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Les agences sanitaires russes, bras armés des embargos de Poutine

Depuis de nombreuses années, le gouvernement russe a pris l'habitude de contrôler l'Europe de l'Est par des embargos ciblés, grâce aux prétextes fournis par ses agences sanitaires. A ce titre, le dernier embargo imposé à l'Europe et aux Etats-Unis est une exception.
Article rédigé par Titouan Lemoine
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Deux policiers russes arrêtent le leader d'une séance de dégustation d'eau minérale géorgienne devant le siège de Rospotrebnadzor, à Moscou en 2006. La manifestation était organisée en réponse à l'embargo politique imposé par l'agence sanitaire contre la Géorgie et la Moldavie. (DENIS SINYAKOV / AFP)

«L’interdiction de l’importation de certains produits de provenance de Pologne, de Roumanie et d’Ukraine n’est pas une réponse aux sanctions imposées contre la Russie.» Impossible de reprocher à Alexeï Alexeïenko de manquer d’assurance. L’adjoint au directeur de Rosselkhoznadzor n’en démord pas : les embargos imposés par la Russie n'ont rien de politique, l’agence sanitaire russe ne fait que son travail.
 
Pourtant, les résultats scientifiques de l’institution ont la réputation de suivre avec exactitude les soubresauts de la politique étrangère russe. En liaison avec l’agence Rospotrebnadzor, en charge de la protection des consommateurs, Rosselkhoznadzor fournit au Kremlin la possibilité de cibler des importations sous des prétextes sanitaires. Une manière d’éviter d’avoir recours à des sanctions économiques, mal vues par la communauté internationale. « C’est une méthode simple » explique M. Mebcouche, de la DGCCRF (l’équivalent français de Rosselkhoznadzor) « Il suffit d’un prétexte technique, et tout devient possible au niveau politique ».

Garder le «glacis» sous contrôle
L'économie des pays de l'ex-bloc de l'Est subit toujours les séquelles de l'économie planifiée. Au temps de l'URSS, les républiques soviétiques étaient hautement spécialisées, ajustées au seul service de Moscou, capitale de l'Empire. Avec la dissolution de l'Union soviétique, ces économies sont devenues indépendantes... En apparence seulement. En réalité, elles restent aujourd'hui concentrées sur un ou deux secteurs qui continuent à exporter leurs produits vers le reste de l'ex-Empire. Un embargo sanitaire visant ces produits précis est donc dévastateur pour les pays concernés. Un excellent moyen de freiner les ambitions européennes de certains des pays du traditionnel «glacis» de protection russe.

L'embargo imposé en 2006 à la Moldavie et la Géorgie est un exemple caractéristique. Côté moldave, les négociations commerciales entamées avec l'Union Européenne déplaisent à la Russie, qui envoie des troupes dans la région séparatiste de Transnistrie. En Géorgie, le gouvernement de Tbilissi accuse Moscou d'avoir commandité un attentat contre un pipeline en Ossétie du Nord pour forcer le pays à avoir recours aux services de Gasprom. Les deux anciennes républiques soviétiques brandissent la menace d'un véto contre l'accession de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce.

Peu après, Rostrotrebnadzor explique avoir trouvé d'importantes concentrations de pesticides et de métaux lourds dans les vins des deux pays. Les importations sont immédiatemment interdites. Les exportations de vin vers la Russie représentent 80% des recettes des vignobles moldaves et 8% du PIB de la Géorgie. Ce schéma se reproduit en 2009, quand la Biélorussie refuse les avances de privatisation de Moscou sur son industrie du lait et demande une certification européenne. Grâce à Rosselkhoznadzor, le lait biélorusse devient «dangereux pour la santé» des citoyens russes. La Biélorussie y perd la quasi-totalité de ses exportations, pour une industrie qui représente 1 emploi sur 10 dans le pays.


Un outil inefficace contre les grandes puissances
Jusqu'au 6 août 2014, Moscou a espéré pouvoir répondre aux tensions toujours croissantes autour de l'Ukraine par ses méthodes habituelles. L'Ukraine était ciblée depuis juin, avec un renforcement progressif des restrictions imposées par les agences sanitaires. L'ensemble des productions agricoles ukrainiennes, viandes, céréales, fruits, ont peu à peu été interdites par Rosselkhoznadzor pour des «raisons techniques».

En réponse à l'embargo sur les fruits, des manifestations sont organisées devant de nombreuses ambassades russes en Europe (ici à Vilnius, en Lituanie), avec pour mot d'ordre: «Mangez des pommes». (PETRAS MALUKAS / AFP)

Les sanctions massives imposées par les Etats-Unis et l'Europe changent la donne. Face à deux de ses trois premiers partenaires économiques, la Russie ne peut plus faire la pluie et le beau temps grâce à une sélection de sanctions sanitaires. L'économie des grandes puissances occidentales est beaucoup plus diversifiée que celle du glacis de l'Est et des mesures trop ciblées n'auraient aucun effet.

Le 7 août, la Russie proclame un vaste programme de sanctions politiques, sans le couvert de ses agences sanitaires. L'UE et les Etats-Unis ont forcé le pays a s'engager dans un bras de fer économique qui pourrait asséner autant, voire plus, de dommages à l'économie russe qu'à celle de ses cibles.

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