Cet article date de plus de sept ans.

Tchernobyl : trente ans après, un bilan encore incertain

Le 26 avril 1986, à 1h23, le réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl, en Ukraine, explose. Trente ans après la plus grande catastrophe nucléaire mondiale – avant Fukushima, au Japon, en 2011 –, le bilan humain reste incertain et les conséquences sanitaires et écologiques très lourdes. Alors qu'un nouveau sarcophage vient recouvrir l'ancien, une reconquête de la «zone» est-elle possible ?
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'un des hélicoptères militaires qui ont fini par venir à bout de l'incendie du réacteur 4 à Tchernobyl, dix jours après l'accident.
 (STF / Tass / AFP)


Le 26 avril à 1h23 du matin, le 4e réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose au cours d'un exercice de sécurité. La dalle de béton, projetée en l'air, fracture le cœur du réacteur, provoquant un gigantesque incendie. Des quantités massives de particules d'iode 131 et de cesium 137 s'échappent dans l'atmosphère, formant un nuage radioactif que les vents pousseront jusqu'en Suède.

L'évacuation de la «zone» d'un rayon de 30 km autour de la centrale commence le lendemain seulement, trente heures après l'accident. Les autorités de l'Union soviétique, à l'époque présidée par Gorbatchev, mettent trois semaines à reconnaître la gravité de l'accident, le pire accident nucléaire de l'histoire jusqu'à Fukushima, lui aussi classé au niveau 7 sur l'échelle INES qui en mesure la gravité.

Parmi les «liquidateurs», de rares survivants
T
rente ans après, le bilan humain de la catastrophe reste incertain : des 80.000 victimes estimées, les premières sont les pompiers de Pripiat, la ville voisine, chargés d'éteindre l'incendie sans équipement particulier il faudra dix jours, et des tonnes de sacs de sable et de plomb jetées depuis des hélicoptères. 

Des «liquidateurs», eux aussi sous-équipés, sont ensuite envoyés par dizaines de milliers colmater la brèche du réacteur et déblayer les gravats radioactifs sur le toit et aux abords de la centrale. «Nos supérieurs n'ont pas réalisé le danger auquel ils nous exposaient. Mes camarades et moi-même n'étions pas conscients du danger», témoigne l'un d'eux au micro de France3.


En tout, entre un demi-million et un million de ces «liquidateurs» ont été réquisitionnés de 1986 à 1992. Les rares qui sont encore en vie trente ans plus tard souffrent de nombreuses séquelles de leur exposition. Considérés comme des héros, ils ne touchent pourtant qu'une petite pension d'invalidité.

Pris en charge par l'Etat et logés depuis la loi de 1993, ils ont droit aux statuts d’invalidité maximaux (2 et 3). «Mais les subventions diminuent aujourd’hui», explique à Reporterre Natalia Manzurova, radiobiologiste envoyée sur place à la tête d'une brigade de sept personnes pour évacuer les «biens matériels» radioactifs, et l'une des rares «liquidatrices» (1 femme pour 1.000 hommes). «Tous les membres de mon équipe sont morts du cancer. Je suis la seule survivante. Moi, j’ai 20% d’aberration chromosomique et suis donc classée catégorie 2, avec un statut de maladie chronique. Je n’ai jamais pu reprendre une vie normale.» 

Le nombre réel des victimes toujours inconnu
Trente ans plus tard, le bilan humain de la catastrophe fait toujours débat. Seulement 56 victimes ont été officiellement reconnues. Un rapport fait ensuite état de 4.000 cancers de la thyroïde chez les enfants de la région, dus à la contamination à l'iode et au cesium, qui ont abouti officiellement à 15 décès. En 2007, un rapport de Greenpeace estime le nombre de victimes à environ 100.000. Certaines estimations vont jusqu'à 850.000 à un million de morts.

L'avenir des populations exposées à divers degrés aux radiations reste hautement problématique. «Le taux de mortalité dans les régions contaminées dépasse de loin le taux de natalité», explique Iouri Bandaïevski, parlant de «catastrophe démographique» et de «génocide lent» dans ce qu'il appelle le «goulag de Tchernobyl». Ce médecin biélorusse interdit de séjour dans son pays a fondé l'Institut de Gomel, qui a formé la plupart des médecins travaillant dans les zones contaminées.  

