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Crash du vol MH17: pourquoi la Russie s'oppose à un tribunal spécial

A un an du crash du Boeing de la Malaysian Airlines, abattu par un missile au-dessus de l'est de Ukraine, la Malaisie réclame la création d'un tribunal spécial. Mandaté par l'ONU, il serait chargé de juger les responsables du drame. La Russie vient d'opposer son veto lors du vote. Voici pourquoi.
Article rédigé par Celia Mascré
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov à l'ONU. (EDUARDO MUNOZ / REUTERS)


La création d'un tribunal spécial serait «prématuré et contre-productif», avait estimé le 16 juillet le président Vladimir Poutine après un entretien téléphonique avec le Premier ministre néerlandais Mark Rutte. Lors du vote à l'ONU, la Russie a opposé son véto. La Chine, le Venezuela et l'Angola se sont abstenus. Quelles sont les réticences du Kremlin, alors que l'Europe est unanime?

L'Occident et sa «vision biaisée» empêcheraient une réelle justice
Dans l'absolu, la Russie n'est pas contre ce tribunal. Officiellement, le gouvernement dit vouloir que les coupables soient désignés et punis. Ce qui chagrine le Kremlin, c'est la «partialité» d'un tribunal international qui serait dominé par les pays occidentaux «anti-russes». Moscou dénonce un travail d'enquête biaisé, prenant l'exemple de l'ex-Yougoslavie où, selon lui, les Serbes ont été désignés coupables de toutes les exactions tandis que les crimes à leur encontre ont été minimisés. «Ce genre de tribunal, qui condamne des innocents et blanchit des criminels, la Russie n'en n'a pas besoin», a déclaré le directeur de l'Institut de recherche politique, Andreï Markov, dans une interview pour le journal Argument y Fakt. La Russie craint d'être accusée à tort par les Occidentaux avec des «preuves falsifiées ou éludées volontairement».

Sur le site officiel du Kremlin, un communiqué a été publié : «Avant de mettre en place un mécanisme judiciaire et traduire en justice les coupables de ce crime, il faut terminer l'enquête internationale, qui doit être minutieuse et objective, indépendante et impartiale.»
 
Un tribunal «à charge contre la Russie»
La Russie s'étonne de l'idée d'un tribunal spécial. D'abord parce que ça n'a pas été souvent utilisé, sauf peut-être pour le procès de Rafic Hariri. Ensuite, parce que la Russie a en tête des accidents du même type qui eux n'ont pas bénéficié d'un arbitrage international. Par exemple, quand les Etats-Unis avaient descendu un avion de ligne iranien en vol au-dessus du Golfe persique en 1988. Avec 290 morts dont 66 enfants. Il n'y a jamais eu de véritable enquête.

Plus récemment, en 2002, lors l'accident aérien d'Überlingen, en Allemagne, 52 enfants russes ont péri. Là encore, beaucoup de temps a passé avant que l'Allemagne soit reconnue coupable et paye des dommages et intérêts. Dans les deux cas, aucun tribunal international n'a été réclamé, argumente-t-on côté russe.


Justice nationale pour affaire interne
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la politique extérieure de Moscou est basée sur la non-ingérence. C'est pourquoi elle n'apprécie jamais que la justice internationale ou européenne se mêle de ses affaires internes, ni de celles des autres. Le 18 juin 2015, Moscou fustigeait la décision rendue par le tribunal arbitral de La Haye concernant l'affaire Ioukos, et qui l'avait exorté à payer 50,2 milliards de dollars d'amende.

Les arguments pour l'Ukraine, légèrement de mauvaise foi, sont similaires : l'avion s'est écrasé sur le sol ukrainien, l'enquête et le procès doivent se faire en Ukraine. C'est évidemment ignorer que les victimes étaient de nationalités diverses et que la compagnie aérienne était Malaisienne, ce qui du point de vue du droit complique les choses. Le député LDPR (parti libéral-démocrate), Vladimir Jirinovsky, qui ne représente toutefois pas l'opinion du gouvernement vu ses positions souvent extrêmes, a déclaré à la Douma, le Parlement russe: «Il s'agit d'une affaire intérieure ukrainienne, ce sont donc les autorités ukrainiennes qui devraient être chargées de l'enquête, trouver les responsables et les punir. Il  n'y a aucune composante internationale dans cette affaire.»

Les enjeux du vote de l'ONU
Selon l'AFP, la résolution de l'ONU demande que le tribunal soit placé sous le chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, afin d'obliger les pays membres à collaborer avec le tribunal sous peine de sanctions. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, explique lui qu'«il est prématuré de spéculer sur un veto russe. Ce n'est pas pour autant qu'il faut  s'attendre à un changement radical dans la position de Moscou».

L'enquête, menée par des experts des Pays-Bas, devrait révéler ses conclusions définitives en octobre 2015. La Russie, qui a déjà reçu une version provisoire de leur rapport, aurait «beaucoup de choses à dire», selon le vice-président de l'agence fédérale russe de l'aviation, Oleg Stortchevoï.

Le crash a tué 298 personnes, dont 15 membres d'équipage. La plupart des victimes sont des Néerlandais.

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