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La fortune offshore de Poutine, un dossier relancé par les «Panama Papers»

Le serpent de mer de la fortune de Vladimir Poutine se cachait-il (aussi) au Panama ? Les fichiers du cabinet Mossack Fonseca font apparaître le nom de l'un de ses amis d'enfance et ceux de deux frères et oligarques proches du pouvoir. Où l'on reparle aussi du cercle «Ozero» et d'un palais au bord de la mer Noire.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Comment une grande banque russe, avec l'aide d'amis du président, faisait sortir des capitaux via des sociétés offshore domiciliées au Panama, avant de les rapatrier. (Capture d'écran Twitter / DR)

En bonne place parmi les dirigeants «mouillés» par le scandale des «Panama Papers», ces fichiers révélant les avoirs de personnalités et leaders politiques dans des paradis fiscaux, Vladimir Poutine. Si le nom du président russe n'y apparaît pas directement (contrairement à celui de son homologue ukrainien, Petro Porochenko), les documents comptables de Mossack Fonseca, cabinet d'avocats panaméen spécialisé dans la «domiciliation de sociétés offshore» (voire l'évasion fiscale), ayant «fuité» contiennent ceux de plusieurs de ses proches... qui pourraient être ses prête-noms. Poutine serait l'homme le plus riche du monde, ou en tout cas le détenteur d'une colossale fortune personnelle, en partie dissimulée dans des paradis fiscaux... une rumeur qui court depuis longtemps.

La banque russe «des copains»
Les actifs détenus à l'étranger par Vladimir Poutine via des prête-noms faisaient déjà partie des révélations de WikiLeaks en 2010. Cette fois, l'enquête menée par une centaine de rédactions à partir du matériau des «Panama Papers» met en évidence le rôle d'une grande banque, la banque Rossia, dans un vaste réseau clandestin orchestré par l’entourage du président. Selon le Monde, c'est la RCB, la Russian Commercial Bank de Chypre (filiale d'une banque publique russe), surnommée «le porte-monnaie personnel des dirigeants russes», qui accordait les prêts aux compagnies offshore contrôlées par Bank Rossia. 
Devant le siège de la Bank Rossia à Saint-Pétersbourg, le 4 avril 2016. (Olga Maltseva / AFP)

Cette Bank Rossia a vu le jour en 1990, quand la ville s'appelait encore Leningrad, avec le soutien de Vladimir Poutine, alors bras droit du maire (la banque lui renverra l'ascenseur avec un documentaire élogieux). La banque Rossia, selon le mot d'un responsable de la Maison Blanche, c'est la «crony bank» du régime de Poutine, la «banque des copains». Ses actionnaires, des oligarques milliardaires, sont des anciens de la célèbre «coopérative Ozero».

Où l'on reparle de la «coopérative Ozero»
Le cercle Ozero («lac» en russe) est une coopérative pour l'achat de datchas, créée à la fin des années 90 par Vladimir Poutine avec sept de ses amis. Boris Eltsine est alors président, Poutine directeur du FSB, ex-KGB, et premier adjoint du maire de Saint-Pétersbourg Anatoli Sobtchak. La coopérative contrôle une petite banque, AKB Russie, qui récupère des actions détenues par Gazprom, contrôlé par le Kremlin. Selon un rapport (lien en russe) du mouvement indépendant Solidarnost, cité par Russie.net, le principal producteur de gaz naturel de Russie aurait versé 60 milliards de dollars aux actionnaires d'Ozero. AKB prend aussi le contrôle de médias jusque-là indépendants et volontiers critiques envers le pouvoir, la chaîne NTV ou le quotidien Izvestia

L'homme d'affaires russe Iouri Kovaltchouk, surnommé «le roi des médias», est aussi l'actionnaire principal de Bank Rossia et un ancien du cercle Ozero (Ici en octobre 2011). (Reuters / Alexander Zemlianichenko / Pool )

Selon un politologue russe, Stanislas Belkovski, un «deal» s'est joué fin 1999, quand Eltsine et son clan ont choisi pour successeur un terne officier du KGB... «Poutine ne s'attaquerait pas aux biens des oligarques proches d'Eltsine, en échange il pourrait mettre la main sur les secteurs et les entreprises "libres" Poutine et les Pétersbourgeois auraient donc jeté leur dévolu sur le gaz et la distribution du pétrole. Leur prix à l'époque était faible, ils n'intéressaient pas le clan Eltsine. Des informations qui émaneraient de sources appartenant au premier cercle du pouvoir, où «ces données sont très connues». Le nouveau président se serait attribué, «via des hommes de paille et des comptes offshore, la part du lion de ce nouvel empire», expliquait Vincent Jauvert dans l'Obs en 2012. 

