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1er septembre 2004: la prise d'otages de Beslan par un commando tchétchène

Le 1er septembre 2004, un millier de personnes sont prises en otages par un commando tchétchène dans une école de Beslan (Ossétie du Nord). Le 3 septembre, les militaires donnent l'assaut. Il y aura 334 morts dont 186 enfants. Le 13 avril 2017, la Cour européenne des droits de l'Homme met en partie ce bilan sur le compte de la réaction disproportionnée des forces spéciales russes. Rappel des faits
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
«Onze ans après, à Beslan #Беслан, Ossétie du Nord, le 1er septembre reste pour de nombreux enfants le premier et le dernier jour d'école», tweete @ZhuravlevSergey 

	  (Twitter)

2004, l'année de l'escalade du terrorisme lié au conflit tchétchène
En 2004, la Russie de Vladimir Poutine, à la présidence depuis quatre ans, s'est enlisée dans le conflit tchétchène qui dure depuis dix ans (une seconde guerre a repris en 1999 après trois années d'accalmie). Les opérations des forces spéciales, les «Spetsnaz», exacerbent la haine de la population locale. Dans la capitale russe, le climat est tendu. L'année 2004 est celle de l'escalade du terrorisme lié au conflit : quelques jours avant, en août, ont eu lieu deux attaques dans le métro moscovite, dont l'une a fait 10 morts. Six mois auparavant, un attentat à l'explosif en pleine heure de pointe a tué 40 personnes. Deux ans plus tôt, une prise d'otages meurtrière par un commando tchétchène dans un théâtre moscovite, la Doubrovka, a profondément traumatisé le pays. Lequel va vivre une décennie d'attentats jusqu'en 2011, revendiqués ou attribués aux indépendantistes tchétchènes.

Une attaque calculée pour prendre un maximum d'otages
En Russie, la rentrée des classes est un jour de fête. Les élèves sont accompagnés par leurs parents et leur famille – d'où le choix de la date du 1er septembre par les auteurs de l'attentat. A 9h15, une trentaine de «boïéviki» (combattants tchétchènes) dont deux femmes pénètrent dans l'école N°1. Il apparaîtra plus tard qu'elle a été choisie pour ses nombreux effectifs, parmi lesquels beaucoup d'enfants de dirigeants d'Ossétie du Nord. L'attaque aurait été minutieusement préparée et des explosifs dissimulés à l'intérieur de l'école lors de travaux de réfection, ce qu'ont confirmé des rescapés qui ont vu les terroristes sortir des armes de sous le parquet.

Trois jours dans des conditions inhumaines
Le commando retient 1128 enfants, professeurs et parents (la télévision russe minimise d'abord leur nombre et parle de quelque 350 otages) et menace de faire sauter le bâtiment si Vladimir Poutine ne retire pas les troupes russes de Tchétchénie. Pendant trois jours, les otages sont privés de nourriture et d'eau malgré la température étouffante. Les enfants souffrant de la chaleur et de la soif retirent leurs vêtements, boivent leur urine. Ils sont obligés de rester allongés au sol, immobiles, pendant des heures. Une vingtaine de personnes sont exécutées.

L'intervention chaotique des forces spéciales
Le 3 septembre au matin, deux explosions – dont l'origine est contestée – sèment la panique chez les otages, et le commando leur tire dessus. Le toit du gymnase prend feu. Certains réussissent à s'enfuir, comme ce rescapé interviewé par Euronews.


Alors que les négociations ont échoué, les forces de sécurité prennent d’assaut le bâtiment avec chars et lance-flammes, alors que des enfants s'y trouvent encore. «Tout le monde et n'importe qui dirigeait l'opération», déclarera ensuite une source proche du Kremlin. Commandos Spetsnaz du FSB (ex-KGB), troupes d’élites de la police (Omon), militaires... et civils y participent sans coordination. Les pompiers interviennent trop tard, après l'opération, et manquent d'eau.
 
