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Attaque chimique en Syrie: comment contourner un véto russe à l'ONU ?

Pour les USA et leurs alliés, réagir dans le cadre de la loi internationale à une possible attaque chimique en Syrie pose un problème juridique. La Russie, qui a rappelé la nécessité d’obtenir l’aval des Nations Unies, risque de mettre son véto à un projet de résolution à l’ONU. Avançant des préoccupations morales, les Occidentaux rappellent le précédent du Kosovo en 1999.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le président des Etats-Unis, Barack Obama, à l'University of Central Missour à Warrenburg (Missouri) le 24 juin 2013. (Reuters - Kevin Lamarque )

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a mis en garde le 25 août 2013 son homologue américain, John Kerry, contre des «conséquences extrêmement graves d’une possible intervention militaire pour le Proche-Orient et l’Afrique du Nord où des pays comme l’Irak ou la Libye sont toujours déstabilisés».

L’allusion à ces deux pays est tout sauf anodine. En 2003, la Russie s’était fermement opposée à l’intervention en Irak des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne qui n’avaient pas permis de découvrir des armes de destruction massives invoquées par ces deux pays. En Irak, aujourd’hui, «des dizaines de personnes meurent tous les jours dans des attentats sanglants», rappelle Sergueï Ivanov. En Libye, le Kremlin avait laissé les Occidentaux agir en s’abstenant de mettre son véto à une résolution à l’ONU sur une zone d’exclusion aérienne. Mais il avait exprimé sa colère quand le texte onusien avait été utilisé pour justifier la campagne de bombardements franco-britanniques contre le régime de Mouammar Kadhafi. Dans ce pays, constate le ministre russe, le gouvernement local «ne contrôle pas la majorité du territoire».

L’attitude russe vis-à-vis de la Syrie est très différente. Moscou continue de défendre son allié Assad de manière indéfectible en rejetant la responsabilité de la situation sur les rebelles syriens. Elle explique ainsi qu’une intervention de l’OTAN «sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU» serait «une grossière violation du droit international». En clair, elle ne donnera pas cette autorisation et opposera son véto aux Nations Unies, comme elle l’a déjà fait à trois reprises avec la Chine en octobre 2011, en février et en juillet 2012, face à des résolutions occidentales menaçant le gouvernement syrien de sanctions.

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eurosnewsfr, 26-8-2013

Le droit de véto, quésaco ?
D’où vient ce droit de véto ? En 1945, les rédacteurs de la Charte des Nations Unies ont  voulu que cinq pays, en l’occurrence les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale (Etats-Unis ; URSS devenue la Russie en 1991 ; Royaume-Uni ; France) et la Chine «continuent de jouer un rôle de premier plan dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales en raison de la part essentielle qu’ils avaient prise à la création de l’ONU», rappelle le site de l’organisation internationale.

En clair, ces cinq pays «se sont vu accorder le statut privilégié de membre permanent du Conseil de sécurité ainsi qu’un droit de vote particulier connu sous le nom de ‘‘droit de veto’’». Les rédacteurs de la Charte ont en effet décidé qu’il suffit que «l’un des cinq membres permanents parmi les 15 membres du Conseil de sécurité émette un vote négatif pour qu’une résolution ou une décision ne puisse être adoptée».
 
Dans ce contexte, les Etats-Unis et leurs alliés vont devoir trouver des arguments juridiques pour déclencher une attaque en Syrie. Car en matière de droit international, la seule façon légale de déclencher une telle action est d’obtenir l’accord du Conseil de sécurité en se basant sur le chapitre VII de la Charte onusienne. Et plus particulièrement son article 42: le Conseil de sécurité «peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies»

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Le précédent du Kosovo
Apparemment, les chancelleries occidentales phosphorent déjà pour trouver une parade. Un article du New York Times a levé une partie du voile : «la guerre aérienne au Kosovo» en mars 1999 est «vue comme un précédent pour une possible réponse à une attaque chimique de la Syrie» sans mandat de l’ONU, explique le quotidien.

En 1999, l’OTAN avait déclenché des bombardements sur les forces serbes stationnées au Kosovo, accusées d’atrocités envers les civils dans cette province serbe majoritairement peuplée d’Albanais. A l’époque, la Russie, qui soutenait le régime de Slobodan Milosevic, opposait son véto au Conseil de sécurité. Il était donc impossible de parvenir à une résolution autorisant le recours à la force contre la République yougoslave (constituée de la Serbie et du Monténégro).

Pour justifier la campagne de bombardements, les Occidentaux avaient estimé que les violences au Kosovo constituaient une situation d’urgence humanitaire. Leurs opinions étaient marquées par le génocide rwandais de 1994 et celui de Srebrenica en 1995. Les Etats-Unis avaient alors évoqué une action «au nom de l’humanité» en se reposant sur l’OTAN. Estimant qu’il s’agissait d’une «situation unique», la secrétaire d’Etat américaine Madeleine Albright avait défendu l’idée d’une intervention «illégale mais légitime».

De telles considérations morales sont apparues dans la bouche des dirigeants américains à propos des évènements syriens. «Des armes chimiques ont été utilisées en Syrie», «c’est indéniable», a assuré le secrétaire d’Etat John Kerry qui a qualifié d’«indécence morale» l’usage de ces armes. Lesquelles auraient tué plus d’un millier de personnes dans le Ghouta oriental, région qui borde Damas. De son côté, le 22 août 2012, le président Barack Obama avait expliqué : «Nous avons été très clair avec le régime Assad… Qu’il y a, pour nous, une ligne rouge (si) nous commençons à voir des quantités d’armes chimiques déplacées ou utilisées, cela changerait mon équation».  Cette fois, l’«équation» («calculus») a-t-elle changé ?

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