainien actuel, qui est quand même composé d'amateurs il faut bien le dire, a cette brillante idée de dire qu'ils vont envoyer la nouvelle garde nationale, qui a quand même incorporé des éléments hautement suspects et certainement pas en faveur de l'Ukraine de l'Est pour arrêter les "terroristes" et les "séparatistes"». Elle y voit les signes d'une escalade et pense que l'Europe devrait calmer les ardeurs de Kiev.
Mourir pour Kiev ?
Reste à savoir sur quoi peut déboucher la crise actuelle. Phénomène incontrôlable façon guerre de 1914, ou une simple tension, reste de guerre froide ? Une crise à prendre façon Claude Cheysson en 1981 ? Alors ministre des Affaires étrangères de Mitterrand, ce dernier avait déclaré de façon fort peu diplomatique lors du coup d'Etat en Pologne: «Bien sûr, comme d’habitude, on ne fera rien.»
Atlantico, paraphrasant la celèbre interpellation de Marcel Déat, «Faut-il mourir pour Dantzig?», pose benoîtement la question: Faut-il «mourir pour Kiev?» à Guillaume Lagane, haut fonctionnaire spécialiste des questions de défense et maître de conférences à Science-Po Paris. «Les Etats-Unis et l’Union européenne ont des moyens militaires en Mer noire. Mais les Etats-Unis vont s’engager dans une épreuve de force avec la Russie ? C’est loin d’être évident» Mais il ajoute: «Nous sommes donc dans une situation assez inquiétante, car sans réagir, on donne un blanc-seing à la Russie et éventuellement à d’autres Etats. Mais si on réagit... Ca reste la Russie, pas la Centrafrique !»
Sept personnes ont été blessées dans une explosion à un barrage tenu par des nationalistes ukrainiens près d'Odessa, sur les bords de la mer Noire, non loin de la frontière occidentale du pays vendredi 25 avril ; attaque meurtrière d’un barrage tenu par des pro-russes dans l’est de l’Ukraine… Sur le terrain, la tension est forte une semaine après les accords de Genève.
Escalade verbale
Tension sur le terrain, mais aussi escalade verbale entre Moscou d’un côté et les USA – timidement secondés par l’Union européenne – de l’autre. La Russie «n'a pas pris la moindre initiative» pour mettre en œuvre l'accord conclu à Genève pour faire baisser la tension en Ukraine, a tonné le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, dénonçant «une erreur coûteuse».
Washington répondait indirectement aux propos tenus par Vladimir Poutine après l’attaque du barrage pro-russe par des forces ukrainiennes : «Si le régime actuel à Kiev a vraiment commencé à utiliser l'armée contre la population dans le pays, c'est un crime très grave contre son propre peuple», a lancé le président russe. Il a averti que cette opération aurait «des conséquences pour les gens qui prennent ces décisions». Quant à Kiev, il continue à employer le mot de «terroristes» pour qualifier les populations se disant pro-russes et met en cause Moscou : «Nous exigeons que la Russie cesse de s'ingérer dans nos affaires intérieures, cesse le chantage et les menaces, et retire ses troupes de la frontière orientale de l'Ukraine».
Le leader des séparatistes de Slavyansk, Viatcheslav Ponomarev, avait demandé le 20 avril à Vladimir Poutine d'envoyer des troupes russes pour soutenir les insurgés, renforçant les craintes d'une intervention. Le 23, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, avait averti que la Russie était prête à intervenir si ses intérêts étaient menacés dans l'est de l'Ukraine, faisant le parallèle avec l'Ossétie du Sud. Pour l'instant, officiellement, aucune force russe n'a cependant franchi la frontière.
Manœuvres militaires
Après les incidents du 24 avril, Moscou a annoncé de nouvelles manœuvres militaires, une façon de montrer ses muscles… sans entrer en Ukraine toutefois. Immédiatement, Washington a réagi en qualifiant les nouveaux exercices menés à la frontière par l'armée russe de «menaçants», tout en se lançant lui aussi dans des manœuvres dans les anciens pays de l’est, en Europe. Les Etats-Unis ont déployé 600 soldats en Pologne et dans les pays baltes. Paris a envoyé trois Rafale en Pologne. D’ailleurs, Moscou justifie ses propres manœuvres en évoquant celles des Américains. «Les exercices prévus par les forces de l'Otan en Pologne et dans les pays baltes ne favorisent pas davantage une normalisation de la situation entourant l'Ukraine», a affirmé le ministre russe de la Défense. «Nous sommes contraints de réagir à cette évolution de la situation», a-t-il ajouté.
