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L'Ossétie du Sud veut son rattachement à la Russie, Moscou n'est pas pressé

L'Ossétie du Sud, région du Caucase au statut contesté depuis sa sécession d'avec la Géorgie en 1992, fait un pas de plus vers la Russie en demandant son rattachement. Le 19 octobre 2015, son président, Leonid Tibilov, a annoncé son intention d'organiser un référendum en ce sens. Les autorités russes n'ont pas montré trop d'enthousiasme, et en Russie, les avis sont partagés.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une affiche dans la région de Leningori (Akhalgori), Ossétie du Sud, représentant le président ossète Leonid Tibilov et le président russe Vladimir Poutine, le 6 juin 2015. (REUTERS/Kazbek Basaev )

C'est au cours d'une rencontre avec un conseiller de Vladimir Poutine à Tskhinvali, la capitale, que le président ossète a fait part le 19 octobre 2015 de son intention d'organiser un référendum pour le rattachement à la Russie. «Un choix historique», selon Leonid Tibilov, rendu possible par les «réalités politiques actuelles». Il s'agit, en rejoignant «ce pays frère qu’est la Russie, d'assurer pour les siècles à venir la sécurité et la prospérité de l’Ossétie du Sud et de son peuple». Ce référendum devrait avoir lieu avant les prochaines élections présidentielles de 2017.

Ossétie pro-russe contre Géorgie pro-occidentale
C'est en 1922 qu'a été créé l'oblast (région) autonome d'Ossétie du Sud, territoire de de 3.900 km² inclus dans la République socialiste soviétique de Géorgie  l'Ossétie du Nord (dont elle est séparée par la chaîne du Caucase et ses cols à 2.000 mètres rendant très difficile une administration commune) faisant, elle, partie de la Fédération de Russie. Les Ossètes réclament depuis 1925 l'unification entre les parties nord et sud, et c'est l'un des enjeux du référendum annoncé par Leonid Tibilov.

En 1991, la Géorgie, devenue indépendante à la chute de l'URSS, supprime l'autonomie de l'Ossétie du Sud et y institue le géorgien comme langue officielle, ce qui provoque un premier conflit armé. En 1992, l'Ossétie se déclare indépendante à la suite d'un référendum non reconnu par la communauté internationale.

En 2003, après la révolution des Roses en Géorgie et l'élection du pro-occidental Mikheïl Saakachvili à la présidence, les Ossètes se voient proposer par Medvedev, alors président russe, des passeports russes. En 2006, un référendum pour l'indépendance recueille 99,6% de «oui». En 2008, une attaque géorgienne contre Tskhinvali, la capitale ossète, déclenche une guerre de cinq jours et l'intervention de l'armée russe (Vladimir Poutine a reconnu depuis l'avoir planifiée). Après un accord de paix négocié par la France, la Russie reconnaît l'indépendance de l'Ossétie du Sud, suivie par seulement quatre Etats (le Nicaragua, le Venezuela, les îles Nauru et Tuvalu).

Quelques années après, la population ossète dit se sentir plus en sécurité depuis que le «grand frère russe» est venu à son secours, mais aussi déçue par l'indépendance et lassée par la précarité. Une bonne raison de vouloir ce rattachement ? 

Regain de tension à l'été
Entre les deux communautés, la guerre a laissé des traces. Les Ossètes ne pardonnent pas aux Géorgiens le «génocide» de 2008, et l'ouverture d'une enquête pénale a été demandée. La cohabitation est devenue si conflictuelle que des axes routiers différents ont été développés par les deux communautés afin de s'éviter, et que chacune a son propre réseau de gaz et d'électricité.
Des Ossètes commémorent les disparus durant la guerre entre l'Ossétie du Sud et la Géorgie, en 2008, lors d'une cérémonie à Tskhinvali, en août 2015. (Reuers/Kazbek Basayev)

A l'été 2015, la situation s'est envenimée. Les 4.000 soldats russes présents en Ossétie du Sud (la Russie y a des bases militaires depuis son intervention de 2008, ainsi qu'en Abkhazie, en violation des accords de paix obtenus par Nicolas Sarkozy – ce que la Géorgie dénonce comme une «occupation» de 20% de son territoire) auraient déplacé la frontière osséto-géorgienne de 1,5 kilomètre, mettant sous contrôle russe une partie de l'oléoduc Bakou-Soupsa, qui traverse la Géorgie.

En 2013, le ministère de l'Intérieur géorgien avait dénoncé les manœuvres des gardes-frontières russes, qui plaçaient des barbelés au-delà de la ligne administrative pour rétablir le tracé de la frontière osséto-géorgienne du temps de l'URSS. Le nouveau gouvernement géorgien tentait pourtant de normaliser ses relations avec Moscou… qui de son côté voudrait faire entrer la Géorgie dans son Union économique eurasienne pour contrer le rapprochement de Tbilissi avec l'Otan et l'UE. D'autant que la Géorgie semble déçue par ce rapprochement… 
Manifestation à Tbilissi, la capitale géorgienne, en juillet 2015, contre les tentatives russes de prendre le contrôle de l'oléoduc Bakou-Soupsa en déplaçant la frontière avec l'Ossétie du Sud.