Qui forme ce «clan des Pétersbourgeois»?
Ces intimes de Vladimir Poutine, devenus milliardaires pendant son règne, cités par la liste Forbes, contrôlent donc le pétrole, le gaz, les chemins de fer, la construction, les médias… Ils constituent le noyau de l'oligarchie russe et s'appellent Arkadi Rotenberg, en bonne place dans les «Panama Papers» (son fils détient par exemple la moitié de la société perceptrice de la taxe poids lourds Platon, qui met les routiers en colère depuis plusieurs mois); Guennadi Timtchenko, 6e fortune russe, patron de la compagnie de trading pétrolier Gunvor (4e au rang mondial), dont il a vendu toutes les parts juste avant que tombent les sanctions américaines liées au conflit ukrainien, Iouri Kovaltchouk... Ce dernier, actionnaire principal de la Bank Rossia, est considéré comme «le banquier personnel» du président. 
En mars 2016, Arkadi Rotenberg lors d'une réunion portant sur la situation socio-économique de la Crimée. C'est une société appartenant au milliardaire qui été choisie pour construire le pont qui va relier la péninsule à la Russie... (Michael Klimentyev /Sputnik /AFP)

Les frères Rotenberg dans les «Panama Papers»...
D'après les «Panama Papers», c'est un gestionnaire de fonds de Bank Rossia, Vladimir Khotimski, qui met en place les montages financiers avec l'aide d'un cabinet d'avocats suisses, Dietrich, Baumgartner&Partners. Des sociétés sont créées au Panama, dans les îles Vierges britanniques ou à Belize, et administrées par des prête-noms locaux. Les documents décrivent des opérations en sous-main pour les frères Arkadi et Boris Rotenberg et un ami d'enfance du président, Sergueï Rolpouguine. 

Boris Rotenberg, à droite, avec l'un de ses fils, Roman, directeur général de la compagnie Vitawin Nutrition, en 2011. Selon un «index du népotisme» publié par l'hebdomadaire britannique «The Economist», la Russie était, en 2014, 2e derrière Hong Hong. 

	 

 (Valeriy Levitin / RIA Novosti / AFP)

... avec un violoncelliste, Sergueï Roldouguine
Lui n'a «pas des millions», selon ses dires. En 2014, il déclarait modestement au New York Times «un appartement, une voiture et une datcha». Un prête-nom idéal que ce Sergueï Roldouguine, «meilleur ami» de Vladimir Poutine», qui apparaît dans au moins sept sociétés offshore au Panama, dans les îles Vierges britanniques ou à Belize, toutes alimentées et gérées par la banque Rossia.

Le scandale des «Panama Papers» met en lumière un ami d'enfance du président russe, le violoncelliste Sergueï Roldouguine (à gauche, en 2009). 
 (Reuters / Dmitry Astakhov / Sputnik / Kremlin)

C'est par l'intermédiaire de son frère, agent du KGB comme Vladimir, que Sergueï a fait la connaissance du futur président, en 1977. Ensemble, ils font paraît-il les 400 coups. C'est Roldouguine qui, en 1980, présente à son ami l'hôtesse de l'air d'Aeroflot qui deviendra sa femme : Lioudmila. C'est lui qui sera le parrain de la première fille de Poutine, Maria (ici, une photo du baptême illustrant l'article du Monde sur la banque Rossia). Depuis, le violoncelliste aussi a fait du chemin : il est devenu soliste au prestigieux théâtre Mariinski et recteur du conservatoire de Saint-Pétersbourg.

Le mariage de la fille de Poutine a-t-il à voir avec le Panama ?
Et puisqu'on parle des filles de Poutine, le fastueux mariage de sa cadette est-il aussi passé par le Panama ? Le Monde pose la question. Les festivités pourraient avoir financées par les circuits offshore. Elles ont eu lieu en hiver 2013 dans la luxueuse station de ski d'Igora, à une heure de Saint-Pétersbourg, tout près du lac Komsomolskoïé  siège de la coopérative Ozero. Avec ses treize pistes, son spa, sa patinoire, la station ouverte en 2006 est l'un des lieux de villégiature présidentiels préférés. Elle appartient à Ozon LLC, société détenue à 25% par Iouri Kovaltchouk et son fils Boris (et à 75% par une compagnie chypriote au propriétaire inconnu).

En juin 2012, le président finlandais Sauli Niinistö et le président russe disputent un match de hockey amical à Igora.
 (Alexei Nikoski / Ria-Novosti / AFP)

Les «Panama Papers», explique le Monde, «montrent comment plus de 10 millions d’euros de prêts, accordés principalement par Sandalwood, société au nom de Sergueï Roldouguine, atterrissent après quelques détours à Igora. On ne trouve pas trace de remboursement». La noce, d'anthologie (les jeunes mariés arrivent dans un carosse tiré par trois chevaux blancs), a lieu dix-huit mois après le dernier de ces prêts. Le fiancé d'Ekaterina Tikhonova est le fils d'un oligarque ami de son président de père, Nikolaï Chamalov – lui aussi actionnaire de la banque Rossia. Cadeau de mariage pour le gendre du président : des parts de la société pétrolière Sibur, d’une valeur de 2,5 milliards d’euros.

