La Russie dit #JeSuisParis et se souvient du «Nord-Ost»
Le 14 novembre 2015, les Moscovites étaient des centaines à affluer spontanément vers l'ambassade de France. Des familles avec leurs enfants, des «babouchkas», des policiers sont venus, très émus, déposer des bouquets de fleurs, des bougies, des icônes en hommage aux 129 victimes des attentats revendiqués par l'Etat islamique.
«Paris je t'aime» (en français), «Mир» («Paix»), disent les pancartes sur ces photos publiées par la Novaïa Gazeta. Comme ailleurs dans le monde, les médias russes ont consacré toutes leurs unes à «l'attaque sur Paris». La Russie, très durement éprouvée par le récent crash du Boieng au-dessus-du Sinaï, lui aussi revendiqué par l'organisation Etat islamique, est doublement solidaire de la France. Un pays visé pour sa culture de la liberté, analysent de nombreux intellectuels russes.
A Moscou, des citoyens russes viennent déposer des fleurs à l'ambassade française. #Fusillade pic.twitter.com/SIo5ritX1l
— Nikita Alohanews (@ImamNikita) November 14, 2015
La Russie a officiellement exprimé sa sympathie et ses condoléances. «Votre douleur est la nôtre», a écrit la très médiatique Maria Zakharova, l'attachée de presse du ministère des Affaires étrangères, sur sa page Facebook. Avant toute prise de parole officielle, le président Poutine a aussitôt adressé un télégramme à François Hollande. Son porte-parole Dmitri Peskov a dénoncé «des assassinats inhumains» et promis «l'aide de la Russie dans l'enquête». «Nous partageons la tristesse et la douleur du peuple français», a assuré le Premier ministre Dmitri Medvedev, dans un communiqué publié sur le site du gouvernement.
La Syrie motif de discorde
Plusieurs voix officielles s'élèvent pour appeler à durcir la lutte contre Daech, dans laquelle la Russie s'estime en pointe. La nécessité d'une victoire militaire sur l'organisation ressort ainsi du sommet international de Vienne qui s'est tenu le 14 novembre 2015. Un «début de prise de conscience» dont s'est félicité le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (l'intégralité de son intervention est mise en ligne par Euronews).
C'est bien sur le problème syrien, où la Russie continue à soutenir le président Bachar el-Assad, que ressortent les divergences d'une partie de l'opinion russe avec les positions françaises. Devant l'ambassade française de Moscou, le journaliste Benjamin Quenelle a ainsi pu recueillir quelques commentaires moins compatissants, tel celui d'une retraitée : «Poutine vous avait bien prévenu. L’Europe aurait dû écouter notre président avant de créer le chaos au Moyen Orient ! ». Ou encore cette question : «En acceptant tous ces récents flux d’immigrés syriens, la France n’a-t-elle pas ouvert ses portes aux terroristes, bien cachés dans la foule des réfugiés ?»
La Russie dans le viseur de l'Etat islamique
Depuis son intervention en Syrie, la Russie se trouve elle aussi sous la menace directe du groupe Etat islamique. Une menace mise à exécution avec l'attentat contre l'avion russe le 31 octobre 2015, qui a fait 224 victimes. Avant cette catastrophe, un sondage (lien en russe) mené par le Centre indépendant Levada rapportait déjà un début de panique dans la population : 48% des personnes interrogées disaient craindre de nouveaux attentats dans un futur proche - un an auparavant, une majorité de Russes n'avaient jamais entendu parler de l'Etat islamique.
Samedi 14 novembre, le célèbre hôtel Cosmos a été évacué après une alerte selon laquelle il aurait été miné. L'alerte a été levée le dimanche. Le président du Parti communiste, Guennadi Ziounanov, a appelé à durcir les mesures de sécurité.
#JesuisParis #ЯПариж #PrayforParis pic.twitter.com/YTbtVWdcNd
#JesuisParis #ЯПариж #PrayforParis pic.twitter.com/YTbtVWdcNd
— миссис Рай (@you_fall_down) November 14, 2015
Un «Nord-Ost» parisien
Sous le hashtag #PrayForParis, #JeSuisParis ou sa version russe #ЯПариж, médias et internautes russes partagent la peine des Parisiens, en même temps que les images du Bataclan pris en otage. «Le Nord-Ost parisien», titre le quotidien économique Kommersant. En 2002, cette comédie musicale dans un théâtre moscovite, la Doubrovka, avait été interrompue par un groupe de séparatistes tchétchènes.
La prise d'otages avait duré deux jours et trois nuits et s'était soldée par une hécatombe : 130 morts. Le site pro-Kremlin RT titre ainsi «La Russie partage la douleur de la France et se souvient du Nord-Ost» – sans rappeler que les autorités russes ont été condamnées par la Cour de justice européenne pour leur gestion catastrophique de ce drame. Et surtout pour leur utilisation d'un gaz neutralisant qui aurait causé la majorité des décès. La responsabilité des forces de l'ordre et des autorités n'est toujours pas élucidée dans une autre prise d'otages tragique, celle de Beslan.
Dans sa «Dure Leçon française» publiée dans la très droitière Komsomolskaïa Pravda, Egor Holmogorov commence par exprimer une compassion dont «sont capables plus que tout autre» ceux qui ont vécu cette tragédie du Nord-Ost. Pour rappeler ensuite que «les Français ne se sont pas excusés pour les caricatures de Charlie Hebdo qui ont suivi le crash de l'avion russe». Pourtant, au temps du Nord-Ost, les Russes eux-mêmes ne se gênaient pas pour faire de l'humour noir...Exemple d'anekdot (blague russe) : «Quand même, on voit la différence de moyens ! Deux gratte-ciel en Amérique et seulement un théâtre à Moscou...»
Sur Twitter, le polémiste partisan de Marine Le Pen fait mine de se demander s'il y aura une sex-tape cette fois, allusion à la couverture de Charlie Hebdo après le crash. Qu'il renvoie à ceux qui lui demandent «si c'est bien le moment» de polémiquer.
#ЯПариж, #JeSuisParis – mais toujours pas «Charlie»
Certains sur Twitter ont la rancune tenace...
«On espère que cette fois Charlie ne va pas faire de dessins», tweete le média pro-Poutine LifeNews.
Надеемся, в этот раз Charlie Hebdo не будут рисовать...#PrayForParis #Париж #теракт pic.twitter.com/TlhJRW0rAO
— Life | Новости (@lifenews_ru) November 14, 2015
«On attend les caricatures de Charlie»... «Est-ce qu'ils vont en faire cette fois ?» Cette question twetée par un comédien et présentateur populaire, Garik Harlamov, a provoqué un tollé sur le réseau social.
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