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Moscou et Ankara au bord de la guerre ? Ce serait la treizième fois !

La Turquie accuse la Russie d'être «une organisation terroriste» tandis que la Russie s'est dit «gravement préoccupée» par les bombardements menés par les Turcs sur les positions kurdes en Syrie. La tension est maximale alors que la Turquie avait abattu un Sukhoï russe en novembre 2015. Les deux pays se sont déjà fait une douzaine de guerres. Rappel.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Sukhoi Su-30 russes sur une base aérienne dans la province de Lataquié en Syrie (Dmitriy Vinogradov / RIA Novosti)

L'intervention russe en Syrie a changé la donne. La Turquie, qui pour le moins jouait double jeu avec les forces rebelles, voit ses alliés repoussés par la conjonction des bombardements russes et l'avancée des troupes syriennes vers sa fronrière. De plus, Ankara voit d'un mauvais oeil les Kurdes syriens, proche du PKK, se rendre mettre de cette frontière pour couper court tout approvisionnement des rebelles par la frontière turque. Résultat la tension est maximum entre les deux ex-empires.

Russie, Turquie: deux pays sans frontières terrestres communes, qui ont une longue histoire conflictuelle. Retour sur la relation complexe entre deux entités qui se sont souvent affrontées dans l’Histoire mais qui ont aujourd’hui d’importants échanges économiques.

L’empire russe et l’empire ottoman sont devenus la Russie et la Turquie. Mais au-delà de leur histoire complexe, les deux pays partagent géographiquement plusieurs points chauds. La Turquie a, au Sud, une frontière commune avec la Syrie où intervient l’armée russe et, à l'Est, une frontière commune avec la Géorgie et d’autres pays du Caucase (Arménie et une enclave azerbaïdjanaise). Sans compter des zones communes comme la mer Noire ou des zones stratégiques comme les détroits entre Asie et Europe, qui furent longtemps la clef de l'accès aux «mers chaudes» pour la flotte russe. 

Des siècles d’affrontement
Entre la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 et la révolution bolchévique, les conflits se sont multipliés entre les deux empires. On compterait au moins douze guerres pendant cette période. Les limites entre les deux empires, opposant d'une certaine façon le monde orthodoxe et le monde musulman, se réglant régulièrement à coups de batailles, ayant pour théâtres d’opérations la Crimée et des territoires situés sur l'actuelle Ukraine ou les Balkans.
 
Cette série de guerres s’est terminée avec le dépeçage de l’empire ottoman, longtemps appelé «l'homme malade de l'Europe», défait à la fin de la guerre de 14. «Pendant la Guerre d’indépendance (1919-1922), Mustafa Kemal conclut une alliance tactique avec les Bolchéviks. Ceux-ci soutiennent politiquement et matériellement la lutte kémaliste en Anatolie. En contrepartie, Kemal accepte la bolchévisation de la Trancaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), qui perd son indépendance», rappelle l’historien Jean-Paul Burdy.  

Français lors de la guerre de Crimée (1853-1856). Français et Anglais interviennent auprès des Ottomans pour limiter les ambitions de l'empire russe. (Ann Ronan Picture Library / Photo12)

Après la Seconde guerre mondiale, alors que la Turquie est restée neutre, Ankara a rejoint l’Otan face au bloc soviétique. Lors de la crise des fusées en 1962, la Turquie abritait des têtes nucléaires américaines qui dans l’accord furent discrètement retirées.

Après l’effondrement de l’URSS, «la Russie est le premier ou second partenaire commercial de la Turquie», notait le journal Zaman tout en ajoutant qu'«une grande partie du commerce bilatéral repose sur l'énergie, le reste sur le tourisme ou les exportations de produits turcs». Le journal, proche de la confrérie Gülen, notait cependant que la dépendance de la Turquie à l’économie russe limitait la diplomatie d’Ankara vis-à-vis de Moscou. 

La Turquie au coeur des réseaux énergétiques. Un débouché pour les ressources russes. (KEMAL DELIKMEN / ANADOLU AGENCY)

De forts échanges économiques
La Turquie est en effet le deuxième acheteur de gaz russe derrière l’Allemagne. Moscou a décroché le contrat pour la fabrication de la première centrale nucléaire turque, pour un montant de 20 milliards de dollars. Le projet a connu des problèmes techniques mais le premier des quatre réacteurs devrait être opérationnel d'ici 2020, selon Ankara.
 
En 2014, M.Poutine avait été reçu avec faste par son homologue M.Erdogan dans son palais, malgré les divergences entre les deux pays sur la Syrie et en pleine crise ukrainienne, sur laquelle la Turquie est restée discrète (malgré la présence de la minorité tatare en Crimée). «Les relations économiques sont étroites entre la Russie et la Turquie, du gazoduc reliant la Russie à la Turquie via la Mer Noire, aux nombreuses entreprises turques qui travaillent en Russie, et en passant par les touristes russes, nombreux, qui vont passer leurs vacances en Turquie», note l’économiste Jacques Sapir.

L’intervention militaire russe en Syrie semble avoir déstabilisé la position turque vis-à-vis de Moscou. Mais aucun des deux pays n’a intérêt à envenimer la situation. «Une diminution du commerce bilatéral nuirait gravement aux deux pays. Bien que les besoins énergétiques de la Turquie la rendent probablement plus vulnérable, l’économie russe est elle aussi fragile. Il semble y avoir des voix des deux côtés faisant valoir que les relations commerciales doivent se poursuivre comme à l’accoutumée», notait, avant même l'affaire du SU-24,le site Middleeasteye .  

«L’accession au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine a marqué la volonté de restaurer la grandeur révolue de la puissance russe. Cette stratégie globale de reconstruction de la Grande Russie s’accompagne d’une réaffirmation de la Russie en Méditerranée», peut-on lire sur le site de l'Institut de relations internationales et stratégiques. Au risque d'entrer en concurrence avec les ambitions turques?

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