«L’impact sur les populations humaines est colossal, écrit le site Reporterre. L’association Enfants de Tchernobyl-Belarus aide un cabinet indépendant (...) à faire de la radioprotection en Biélorussie, auprès des enfants, particulièrement exposés. Les statistiques parlent d’elles-mêmes: "Avant la catastrophe, le taux d’enfants en bonne santé était de 80%, pour 20% en mauvaise santé. Depuis, les statistiques se sont exactement inversées."»

Des bénévoles de l'association Children's Project dans un orphelinat biélorusse, en 2011.

 (Egor Eryomov / RIA Novosti /AFP)


Plus de 5 millions de personnes dans les territoires irradiés
Le 26 avril, les familles de Pripiat, «ville modèle» de 49.000 habitants à 3 kilomètres de la centrale, où logent les ouvriers, envoient leurs enfants à l'école sans se douter de rien. Ce n'est que le lendemain que la radio locale diffuse un message des autorités, qui essaient dans un premier temps de dissimuler la gravité de l'accident. C'est la Suède qui donnera l'alerte deux jours plus tard, après avoir enregistré un taux de radioactivité anormal venu de l'Est... 

Dans l'après-midi du 27 jusqu'au soir, quelque 110.000 habitants d'une zone de 4.200 km², un peu plus que le Luxembourg, à cheval entre l'Ukraine et la Biélorussie, sont évacués dans 1.500 autobus. Avec quelques provisions, leurs papiers et la promesse de revenir deux ou trois jours plus tard. Trente ans après, la zone reste interdite, mais une poignée d'irréductibles (de 200 à 300), appelés les «samosely», sont revenus s'installer là malgré les tentatives de l'Etat pour les déloger.

Une femme nourrissant ses poulets dans le village abandonné de Savitchi, à l'intérieur de la «zone» de Tchernobyl, en 2011.
 (Viktor Drachev / AFP)


Dans les années suivantes, plus de 230.000 autres personnes seront évacuées à leur tour – pour s'installer, souvent, par manque de moyens, dans d'autres zones contaminées. Aujourd'hui, ce sont plus de 5 millions d'Ukrainiens, Biélorusses et Russes, qui vivent dans 150.000 km² de territoires irradiés à des degrés divers. C'est la Biélorussie le pays le plus touché par la catastrophe. Le Prix Nobel Svetlana Alexiévitch a recueilli des témoignages de victimes de Tchernobyl dans la Supplication

Une «zone» en voie de réhabilitation ?
Le niveau de radiation aux alentours de la centrale atteint toujours 1.700 nanosieverts par heure, soit 10 à 35 fois plus que la norme américaine. Selon l’association Robin des Bois, citée par Reporterre, les forêts voisines sont des «bombes radioactives à retardement»Dans la zone d'exclusion, la vie humaine est «impossible pour au moins les 24.000 prochaines années», a déclaré la ministre de l'Ecologie ukrainienne Hanna Vronska

La reconquête de ce territoire est pourtant envisagée, mais pose de nombreux problèmes : il faudra notamment évaluer l'impact des déchets enfouis dans des tranchées non étanches, dont les radionucléides sont susceptibles d'avoir migré dans les eaux souterraines. 

Le retour de la faune sauvage

Deux ans après la catastrophe, la Biélorussie a institué une réserve de Polesie sur la zone d'exclusion pour étudier la radioécologie, l'interaction avec l'environnement. Surprise : depuis quelques années après l'accident, la faune sauvage semble prospérer en paix lynx, renards, élans, sangliers, et surtout loups, sept fois plus nombreux que dans les parcs des environs. 

Чернобыль: 30 лет спустя. https://t.co/m3wFrFE1dZ pic.twitter.com/LPiCojvgoi


Pourtant, plusieurs rapports, dont celui de Sortir du nucléaire, en 2014, contredisent l'idée séduisante d’une nature intacte qui reprendrait ses droits. Selon le professeur Michel Fernex, outre l'extinction des hirondelles et la raréfaction des oiseaux prédateurs, des analyses ont montré une altération du génome (des mutations) chez les rongeurs ou des malformations inquiétantes chez les alevins de carpes dans un rayon de 400 km autour du site contaminé.

Même si la guerre avec la Russie a fait passer au second plan la menace nucléaire, «le danger est toujours là», comme le dit cette enseignante au musée de la catastrophe de Tchernobyl, à KievMardi 26 avril, le président ukrainien Petro Porochenko et Suma Chakrabarti, le président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui gère le fonds pour la sécurisation du site, se rendront sur les lieux de la catastrophe pour un hommage aux victimes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.