Cet article date de plus d'onze ans.

Les îles Kouriles, une épine dans les relations Japon-Russie

La question de la souveraineté de quatre îles de l’archipel des Kouriles, entre Hokkaïdo (Japon) et le Kamtchatka (Russie), provoque une tension entre les deux pays. Ces îles avaient été annexées par l’URSS à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le dossier a toujours empêché la conclusion d’un accord de paix entre Moscou et Tokyo.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une tourelle de char T-56 en train de rouiller sur l'île de Kunashiri, une des quatre îles Kouriles que se disputent le Japon et la Russie (26-10-1997) (AFP)

Le 7 février 2013, deux avions russes sont entrés dans l’espace aérien japonais, au large de l’île d’Hokkaido pour la première fois depuis cinq ans, a rapporté le gouvernement nippon. Ce qu’a démenti le Kremlin. La veille, des exercices militaires russes avaient débuté autour de l’archipel contesté.

S’il a effectivement eu lieu, le viol de l’espace aérien japonais est intervenu quelques heures après que le premier ministre nippon Shinzo Abe disait vouloir trouver «une solution mutuellement avantageuse» au différend territorial. Un différend vis-à-vis duquel Moscou ne semble guère prêt à faire de compromis. En novembre 2010, Dmitri Medvedev, alors président de la Russie, avait provoqué la colère de Tokyo en étant le premier patron du Kremlin à se rendre aux Kouriles. Le Premier ministre nippon d’alors, Naoto Kan, avait qualifié ce déplacement d’ «outrage impardonnable». Dmitri Medvedev y était retourné en juillet 2012, cette fois en tant que chef du gouvernement.

Les îles disputées, appelées «Territoires du Nord» à Tokyo et «Kouriles du Sud» à Moscou, sont au nombre de quatre : Etorofu, Kunashiri, Shikotan et Habomaï (cette dernière en fait un petit archipel), peuplées de quelque 20.000 habitants sur une superficie totale de 5000 km². Au-delà du droit international, si l’on s’en tient strictement à l’Histoire, Japon et Russie n’ont guère de droits sur ces territoires… Car à l’origine, ceux-ci étaient habités par les Aïnous, dont le peuplement s’étendait depuis la Sibérie jusqu’à Hokkaido. Maltraités par les colons japonais, ils furent envoyés vers Sakhaline (Russie) en 1941 avant d’être emmenés à Hokkaïdo en 1945.

Appareil de chasse russe SU27, photographié par l'armée de l'air japonaise et présenté comme violant l'espace aérien nippon (7 février 2013) (AFP - Japan Defense Ministry - Jijipress)

Une affaire plus que centenaire
Les îles Kouriles ont été conquises par les Japonais au XIXe siècle. Un premier partage avec la Russie intervient en 1855 lors de la signature du traité de Shinoda par lequel Moscou reconnaît la souveraineté nippone sur Etorofu, Kunashiri, Shikotan et Habomaï. Conséquence : la frontière, passant alors au nord de ces territoires, est celle revendiquée aujourd’hui par Tokyo.

En 1945, après la reddition de l’Empire du Soleil levant, Staline fait envahir les quatre Kouriles et proclame leur annexion. Les quelque milliers d’habitants sont expulsés. En 1951, lors de la conférence de paix de San Francisco réunissant le Japon vaincu et les 48 pays alliés de la Seconde guerre mondiale, Tokyo renonce à tous ses droits sur les îles contestées. Mais l’URSS ne signe pas le traité. Conséquence : l’appartenance de ces territoires reste indéterminée dans la mesure où ils n’ont pas été officiellement attribuées à Moscou et où leur annexion n’a été validée par aucun document juridique. Dans le contexte de la Guerre froide, l’affaire ne déplaît pas aux Américains : le différend territorial éloigne les Nippons de la zone d’influence soviétique…
 
Dès 1955, le Japon fait connaître sa revendication. L’année suivante, il signe une déclaration commune avec l’URSS dans laquelle celle-ci accepte la rétrocession de deux des quatre Kouriles, Habomaï et Shikotan, après la signature d’un traité de paix. Mais Moscou revient sur son offre après la conclusion d’un traité de défense entre Tokyo et Washington, intervenue en 1960.

Côté japonais, l’espoir revient au début des années 90. Moscou assouplit sa position et accepte des discussions. Mais l’effondrement de l’empire soviétique va changer la donne.

Militaire japonais en faction devant le ministère de la Défense à Tokyo (9-4-2013) (AFP - Yoshikazu TSUNO)

Nationalisme japonais
Désormais, Moscou et son opinion publique ne veulent plus céder la moindre parcelle de territoire, aussi excentrée soit-elle. Par ailleurs, la question de «l’abandon des Kouriles du Sud constituerait un précédent fâcheux qui pourrait pousser d’autres Etats à contester d’autres territoires» russes. La géopolitique explique aussi la réaction du Kremlin : l’archipel constitue une porte sur le Pacifique pour l’importante base militaire russe de Vladivostok.
 
Les préoccupations économiques ont également leur part dans la fermeté russe. Les Kouriles sont situées dans une zone très poissonneuse. De plus, elles abritent des réserves minières (notamment du rhénium, un métal rare), et peut-être aussi d’importants gisements de pétrole et de gaz.
La tension actuelle entre Japon et Russie intervient alors que Tokyo s’oppose à la Chine sur la question de l’appartenance d’îles proches de Taïwan et à la Corée du Sud sur les rochers Liancourt. Et ce alors qu’un nouveau gouvernement, conservateur et nationaliste, est sortie des urnes nipponnes en décembre 2012.
 
Dans ce contexte, ces différents «confettis» viennent à point nommé pour faire vibrer la corde patriotique japonaise. C'est dans ce contexte que le 15 août, deux ministres japonais se sont rendus au très controversé sanctuaire Yasukuni à Tokyo, à l'occasion de l'anniversaire de la capitulation face aux Etats-Unis en 1945, une première depuis trois ans. La réputation sulfureuse de ce sanctuaire shintoïste tient au fait que les noms de 14 criminels de guerre condamnés par les Alliés y ont été secrètement ajoutés en 1978 à ceux des 2,5 millions de soldats dont la mémoire est honorée dans ce lieu de culte.

Les îles Kouriles

 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.