Les camions anti-immigration de Cameron provoquent un tollé
Il est loin le temps où David Cameron qualifiait les sympathisants de l’UK Independence Party, le parti de l’extrême droite britannique, de «racistes refoulés». Aujourd’hui, la coalition au pouvoir multiplie les initiatives pour réduire le nombre d’immigrés au Royaume-Uni, dans l’espoir de séduire la droite de la droite.
Dernière idée en date, venue du ministère de l’Intérieur : des camions, qui sillonnent les quartiers de Londres à forte population étrangère, portant des affiches géantes où l'on peut lire «vous êtes au Royaume-Uni de façon illégale ? Rentrez chez vous (go home, NDLR), ou prenez le risque de vous faire arrêter». Au cas où le message ne serait pas assez clair, le ministère a jugé bon d’accompagner ces mots d’une photo représentant une paire de menottes et d’indiquer le nombre d’arrestations effectuées la semaine précédente dans le quartier.
Rapidement renommés les «racist vans» par les réseaux sociaux, ces camions «publicitaires» ont provoqué un tollé dans le pays. «On a reçu une soixantaine de plaintes, particulièrement au sujet du vocabulaire 'Go Home'. Celui-ci est qualifié d'agressif et d'irresponsable puisqu'il rappelle les slogans utilisés par des groupuscules racistes lors de leurs attaques contre des immigrés, et qu'il peut inciter ou exacerber les tensions interraciales», raconte le porte-parole de l’Autorité de régulation de la publicité britannique, qui a annoncé l’ouverture d’une enquête sur cette campagne.
Certains ont déjà organisé une contre-attaque. L’ONG de défense des droits civiques Liberty a déployé ses propres camions interpellant le ministère de l’Intérieur et l’accusant d’ «attiser les tensions et de diviser illégalement le Royaume-Uni».
Le gouvernement Cameron en guerre contre l’immigration
Si cette opération gouvernementale a révolté les Britanniques, elle s’inscrit pourtant dans la lignée de la politique menée par l’équipe Cameron sur la question de l’immigration.
En mars dernier, le Premier ministre annonçait la mise en place de restrictions aux droits des immigrés en matière d’aide au logement, d’indemnité chômage et d’accès au système de santé. Aux étrangers qu’il appelle les «touristes de la santé», le dirigeant conservateur expliquait : «nous avons un service national gratuit de santé, ce n’est pas un service international». Il exprimait également sa volonté de récupérer auprès des pays de l’Espace économique européen, l’argent dépensé pour soigner leurs ressortissants au Royaume-Uni.
Le ministère de l’Intérieur prévoit aujourd’hui de demander aux immigrés en provenance de «pays à haut risque» de verser une caution de 3.000 livres pour pouvoir entrer au Royaume-Uni. Il s’agit, selon le gouvernement, de prévenir une «prolongation indue du séjour» et de compenser d’éventuels coûts de santé. Par «pays à haut risque», le gouvernement britannique entend l’Inde, le Nigeria, le Kenya, le Pakistan, le Sri Lanka et le Bangladesh.
A la conquête des électeurs de l’UKIP
Le Royaume-Uni accueille un nombre d’immigrés sensiblement égal à celui de la France et inférieur à celui des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la Suisse ou encore de l’Espagne. Pourquoi alors cette obsession gouvernementale sur la question de l’immigration ? La réponse est sans doute à chercher du côté de l’UK Independence Party.
Cette formation politique d’extrême droite séduit de plus en plus les électeurs et elle a obtenu 23% des voix aux dernières élections locales de mai 2013. Nigel Farage, le leader de l’UKIP, a fait de la réduction du nombre d’immigrés son cheval de bataille et David Cameron a jugé rentable de se lancer à son tour sur ce terrain. Le Premier ministre s’est d’ailleurs tellement investi dans la lutte contre l’immigration que l’UKIP lui-même a été amené à condamner les «rafles» gouvernementales visant les étrangers au Royaume-Uni.
Mais à trop vouloir séduire l’électorat de droite, Cameron pourrait avoir à payer les lourdes conséquences économiques de sa politique contre l’immigration.
Pour Jonathan Portes, directeur du National Institute of Economic and Social Research, l’immigration est le principal moteur du baby-boom observé entre 2011 et 2012 au Royaume-Uni. De fait, elle a des retombées positives sur l’économie. «Ceux qui sont nés aujourd'hui ou les immigrants qui s'installent de nos jours vont contribuer au financement des retraites et des services publics dans l'avenir» explique M. Portes. Il a également rappelé que les recherches montraient que les immigrés européens «payent bien plus qu’ils ne coûtent» au pays.
Philip Stephens, écrivain et journaliste au Financial Times, affirme de son côté que la politique anti-immigration peut avoir des répercussions économiques «dévastatrices». «Pourquoi un chef d’entreprise de bon sens, qu’il soit originaire de Chine, d’Inde ou du Brésil, investirait-il dans un pays qui lui refuse l’accès à l’UE et fait savoir à ses compatriotes qu’ils sont indésirables sur son territoire?» remarque M. