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Les amours difficiles du Conseil de l'Europe et de la Russie

Décidément, ce pauvre Conseil de l’Europe n’est pas à la noce. Sa spécialité, l’état de droit, la démocratie, les droits de l’homme, la paix. Et voilà qu’entre deux de ses pays membres, c’est, inutile de jouer sur les mots, la guerre. Ces deux pays sont l’Ukraine et la Russie. Et l’un est plus gros que l’autre, y compris dans sa participation au budget de l’institution.
Article rédigé par Dominique Voegele
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
  (Conseil de l'Europe 2014)

C’est un hasard de l’histoire, un clin d’œil du calendrier. L’Ukraine adhère au Conseil de l’Europe en novembre 1995, presque immédiatement suivie en février 1996 par la Russie. Et on se dit alors qu’une bonne partie de l’architecture politique de l’Europe se figerait, que les frontières se stabiliseraient, qu’il n’y aurait plus de revendications territoriales de la part d’un état appartenant à la famille européenne, partageant cette fameuse maison commune, l’Europe. Certes, on savait la poudrière des Balkans pas encore éteinte, la troisième guerre dans l’ex Yougoslavie, celle du Kosovo date en effet de 1999.
 
Espoir et déception
 
Mais on espérait que la Russie, elle, occupée à se reconstruire, stabilisée et fermement attachée à emprunter la voie de la démocratie version Conseil de l’Europe, allait jouer un rôle essentiel en termes de paix et de démocratie. La Russie s’engageait formellement en devenant l’un des gros contributeurs au budget du Conseil de l’Europe comme la France ou bien encore l’Allemagne. De plus en plus de fonctionnaires russes venaient travailler au sein de l’institution strasbourgeoise, et les 18 parlementaires et leurs suppléants issus de la Douma entamaient activement leur travail dans l’Assemblée parlementaire du Conseil. La Russie pour obtenir son ticket d’entrée signait la Convention européenne des droits de l’homme et mettait en place un moratoire suspendant la peine de mort sur son territoire.

Et puis patatras, le bel édifice s’effondre, le crépi de respectabilité aussi. C’est du moins l’avis de très nombreux observateurs internationaux. La Crimée, les combats dans l’est de l’Ukraine, les tous récents bombardements sur Marioupol, Tous les regards convergent vers Moscou. Acteur ou au minimum complice très actif de la déstabilisation de l’Ukraine. Au point de garder en prison, une ukrainienne, pilote, Nadia Savtchenko, alors qu’elle est membre de la délégation parlementaire ukrainienne auprès du Conseil de l’Europe.
 
Rogne et grogne au Conseil
 
C’est du côté de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe que sont venues les réactions les plus vives. L’organe politique et non pas diplomatique de l’institution. Il faut dire que le passé encore assez récent et cuisant de l’Europe de l’est demeure présent dans l’hémicycle. Nombreux sont les parlementaires peu enclins à fermer les yeux sur l’action politique russe, alors qu’ils viennent eux-mêmes de pays anciens satellites ou même régions soviétiques. Pays baltes ou Géorgie par exemple. La Géorgie qui se rappelle aussi du conflit avec les russes au sujet de l’Ossétie du Sud en 2008.

Depuis l’an passé les droits de vote de la délégation russe à l’assemblée parlementaire étaient suspendus à la suite de l’annexion de la Crimée. Et cette sanction vient d’être renouvelée par l’assemblée ce mercredi. Cette suspension, fruit d’un compromis, est en principe limitée dans le temps, jusqu’en avril, date de la prochaine session de l’assemblée à Strasbourg.

Mais les Russes n’ont pas apprécié, et ont, selon leurs déclarations décidés de bouder tout au long de l’année à venir. Mieux, certains envisagent de quitter définitivement le Conseil de l’Europe. Une menace certes, mais qui tient peut-être plus de la déception amoureuse, ou d’une gesticulation politique peut-être mal contrôlée. Car quitter le Conseil de l’Europe serait abandonner un poste d’observation et de contact très important grâce aux fonctionnaires présents dans toute l’administration de l’institution pan européenne. Car le Conseil, faut-il le rappeler ce sont 47 états membres.
Pour le moment, Moscou et plus précisément le Président de la Douma, Sergueï Narychkine a chargé sa commission des affaires étrangères de préparer une déclaration condamnant « l’annexion » par la République Fédérale d’Allemagne, de l’Allemagne de l’Est en 1989. Echo au discours d’Anne Brasseur, la Présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil, très critique vis-à-vis des Russes. Reste qu’Anne Brasseur est luxembourgeoise et que le Luxembourg n’a pas annexé grand chose si ce n’est quelques comptes en banque.
 
De la difficulté d’être le Conseil de l’Europe
 
Au-delà du drame que vivent les populations civiles dans l’est de l’Ukraine et qui interpellent naturellement une institution qui possède en son sein un Commissaire chargé des droits de l’homme, ce conflit marque aussi les difficultés politiques de fond qui marque le Conseil de l’Europe. Une institution née pour la paix, pour que s’établisse un espace de paix et de démocratie. En même temps, il s’agit de diplomatie. Et d’un constant grand écart entre les vrais principes et celui de réalité. Si le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a bien entendu condamné ce qui se passe en Ukraine, ce sont bien les membres de l’Assemblée parlementaire qui sont montés au créneau. Sans doute parce qu’ils en ont les moyens politiques. Le Conseil de l’Europe s’épuise en fait à trouver sa voie. Entre diplomatie avec un rien de cynisme et défende de la démocratie et des droits de l’homme. Cette affaire russe ne date pas d’hier et elle est exemplaire.

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