«A 15 heures, après plusieurs heures de combats et dans un chaos total, le gymnase est détruit. Trois cent trente-quatre civils sont morts, dont 186 enfants, la plupart tués par balles ou victimes des explosions, voire brûlés vifs», rappelait Euronews en 2014.

Le bilan lui-même est sujet à caution. Une employée de la morgue de Vladikavkaz, la ville voisine, a dit à l’AFP avoir compté «394 corps». Après la minimisation du nombre d’otages et de terroristes, la pagaille qui entoure l'opération et la sous-évaluation du nombre des victimes alimentent les soupçons de mensonge d'Etat. La télévision russe fait de la rétention d'information, aucun responsable n'est présent sur place...

Des volontaires sortent un garçon blessé de l'école de Beslan après l'assaut des forces de l'ordre contre les preneurs d'otages, le 3 septembre 2004. Cent cinquante-huit enfants ont été conduits à l'hôpital.

 (AFP PHOTO / YURI TUTOV)

Vladimir Poutine a beau exprimer, fait rare, sa compassion – «Toute la Russie souffre, pleure et prie avec vous» – le lendemain de la tuerie au chevet des victimes, la «gestion» du drame par les autorités reste très controversée. Le président est accusé d'«instrumentaliser les attentats pour renforcer son pouvoir», notamment par un ancien colonel du KGB. Au moment du dixième anniversaire de la prise d'otages, toute la lumière n'était pas faite sur les circonstances de cet assaut désastreux.

Commission d'enquête et mensonge d'Etat
Après la tuerie, les familles des victimes ont accusé le gouvernement d'avoir fait passer l'élimination des terroristes avant le sauvetage des enfants. Aux yeux de nombreuses mères, c’est l’Etat qui s’est comporté comme un terroriste en envoyant «des tanks  bombarder l’école avec nos enfants à l’intérieur». En tout, 400 personnes ont porté l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Si le Parlement russe a ouvert une enquête, la commision a conclu en 2006 à la responsabilité des terroristes pro-tchétchènes. Le seul qui a été capturé vivant purge une peine de prison à vie et ne se sent «pas coupable». L'attentat a été revendiqué par le leader indépendantiste tchétchène Chamil Bassaïev – qui a reconnu aussi les attentats du métro de Moscou et sera tué en 2006 dans une opération du FSB.

Mais l'un des membres de cette commission d'enquête, le député russe Evguéni Savéliev, également physicien spécialiste des explosifs, s'en est aussitôt démarqué en publiant un rapport où il conteste la version officielle. Pour lui, les deux explosions qui ont précédé l'assaut ont été provoquées par les forces de l'ordre et non par les terroristes.

En 2007, le journal Novaïa Gazeta a publié les révélations d'Anna Politkovskaïa. La journaliste spécialiste du conflit tchétchène se basait sur un rapport du ministère de l'Intérieur pour affirmer par exemple que la police, en Tchétchénie, était au courant du projet terroriste grâce aux aveux d'un prisonnier, mais a négligé d'en avertir les policiers d'Ossétie du Nord. Le journal pointait aussi un mensonge sur le nombre de terroristes, qui auraient été entre 60 et 70, et non 32.

Les forces spéciales en accusation
Lors de l'audience par la CEDH, en octobre 2014, les avocats des parties civiles ont souligné que les indices et les preuves avaient été «systématiquement détruits» et regretté l’absence de véritables autopsies sur les corps de 116 victimes retrouvées carbonisées dans le gymnase.

La Cour européenne des droits de l'Homme le 13 avril 2017 a jugé coupable la Russie pour avoir violé le «droit à la vie» dans toutes les phases de l’assaut. Le Kremlin a aussitôt réagi, trouvant «inadmissible» cette décision. 

Beslan n'est pas la seule opération de «sauvetage» des forces spéciales à s'être soldée par un carnage. Deux ans auparavant, en 2002 au théâtre de la Doubrovka à Moscou, du gaz paralysant utilisé pendant leur intervention avait causé la mort de 130 spectateurs. La CEDH avait condamné Moscou à payer 1,25 million d'euros aux victimes de l'assaut.

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