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Quand les Britanniques disaient oui à l’Europe (c'était en 1975!)

Les Britanniques ont donc voté le 23 juin 2016, avec 51,9% des voix, en faveur du Brexit. Il y a 41 ans, le 5 juin 1975, les mêmes votaient «oui» à 67,2% sur le maintien de leur pays dans la Communauté européenne.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'Union Jack (le drapeau britannique) flotte à côté du drapeau de l'Union européenne au siège de la Commission à Bruxelles, le 16 février 2016. (REUTERS - Yves Herman)

En 1975, les Britanniques en âge de voter devaient répondre à la question suivante: «Pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester dans la Communauté Européenne (Marché commun)?»

Pour le Premier ministre travailliste de l’époque, Harold Wilson, le résultat est une «décision historique». D’autant plus historique que c’est alors la première fois que la Grande-Bretagne organise un référendum. Dans le même temps, la victoire du «Yes» est sans appel. Même l’Ulster, à 52,1%, s’est prononcée en faveur de l’arrimage du royaume à l’Europe. Alors que toutes les prévisions affirmaient le contraire. «Seules les îles Shetland et l’archipel des Hébrides extérieures ont voté contre la CEE» (Communauté économique européenne), constate le site de la BBC.
 
Depuis cette époque, l’ambiance en (perfide?) Albion a bien changé. Et aujourd’hui, l’europhobie y est à la mode, notamment chez les conservateurs au pouvoir. La Grande-Bretagne reste une île où soufflent notamment les vents venus d’Amérique du Nord…
 
David Cameron (alors chef du Parti conservateur, Premier ministre britannique depuis 2010), s'exprime à Londres devant un portrait de Winston Churchill, le 5 janvier 2009. ( REUTERS - Toby Melville)

Pourtant, on l’a peut-être un peu oublié : c’est un conservateur britannique, l’ancien Premier ministre Winston Churchill, l’un des vainqueurs d’Hitler, qui n’hésitait pas, dès 1946, à employer l’expression «Etats-Unis d’Europe», dans un discours prononcé à Zurich. Un discours qui, à l’époque, fait sensation. «Churchill est en effet le premier, parmi les hommes politiques (d’envergure), à prendre parti dans un débat où (s’opposaient) jusqu’alors quelques activistes de manière assez confidentielle», note le site cvce.eu.

Après plusieurs échecs, en raison notamment du refus du général de Gaulle, la Grande-Bretagne a finalement adhéré à la CEE en janvier 1973, sous l’impulsion du Premier ministre conservateur Edward Heath, un Européen convaincu. Mais en février 1974 se tiennent les élections générales dont le résultat peut remettre en cause l’adhésion. Dans son programme électoral, l’opposition travailliste, divisée sur la question, s’est en effet engagée à organiser un référendum si elle l’emporte.
 
Renégociation
Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement du Labour exige (déjà!) une renégociation des conditions d’adhésion de son pays. «Il veut notamment obtenir le prolongement de mesures préférentielles (…) destinées à permettre l’entrée du sucre et du beurre néo-zélandais en Grande-Bretagne», constate cvce.eu. Il exige aussi l’allègement de la participation financière. Un scenario qui rappelle le fameux «I want my money back» («Je veux qu’on me rende mon argent») de Margaret Thatcher à la fin des années 70 et au début des années 80…
 

A l’issue des négociations, Harold Wilson estime avoir gagné un «nouvel accord» (new deal) après une «longue et difficile» discussion. Il demande donc aux électeurs de voter «oui». Mais la campagne ne s’annonce pas forcément facile. Les sondages semblent montrer que deux tiers de Britanniques souhaitent quitter ce qu’on appelait alors le «Marché commun». Plusieurs ministres, notamment le secrétaire d’Etat à l’Industrie, Tony Benn, et celle à la Santé et aux Affaires sociales, Barbara Castle, prônent ouvertement le «non».

Les clivages entre le «oui» et le «non» ne recouvrent pas les clivages classiques droite-gauche : ils passent à l’intérieur même des principaux partis politiques. Alors qu’Harold Wilson appelle à voter «oui», la gauche travailliste (et les syndicats qui la soutiennent) est vent debout contre le maintien du pays dans les institutions européennes. Au sein du camp conservateur, Margaret Thatcher, élue depuis février 1975 à la tête du parti et future Première ministre-«Dame de fer», prône un «grand oui pour l’Europe». Tandis que l’ancien rival de «Maggie» pour la présidence des Tories, Enoch Powell, auteur en 1968 d’un «discours des rivières de sang» contre l’immigration, est l’un des principaux animateurs de la campagne du «non».
 
Les lignes de fracture se font alors «sur les thèmes de l'indépendance nationale, la bureaucratie bruxelloise ou encore la hausse des impôts supposée ou réelle consécutive à l'adhésion britannique», constate L’Obs. Une situation un tantinet similaire aux campagnes pour les référendums de 1992 et 2005 en France.

Le Premier ministre britannique Harold Wilson (arrivant en visite officielle à l'aéroport de Moscou en 1968) (AFP - Ria Novosti)

«Etrange campagne»
Les opposants font porter à la CEE «les mêmes maux qu’aujourd’hui : perte de souveraineté, hausse des prix, du chômage…», se souvient La Croix. Tandis que les partisans du «oui», notamment les chefs d’entreprise, voient notamment dans le Marché commun l’occasion de faire du Vieux continent «une puissante force de frappe commerciale».

Le camp du «non» est moins bien organisé. Et très hétéroclite, il est très divisé: le travailliste de gauche Tony Benn refuse ainsi d'apparaître sur la même estrade qu'Enoch Powell. De son côté, la presse, dans sa grande majorité soutient le «oui». «Etrange campagne, qui a probablement intéressé une partie du corps électoral, l’a certainement dérouté, mais ne l’a pas mobilisé. Les meetings sont très clairesemés. Peu d’affichettes aux fenêtres, comme l’on en voit pour les législatives», note l’envoyé spécial de La Croix, Paul Meunier, le 3 juin 1975, à deux jours du scrutin.

Le jour du vote, la participation atteint 63,8% des voix. Elle «est presqu’aussi élevée que lors d’une élection générale», note Le Figaro le 6 juin 1975. 17.378.581 millions de Britanniques se sont prononcés pour le «oui». Contre 8.470.073 pour le «non».


Pour autant, depuis ce premier référendum, l’eau a coulé sous les ponts de la Tamise. «La CEE est passée de neuf à 28 membres et est devenue un animal très différent» («a very different beast»), constate le Telegraph. «L’impact de l’UE dans nos vies quotidiennes est plus fort que jamais», poursuit le quotidien conservateur.
 
A en croire Paul Meunier, les électeurs de 1975 semblent avoir voté «par résignation». Ce vote «engage la Grande-Bretagne en Europe. Il nous engage à jouer un rôle actif, constructif et enthousiaste», croyait pourtant pouvoir dire le ministre de l’Intérieur (et président de la Commission européenne de 1977 à 1981), Roy Jenkins, à l’issue du référendum. Reste à savoir ce qu’en pensent les Britanniques de 2016…

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