Quels sont les risques d’escalade ?
Les «observateurs» sont quasi unanimes à estimer que le risque d’escalade incontrôlé est faible. «La crise devrait se dénouer par une négociation très dure. Après avoir fait monter les enchères, Moscou va chercher à engranger le maximum de bénéfices pour le long terme, c'est-à-dire l'entrée progressive de l'ensemble de l'Ukraine dans la sphère d'influence de la Russie dans le cadre du grand dessein d'Union eurasiatique», estime, dans Le Figaro François Géré, historien et spécialiste en géostratégie, président fondateur de l'Institut français d'analyse stratégique. Le spécialiste ne voit pas de guerre possible, rappelant le principe qui gouvernait la guerre froide, l'équilibre de la terreur : «Il serait prématuré de parler de guerre en Europe, voire de guerre mondiale. Les verrous nucléaires fonctionnent même si les gouvernements se gardent bien d'en parler.»
Un autre spécialiste, Philippe Migault, directeur de recherche à l’IRIS, explique les craintes de la Russie : «Le vrai problème, c’est l’OTAN, c’est l’influence américaine en Europe. La Russie ne veut pas que la frontière de l’OTAN, qui est déjà à 130 kilomètres de Saint-Pétersbourg, avance jusqu’à 500 kilomètres de Moscou. Cela peut se comprendre. Comment les Américains réagiraient-ils si demain un régime de type chaviste, ouvertement hostile à Washington, l’emportait dans toute l’Amérique Latine et s’étendait jusqu’au Rio Grande? Mal, je pense». Pour lui, le danger pourrait venir de Kiev : «Le gouvernement ukrainien n’a aucun moyen de rétablir l’ordre dans l’Est par la force, à moins de vouloir mettre le feu aux poudres et de subir une défaite. Ce peut être une tentation d’ailleurs : celle de la fuite en avant, d’envoyer les quelques blindés dont Kiev dispose encore dans les zones russophones pour faire réagir Moscou et, par contrecoup, les Occidentaux. Mais ce jeu serait terriblement dangereux», écrivait Philippe Migault le 10 avril dernier…
Même analyse de Nina Bachkatov, politologue et spécialiste de la Russie, pour qui le risque d'une guerre civile existe : «Le gouvernement ukrainien actuel, qui est quand même composé d'amateurs il faut bien le dire, a cette brillante idée de dire qu'ils vont envoyer la nouvelle garde nationale, qui a quand même incorporé des éléments hautement suspects et certainement pas en faveur de l'Ukraine de l'Est pour arrêter les "terroristes" et les "séparatistes"». Elle y voit les signes d'une escalade et pense que l'Europe devrait calmer les ardeurs de Kiev.
Mourir pour Kiev ?
Reste à savoir sur quoi peut déboucher la crise actuelle. Phénomène incontrôlable façon guerre de 1914, ou une simple tension, reste de guerre froide ? Une crise à prendre façon Claude Cheysson en 1981 ? Alors ministre des Affaires étrangères de Mitterrand, ce dernier avait déclaré de façon fort peu diplomatique lors du coup d'Etat en Pologne: «Bien sûr, comme d’habitude, on ne fera rien.»
Atlantico, paraphrasant la celèbre interpellation de Marcel Déat, «Faut-il mourir pour Dantzig?», pose benoîtement la question: Faut-il «mourir pour Kiev?» à Guillaume Lagane, haut fonctionnaire spécialiste des questions de défense et maître de conférences à Science-Po Paris. «Les Etats-Unis et l’Union européenne ont des moyens militaires en Mer noire. Mais les Etats-Unis vont s’engager dans une épreuve de force avec la Russie ? C’est loin d’être évident» Mais il ajoute: «Nous sommes donc dans une situation assez inquiétante, car sans réagir, on donne un blanc-seing à la Russie et éventuellement à d’autres Etats. Mais si on réagit... Ca reste la Russie, pas la Centrafrique !»
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