Manœuvres militaires russes aux frontières de la Pologne et la Lituanie : "Un incident frontalier pourrait dégénérer"
La Russie a lancé de vastes exercices militaires aux portes de l’Europe. Pour Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique, la situation pourrait dégénérer en cas d'incident dans une zone frontalière.
Depuis jeudi des dizaines de milliers de soldats russes et biélorusses, appuyés par près de 800 véhicules de combat, avions, hélicoptères participent à un exercice militaire dans l'ouest de la Russie ainsi que dans l'enclave de Kaliningrad. Cette année, les troupes sont massées juste à côté de la Lituanie et de la Pologne. Des pays qui se sentent visés, tout comme l'Otan qui dispose de 4 000 soldats dans cette partie du monde. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, craint, dimanche 17 septembre, qu'"un incident frontalier" face "dégénérer" la situation et dénonce le comportement de la Russie "devenue un État paranoïaque".
franceinfo : Avec ces exercices, la Russie est-elle en train de défier l'Otan ?
Bruno Tertrais : Oui, c'est une forme de défi, même s'il est plus politique que militaire. La première vocation de cet exercice est justement d'être un exercice, de préparer, d'entraîner les forces russes au combat et de s'assurer qu'elles sont effectivement aptes à conduire des manœuvres à grande échelle. Mais tout exercice militaire russe de grande ampleur est forcément considéré comme un défi à l'Otan et conçu comme tel à Moscou. Il y a probablement 10 à 15 000 soldats qui participent à l'exercice mais si l'on prend en compte l'ensemble des personnels, on atteint certainement plusieurs dizaines de milliers. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas 100 000 hommes massés aux portes de l'Otan.
La Lituanie dénonce une concentration excessive des forces armées à ses frontières. La Lettonie évoque un test pour les défenses de l'Otan. Ces deux pays ont-ils des raisons d'être inquiets ?
L'histoire leur donne quelques raisons d'être inquiets, parce que la Russie a parfois une fâcheuse tendance à pénétrer sur les territoires de ces voisins sans y être invités. Si vous êtes Lettons ou Lituaniens effectivement, vous n'êtes légitimement pas tout à fait à l'aise en ce moment. En tout cas, vous vous dites qu'il est raisonnable de partir du principe que cet exercice pourrait être l'occasion de provocations voire d'incidents graves. Je ne pense que ces pays disent : "Nous allons être envahis". Mais au vu leur histoire depuis les années 40, il n'est pas tout à fait déraisonnable de prendre cette hypothèse au sérieux, même si elle est extrêmement improbable.
Par le passé, il y a eu des incidents entre des pilotes de l'Otan et des avions russes, notamment à la fin du mois d'août. Comment les interpréter ?
Ces incidents se multiplient depuis quelques années. Le comportement des pilotes et parfois de certaines forces maritimes russes est problématique, puisqu'ils ne respectent pas les règles internationales. Ils pénètrent dans l'espace aérien des pays de l'Otan, qui ne fait pas ce genre de choses. C'est ce type d'incidents qui pourraient poser problème, un incident frontalier qui pourrait dégénérer. Quant au message, il est classique. C'est une démonstration de force, une tentative de déstabiliser les Européens, de tester la solidité de l'Alliance atlantique qui unit les États-Unis et l'Europe. C'est d'impressionner les Européens, mais aussi sa propre population. Les démonstrations de force régulières font partie de la stratégie politique bien connue de Vladimir Poutine qui souhaite dire à son peuple qu'il le protège contre les "manigances de l'Occident", parce que la Russie est devenue un État paranoïaque, mais aussi une manière de dire qu'avec ces démonstrations on a un retour de la Russie dans le concert des grandes puissances.
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