Cet article date de plus de neuf ans.

Intervention en Syrie : les Russes ne veulent pas d'un nouvel Afghanistan

Si les journaux et télés pro-Kremlin sont entrés en «guerre de l'information» contre l'Occident après les frappes russes en Syrie, d'autres médias sont plus sceptiques – sans parler de la population, qui n'a pas oublié le bourbier afghan. Les éditorialistes relèvent que l'Ukraine passe ainsi au second plan, et les internautes ne sont pas dupes de la manœuvre. Petite revue de presse et de tweets.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
«La Syrie, un deuxième Afghanistan». C'était l'un des slogans d'une manifestation à Moscou le 6 octobre. Sur la pancarte : «Notre nourriture brûle dans des bûchers (allusion aux destructions de denrées alimentaires du mois d'août), notre argent s'envole en Syrie, mais Poutine remonte à cheval.» (YouTube/Capture d'écran )

«Maman, ne t'inquiète pas, je ne suis pas à Donetsk, je suis à Damas» : c'est un militaire russe qui rassure ainsi sa mère. Cette blague circule depuis quelque temps sur les réseaux sociaux russes, où la présence de troupes russes sur les bases syriennes de Lattaquié et Tartous était connue bien avant le 30 septembre 2015. De nombreux témoignages vidéo et photos, d'abord démentis par Vladimir Poutine puis assumés, en faisaient état.

Des blogueurs enquêtent sur la présence militaire russe en Syrie
Après les premières frappes, la chaîne d'opposition TV Dojd' a donné la parole à un blogueur russe qui enquête sur cette présence russe en Syrie. Sur sa page LiveJournal, un réseau social très populaire en Russie, Rouslan Leviev a compilé des extraits vidéo de combats en Syrie, avec des ordres apparemment prononcés en russe, relatait le Figaro début septembre. Le blogueur est membre de Stopfake, ce site qui répertoriait les décès d'agents du renseignement militaire russe en Ukraine.

La presse russe explique les enjeux pétroliers
Loin du matraquage des médias pro-Kremlin, la presse d'opposition décrypte les enjeux, en particulier pétroliers, du conflit syrien pour la Russie et son intérêt à voir Assad se maintenir au pouvoir : empêcher la construction d'un gazoduc qatari vers la Turquie via la Syrie, qui déséquilibrerait le marché gazier européen, explique Gazeta.ru, citée par Russia beyond the Headlines.

La Novaïa Gazeta, elle, s'intéresse aux pipelines contrôlés par l'Etat islamique et aux façons, bombardement inclus, dont la Russie peut agir pour endiguer le trafic de pétrole qui les finance. Le journal se demande aussi, sur Twitter, «s'il y a un sens pour la Russie à s'immiscer dans un conflit inter-islamique en qualité de chair à canon».

Les citoyens russes peu concernés
D'ailleurs, malgré ce travail pédagogique, une enquête du centre Levada montre que les Russes dans leur majorité s'intéressent peu à la Syrie. Le site de la radio d'opposition Echo de Moscou a posé la question à ses lecteurs : 84% «n'accordent pas une importance particulière à cette guerre». Sur Twitter, son rédacteur en chef, qui se prononce «pour la participation de la Russie à la lutte contre l'Etat islamique», s'étonne que «la majorité des Russes approuvent que les troupes russes participent à des opérations militaires dans le sud-est de l'Ukraine, mais pas en Syrie».

La chaîne TV Dojd' a mené un microtrottoir dans six villes russes. La plupart des personnes interrogées disent être «contre la guerre par principe» ou que «le pays a assez à faire avec ses propres problèmes». Plusieurs, dont quelques jeunes, estiment qu'«il faut tout de même montrer les dents», «montrer sa force» et font valoir la nécessité de «lutter contre le terrorisme». Une femme se souvient de l'Afghanistan, un vieux monsieur de la Tchétchénie...

L'Afghanistan encore présent dans les mémoires
C'est bien le souvenir de ces deux bourbiers interminables (1979-1989 et 1994-96/1999-2000) qui peut finir par coûter à Vladimir Poutine le soutien de sa population – le président russe récoltait toujours 85% d'opinions positives en septembre, selon un sondage du centre Levada. Selon un autre sondage réalisé par le même institut au début du mois d'octobre, 69% des Russes sont opposés à cette intervention militaire. Seulement 14% approuveraient l’engagement de troupes russes au sol.

Le mercredi 7 octobre à Moscou, une manifestation de soutien aux «détenus du 6 mai» de la place Bolotnaïa (des opposants au retour de Vladimir Poutine à la présidence) dénonçait par la même occasion «la Syrie : un deuxième Afghanistan».

L'annexion de la Crimée (le budget de la péninsule est financé à 85% par Moscou) et la guerre en Ukraine coûtent cher à la Russie, les sanctions économiques liées au conflit ont fait chuter le rouble et fini par entamer le pouvoir d'achat... Et il n'y a «aucun bénéfice économique à attendre d'un conflit en Syrie», a averti sur TV Dojd' Sergueï Gouriev, ex-directeur de l'Institut économique de Moscou et prof à Science Po. Même si, selon l'ancien ministre des Finances Alexeï Koudrine, l'intervention en Syrie coûterait moins cher que celle menée dans l'est de Ukraine – «mais quelle intervention dans l'est de l'Ukraine?» font semblant de se demander les internautes.

Le pope Kirill et le mufti Gaïnoutdine en renfort de Vladimir Poutine
La bénédiction du patriarche Kirill, chef de l'Eglise orthodoxe russe et fidèle soutien de Vladimir Poutine, à cette intervention militaire peut-elle peser sur ses ouailles ? Il l'a apportée en ces termes dans un communiqué : «La Russie a pris la décision responsable d’avoir recours à ses forces armées pour protéger le peuple syrien des malheurs causés pas l’arbitraire des terroristes. Pour nous, cette décision permettra d’avancer sur la voie du retour de la paix et de la justice sur cette terre antique.»

Chez les musulmans (environ 12% de la population de Russie), le président du Conseil des muftis Ravil Gaïnoutdine soutient officiellement l'intervention militaire. Officiellement toujours, les Etats d'Asie centrale aussi, mais pour ce qui est du Caucase russe, le JDD rappelle que des milliers (entre 2.500 et 4.000) de combattants de l'opposition à Bachar el-Assad en sont issus. Un spécialiste cité par le journal n'exclut d'ailleurs pas une recrudescence des attentats en Russie, «car Daech exerce une forte influence sur les musulmans russes».

Les internautes pas dupes
Sur Twitter, les réactions sont plutôt désabusées. La «Novosyria» a fait son apparition et les internautes notent qu'elle remplace le projet de «Novorossia» de Vladimir Poutine qui incluait une partie de l'Ukraine.
«Le projet "Novorossia" laisse la place au projet "Novosyria".»

Un recyclage en vue pour les combattants pro-russes d'Ukraine orientale ? «Les volontaires ont fini leur travail à Donestk, direction la Syrie.»





Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.