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Quand les services secrets britanniques espionnaient des personnalités soupçonnées de communisme

Des documents déclassifiés des services secrets britanniques révèlent l'identité de personnalités espionnées durant la Guerre froide.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'auteure britannique Doris Lessing, à Francfort (Allemagne), le 14 octobre 1981. (ROLAND HOLSCHNEIDER / MAXPP)

"Ce sont des membres évidents du Parti communiste", "elle est farouchement opposée au colonialisme" ou "il a un air sournois, et l'apparence d'un demi-juif, avec un long nez"... Ces descriptions rédigées par les services secrets britanniques, le MI5, classées top secret durant des années, ont été rendues publiques vendredi 21 août par les Archives nationales du Royaume-Uni (en anglais).

Près de 102 fichiers détaillent ainsi les noms et l'activité quotidienne des "opposants" au gouvernement britannique durant la Guerre froide, la plupart étant des sympathisants communistes, ainsi que des fascistes, supposés ou non. Epaulés par la branche spéciale de la police de Londres, les agents étaient chargés de retranscrire à la main les conversations téléphoniques de leurs cibles, de lire leurs courriers et de rédiger des rapports réguliers.

Le prix Nobel de littérature Doris Lessing

Le quotidien du prix Nobel de littérature 2007 Doris Lessing, a fait l'objet d'un suivi régulier du MI5 britannique. (THE NATIONAL ARCHIVES)

Dès le début des années 1940, le MI5 s'intéresse fortement à l'activité de Doris Lessing, prix Nobel de littérature en 2007, alors habitante de la Rhodésie du Sud, une ancienne colonie britannique, devenue depuis l'actuel Zimbabwe. Connue pour ses convictions communistes, son engagement contre le racisme et sa farouche opposition au colonialisme, la jeune femme est suivie de très près : ses conversations téléphoniques sont écoutées, son courrier ouvert et le moindre de ses déplacements scruté, indique le Guardian (en anglais).

Lors de son arrivée à Londres en 1949, la romancière continue d'être suivie lorsqu'elle anime en secret avec Gottfried Lessing, son mari, les réunions du Left Book Club, un groupe de réflexion à tendance socialiste. Les mœurs de ses membres sont scrupuleusement observés par les services secrets : "Des couples apparemment non mariés figurent parmi ses visiteurs. Il est possible que cet appartement serve à des pratiques immorales", indique un rapport. Le MI5 finit par relâcher sa surveillance en 1956, lorsque l'écrivaine prend ses distances avec le Parti communiste pour protester contre l'insurrection de Budapest, mais des mémos continuent d'être ajoutés à son dossier jusqu'en 1964.

La photographe britannique Edith Tudor-Hart

Originaire de Vienne, la photographe Edith Tudor-Hart, exposée aujourd'hui à la National Gallery de Londres, est soupçonnée dans les années 1950 d'appartenir à un groupe d'espions britanniques de Cambridge, au service des renseignements soviétiques. Du coup, la photographe est surveillée 24h/24 par le MI5. Son courrier est lu, des mouchards sont posés dans son appartement et ses conversations sont aussi écoutées. L'agence installe même un poste d'observation avec vue sur sa chambre, détaille le Guardian.

Un rapport de police contenu dans le dossier d'Edith Tudor-Hart rendu public le 21 août 2015 par les Archives nationales britanniques. (THE NATIONAL ARCHIVES)

Cet espionnage est tel que la jeune femme tombe vite en dépression et présente plusieurs troubles psychologiques. Les officiers du MI5 n'ont jamais réussi à la prendre en flagrant délit d'espionnage, mais en 1964, grâce aux confessions de quatre membres du réseau de Cambridge, les enquêteurs apprennent qu'Edith Tudor-Hart est bien "la grand-mère" de ce groupuscule. Sûrement avertie de cette trahison, la jeune femme disparaît de la circulation et le MI5 perd sa trace. En juillet 1965, il la retrouve comme antiquaire à Brighton (Royaume-Uni) et décide de la relâcher, ne présentant plus de "menace pour la sécurité nationale".

Le critique de cinéma Cedric Belfrage

Un extrait du dossier de l'espion Cedric Belfrage, révélé le 21 août 2015 par les Archives nationales du Royaume-Uni. (THE NATIONAL ARCHIVES)

Il y a des ennemis dont le MI5 se serait bien passé. Dans les années 1930, Cédric Belfrage est connu pour être l'un des plus talentueux critiques de cinéma et de théâtre britannique. Journaliste pour le Daily et le Sunday Express, l'ancien étudiant de l'université de Cambridge vit à Los Angeles (Etats-Unis) et réalise de nombreuses interviews de stars hollywoodiennes. La décennie suivante, le Britannique travaille même pour la British Security Coordination à New-York, en lien avec le FBI, où il a accès à de nombreuses informations secrètes. Un profil à première vue loin des préoccupations du MI5, explique la BBC (en anglais).

Sans que ses collègues ne se rendent compte, Cedric Belfrage adhère peu à peu aux idées communistes, à partir de 1936, après un voyage en URSS. Un rapport de police rapporte qu'il montre "un léger intérêt pour les affaires de gauche". Par l'intermédiaire de communistes américains, le jeune homme est présenté à l'espion russe Jacob Golos et partage des documents secrets avec l'URSS. Ses activités commencent à susciter l'intérêt du MI6, le bureau du renseignement extérieur du Royaume-Uni, mais aucune preuve contre lui n'est émise. Renvoyé en Angleterre en 1955, Cedric Belfrage est mis sous surveillance intensive par le MI5 sans jamais avoir pu être condamné. Il a toujours clamé qu'il transmettait ses fichiers en échange d'informations soviétiques, et sous ordre britannique.

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