Ossétie, Abkhazie, Transnitrie : les poupées russes
Etre indépendant mais adossé à la Russie, «un scénario tenté par l'Ossétie du Sud, l'Abkhazie, la Transnistrie... qui ont sombré dans le sous-développement et l'économie mafieuse avec ce schéma», rappelait Alban Mikoczy, le correspondant de France Télévisions, pendant le conflit ukrainien. Du côté de Moscou, faire pièce à l'UE et à l'Otan en Géorgie et récupérer les territoires perdus à la chute de l'URSS sont des préoccupations ravivées par les événements ukrainiens, qui rendent stratégiques le pourtour de l'Ukraine et le Caucase russe – par ailleurs confronté à la montée du djihadisme.

Avec ses 250.000 habitants et ses 8.600 km²l'Abkhazie, entre le Caucase et la mer Noire, est une autre portion de la Géorgie inféodée au Kremlin. Comme l'Ossétie du Sud, elle a obtenu de Moscou la reconnaissance de son indépendance après la guerre civile géorgienne (1991-93) : le Conseil d'Etat géorgien administrera la Géorgie, et les indépendantistes l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Un statu-quo confirmé après la deuxième guerre d'Ossétie du Sud, en 2008. L'Abkhazie ne cesse depuis de se rapprocher de Moscou, qui lui verse 5 milliards de roubles (87 millions d'euros) et prend en charge 60% de son budget dans le cadre d'un accord de coopération signé le 24 novembre 2014. La Russie dit ne pas souhaiter son rattachement.

Autre poche pro-russe aux frontières (ouest) de l'Ukraine, la Transnitrie, anciennement moldave, a déclaré son indépendance en 1992. Moscou, intervenu officiellement pour sécuriser le territoire face à l'armée moldave qui voulait le récupérer, y stationne toujours 1.500 soldats. Autre point commun avec l'Ossétie, une parodie de référendum (plus de 97% de «oui» pour l'indépendance – et pour le rattachement à Moscou!) organisé en 2006. Cet Etat fantôme de 4.200 km² aux 500.000 habitants, doté d'un drapeau à faucille et marteau et d'un «rouble de Transnitrie», vit lui aussi sous perfusion russe. Comme en Crimée, la Russie y finance les retraites des fonctionnaires, offre gaz et pétrole à bas prix, fournit une «aide humanitaire» sous forme de produits de première nécessité et distribue des passeports russes.
Transnitrie, Crimée, Abkhazie, Ossétie du Sud, des régions sécessionnistes contrôlées par la Russie. (Google Maps)

La politique du Kremlin dans la région inquiète notamment l'Ukraine voisine : «Si la Russie décide de connecter la Transnistrie avec la Crimée et l’Abkhazie, cela formerait un corridor qui créerait une zone de forte déstabilisation en Europe», a déclaré son ministre des Affaires étrangères en 2014.

Ce qui n'a pas empêché la Russie de poursuivre, en 2015, sa politique «d'alliance et d'intégration» avec l'Ossétie du Sud. Des accords ont été conclus en mars 2015, avec un volet économique (1 milliard de roubles sera versé en 2016, soit 15 millions d'euros), mais aussi une coopération militaire. Ni l'Union européenne ni les Etats-Unis ne reconnaissent ce traité, une «mesure allant à l'encontre des efforts pour renforcer la sécurité et la stabilité de la région». La Géorgie a aussitôt dénoncé une «quasi-annexion».
 
La Russie pas si pressée d'accueillir l'Ossétie
Côté géorgien, les dernières déclarations de Leonid Tibilov ont été reçues le 19 octobre 2015 comme faisant partie de cette politique d'«annexion de territoires géorgiens par la Russie», selon les paroles d'un vice-ministre des Affaires étrangères, Guigui Guiguiadzé.

Pourtant, cette idée de référendum ne semble pas particulièrement enthousiasmer Moscou. Le Kremlin n'a réagi (à peine) que le lendemain aux avances du président ossète : son porte-parole, Dmitri Peskov, s'est contenté de déclarer que «tout le monde sait depuis longtemps que beaucoup en Ossétie du Sud sont en faveur d'une intégration à la Russie». Selon un politologue proche du Kremlin, Alexeï Tchesnakov, «Moscou est satisfait du rythme actuel de l’intégration et il n’est pas nécessaire de lui donner une nouvelle impulsion». Echaudé par les sanctions occidentales qui ont suivi l'annexion de la Crimée et surtout essoré par son coût économique, le Kremlin ne souhaite peut-être pas aller plus loin dans l'immédiat...

Pour Arthur Ataïev, directeur du Département des études caucasiennes de l'Institut russe d'études stratégiques, l'annexion de la Crimée a réactivé les lobbies pro-russes (Ossétie unie, «fiiliale» de Russie unie, en tête), et Leonid Tibilov est obligé d'en tenir compte, d'où l'organisation de ce référendum.  

De nombreux médias et commentateurs russes considèrent en effet que c'est le moment de «lever les ambiguïtés et d'en finir avec le tabou de la réunification des terres perdues après la chute de l'URSS». «Un petit pas a été fait avec la Crimée, il faut amplifier le processus», analyse Ivan Rakhmetov dans Demain la Russie (lien en russe), et «la réunification avec l'Ossétie du Sud sera un atout supplémentaire pour que le Donbass fasse de même». Mikhaïl Alexandrov, du Centre d'études militaires et politiques MGIMO, se félicite lui aussi que l'Ossétie veuille son «printemps criméen». «Ce printemps et l'intervention en Syrie ont suscité une vague de sentiment pro-russe» sur laquelle il faut surfer. Pour lui, «la confrontation avec l'Occident n'a fait que rendre le gouvernement russe plus puissant».

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