Cet article date de plus de neuf ans.
Dominique Derda sur les sanctions économiques de la Russie contre Ankara
Dominique Derda, le correspondant de France télévisions à Moscou, revient sur le grave incident entre Russie et Turquie au dessus de la Syrie. Un avion russe a été abattu par l'aviation turque. Si les deux camps refusent l'escalade, chacun montre ses muscles.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Vladimir Poutine peut-il s'en tenir aux représailles économiques brandies à l'encontre de la Turquie ou veut-il aller plus loin?
Vladimir Poutine a bien compris que des représailles militaires contre la Turquie étaient exclues. L'escalade serait dommageable pour les deux camps. Surtout quand on sait que la Turquie est membre de l'OTAN. Cependant le président russe a besoin de montrer à l'opinion qu'il va faire payer les Turcs pour la mort des deux soldats russes.
La réponse se fait donc sur deux fronts. On montre ses muscles en installant des missiles sol-air 400 S qui interdisent, de fait, le survol de toute la zone sous contrôle russe en Syrie sans la bénédiction de la Russie. On fait escorter les bombardiers par des avions de chasse équipés de missiles air-air. Et on prévient qu'on n'hésitera pas à ouvrir le feu à la moindre menace.
Hier une manifestion largement encouragée par le pouvoir a eu lieu devant l'ambassade de Turquie à Moscou. Les slogans «La Turquie complice de l'Etat islamique, Erdogan = EI». Les policiers, bras croisés, on laissé les manifestants lancer des œufs sur la façade et briser les vitres à coups de pierre.
Parallèlement on prend toute une série de mesures de rétorsion économiques. Les services sanitaires, aux ordres du pouvoir, contrôlent dès aujourd'hui 100% des produits turcs importés en Russie et cherchent la petite bête avec un zèle particulier. Les appels au boycott se multiplient. Le ministre russe des affaires étrangères vient de demander à ses concitoyens qui s'y trouvent d'abréger leurs vacances et de quitter la Turquie. Ils sont plus de trois millions chaque année. Les agences de voyage, volontairement ou sous la pression des autorités, annulent les séjours prévus et proposent à leurs clients d'autres destinations. Financièrement la sanction promet d'être lourde pour Ankara.
Quelles relations personnelles les deux hommes entretiennent-ils?
On le sait, les deux hommes ne s'apprécient guère. Surtout ils sont fondamentalement opposés sur la situation en Syrie. Poutine soutiendra jusqu'au bout Bachar el Assad alors qu'Erdogan n'a qu'une obsession: le voir quitter le pouvoir au plus vite. Chacun emploie alors tous les moyens qu'il peut pour parvenir à ses fins. Poutine avec son aviation qui choisit ses cibles en coordination avec l'armée syrienne. Erdogan en ouvrant ses frontières aux opposants de tout poil. Tant qu'ils ne sont pas kurdes.
Quelles conséquences sur la situation régionale ce différend peut-il avoir? La coalition appelée par les Occidentaux peut-elle être remise en question?
La grande coalition unique qu'appellent de leurs voeux Vladimir Poutine, depuis fin septembre, et François Hollande,depuis les attentats de Paris,avait déjà du plomb dans l'aile avant que l'armée de l'air turque n'abatte le Sukhoi 24 russe. Cela n'a fait qu'envenimer les choses. Le soutien inconditionnel de la Russie à Bachar, le fait que la Russie frappe surtout les adversaires du régime syrien, tout cela ne laissait rien présager de bon, ni pour les Américains, ni pour la plupart des membres de la coalition existante. Et si les Occidentaux mais aussi les Saoudiens se méfient de Moscou, ils se méfient autant, si ce n'est plus, de Téhéran. Lors de sa récente visite en Iran, Vladimir Poutine a été reçu par l'ayatollah Khamenei qui, en chœur, ont réaffirmé qu'ils ne laisseraient pas tomber le président syrien.
Il est trop tôt encore pour présager des résultats à moyen terme de la rencontre entre François Hollande et Vladimir Poutine. On sait le président français déterminé à faire avancer les choses. Mais rares sont ceux à Moscou qui croient encore qu'il puisse obtenir plus qu'une coordination militaire a minima, entre la grande coalition internationale et la petite qui réunit la Russie et l'Iran.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.