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Dimitri Mouratov, co-lauréat du prix Nobel de la paix 2021 : "En Russie, aujourd’hui, c’est l’expulsion des intellectuels"

Le directeur de la rédaction de "Novaïa Gazeta" est honoré conjointement avec la journaliste philippine Maria Ressa. Il s'est confié à franceinfo avant de recevoir son prix.

Article rédigé par Sylvain Tronchet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le journaliste Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix 2021, dans les locaux du journal Novaïa gazeta, dont il est le directeur de la rédaction. (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

C'est aujourd'hui à Oslo que le prix Nobel de la paix 2021 sera remis officiellement, vendredi 10 décembre 2021, jour anniversaire de la mort d'Alfred Nobel. C'est une double remise de prix puisque le Nobel de la paix a été décerné conjointement à deux journalistes : la Philippine Maria Ressa et le Russe Dimitri Mouratov. Tous les deux sont connus pour leur engagement en faveur des droits de l'homme et de la liberté d'expression. Dimitri Mouratov, 60 ans, est le directeur de la rédaction de Novaïa Gazeta, le principal journal d'opposition en Russie. Un journal connu pour avoir révélé de nombreux scandales : corruption, dysfonctionnements de la justice, exactions de l'armée. Un engagement que six de ses journalistes ont payé de leur vie, assassinés entre 2000 et 2009, parmi lesquels Anna Politkovskaïa. Dimitiri Mouratov s'est confié à notre correspondant à Moscou, Sylvain Tronchet, avant de recevoir son prix et de prononcer son discours de récipiendaire.

franceinfo : Le nom de Novaïa Gazeta a souvent été évoqué pour le prix Nobel de la Paix. Vous y attendiez-vous cette année ?

Dimitiri Mouratov : Tout ce qui concerne le prix Nobel fait l’objet de rumeurs. Il existe même des bookmakers qui prennent des paris. Tout le monde prétend savoir qui est dans la short list. Et pas une seule fois, au cours des dernières années, une de ces prédictions n'a été confirmée. Je sais néanmoins que nous avons été nominés pour le prix Nobel plus d'une fois. L'agence Reuters, qui est considérée comme proche du comité Nobel, est venue ici et a attendu dans le hall le jour de l’annonce du prix à trois ou quatre reprises. Cette année, Reuters n’est pas venu, alors je me suis dit qu’il pouvait se passer quelque chose !

Pensez-vous que l’attribution de ce prix soit liée à la situation de la presse indépendante en Russie ?

Oui. Ces deux dernières années, les problèmes des médias russes se sont accrus dramatiquement. Plus de 90 personnes physiques, médias et organisations de défense des droits de l'homme ont déjà été déclarés "agents étrangers" [Ce statut, décrété par le gouvernement russe rend pratiquement impossible la poursuite d’activités journalistiques ou militantes à ceux qui en font l’objet en raison des contraintes qu’il impose]. Des ennemis du peuple en somme. En 1922, nous avons eu le "bateau des philosophes", sur lequel 227 personnes ont été expulsées [le régime soviétique a expulsé par bateau des intellectuels et leurs familles]. Parmi eux, il y avait le futur inventeur des hélicoptères Igor Sikorsky, les écrivains Nicolas Berdiaev et Ivan Iline... Aujourd’hui, ce n’est pas le "bateau des philosophes", mais l’"avion des journalistes". C'est l'expulsion des intellectuels du pays.

Savez-vous pourquoi Novaïa Gazeta échappe pour l’instant à cette répression institutionnelle qui a obligé plusieurs médias indépendants à fermer ?

C’est une question qu’on me pose tout le temps. J'ai essayé déjà d'y répondre de différentes manières mais la réalité est que je ne le sais pas. Mais je sais autre chose. Un prix, en général, c’est un aboutissement. En football, par exemple, quand le PSG ou Lyon ont gagné des titres, ils peuvent aller se reposer. Dans notre cas, c'est l'inverse. 

"Nous avons découvert qu'être prix Nobel est une tâche immense."

Dimitri Mouratov

à franceinfo

Le lendemain de l'annonce du comité Nobel, j'ai reçu des dizaines et des dizaines de lettres. Les gens m’envoyaient des décisions de justice, me disaient qu’ils n’avaient pas de logement, pas de fauteuil roulant, pas de médicaments parce qu’ils étaient trop chers... Nous ne pouvons pas ne pas leur répondre. Nous réfléchissons à la manière de le faire le plus efficacement possible.

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