Arranger les affaires des amis, faire des (gros) cadeaux aux proches...
D'autres usages privés des capitaux passés par le Panama ont été pointés par l'enquête de l'ICIJ (Consortium international des journalistes d'investigations). En 2011, 7,6 millions d’euros sont rapatriés en Russie pour le yacht-club du fils de Iouri Kovaltchouk. Une enquête de l'agence Reuters, qualifiée de «croustillante» par le Temps, a aussi révélé une affaire d'appartements de grand luxe achetés par un homme d'affaires proche d'Arkadi Rotenberg pour plusieurs jeunes femmes. Parmi elles, la fille cadette du président, Katerina Tikhonova, mais aussi Alina Kabaeva, dite «l’amante de Poutine», et Alisa Kharcheva, une étudiante qui prend volontiers la pose dans une certaine presse favorable au président russe pour vanter ses mérites. (photos ici, dans un article du britannique du Daily Mail).

... et aussi mettre la main sur des entreprises stratégiques
La «machine à cash» montée au Panama ne sert pas qu'à l'enrichissement personnel des proches du président, mais aussi au contrôle d'industries stratégiques russes. Le Monde cite l'exemple d'un «coup» tenté en 2008, au moment où Poutine cède la présidence à Medvedev : un montage doit donner à Roldouguine, via la société Sonnette, le contrôle indirect du fabricant de camions Kamaz, fleuron du complexe militaro-industriel. Si l'opération avait réussi, Roldouguine en aurait obtenu 8% pour 1,35 million d’euros, alors que «quelques mois plus tard, l’allemand Daimler a acquis 10% du groupe pour… 220 millions d’euros», écrit le quotidien. Roldouguine a aussi des parts dans plusieurs médias russes, dont la télévision REN-TV, et dans la première régie publicitaire russe, Video International. 

Tout un éventail de techniques d'évasion
Pour faire transiter les capitaux (1 milliard d'euros de la Russie vers les Caraïbes entre 2009 et 2011 !), des techniques variées: cessions d'actions fictives (parts de Gazprom, Rosneft ou Sberbank, entreprises publiques russes, vendues et rachetées le lendemain), voire dons (en 2009, Sunbarn, l'une des sept sociétés panaméennes au nom d'un ami d'enfance du président, Sergueï Roldouguine, récupère sans contrepartie des parts qu'elle revend 22 millions l’année suivante), prêts non garantis (dont l'un de 92 millions d'euros, en 2009), activités de «conseil» bidon (Sunbarn touche 40 millions d'euros en 2010, soi-disant pour aider des sociétés-écrans à «investir et faire du commerce en Russie»)... 

Une (pas si) vieille histoire de palais sur la mer Noire 
«Il ne s'agit pas seulement de l'argent de Roldouguine (vidéo en russe) mais de sommes liées au premier personnage de l'Etat», souligne après les révélations des «Panama Papers» Roman Anine, journaliste de la Novaïa Gazeta et l'un des auteurs d'une enquête sur la fortune de Poutine.

Журналист «Новой» пересказал всю суть расследования о многомиллиардном состоянии Путина:https://t.co/SmySymTq2o pic.twitter.com/63qM2m976Q

D'après l'article de Vincent Jauvert dans l'Obs, le Panama n'est pas le seul paradis fiscal prisé par le régime russe : selon les révélations d'un certain Sergueï Kolesnikov en 2010, analysées par deux quotidiens britanniques, le Washington Post et le Financial Times, et un journal indépendant russe, la Novaïa Gazeta, Vladimir Poutine aurait amassé un véritable magot sur une société luxembourgeoise, Lirus, dont il détient 90% (sous forme d'actions au porteur, donc non nominatives). Il aurait ensuite acheté via des prête-noms plus de 20% de la banque Rossia. Et se serait fait construire un palais de 12.000 mètres carrés sur les bords de la mer Noire. Caché dans une forêt protégée, un domaine de 76 hectares avec un casino, un théâtre, deux piscines et 20 bâtiments annexes destinés à 200 domestiques...

Un autre rapport Nemtsov
En 2007, le politologue russe Stanislav Belkovski affirmait déjà que, avec 40 milliards de dollars en actions de compagnies présidées par ses amis pétersbourgeois, 4,5% du géant gazier Gazprom et au moins 50% de Gunvor (la principale société privée d'exportation du pétrole russe, gérée par Guennadi Timchenko, et liée à une compagnie chypriote domiciliée aux îles Vierges), Poutine était l'homme le plus riche d'Europe. 

Boris Nemtsov, qui était un proche d'Eltsine, avait également fait des révélations sur le sujet. Selon un rapport de l'opposant assassiné il y a un an, la cession à bas prix de filiales de Gazprom aux frères Rotenberg ou à Iouri Kovaltchouk représentait un transfert d'actifs de 60 milliards de dollars, explique l'article de Vincent Jauvert sur la fortune cachée de Poutine. Depuis que Poutine est président, les «Pétersbourgeois» auraient détourné près de 200 milliards d'actifs. Toujours selon Boris Nemtsov, «les Timchenko, Kovaltchouk et Rotenberg ne sont que les propriétaires nominaux de leurs holdings, mais le bénéficiaire réel et ultime est Poutine lui-même».

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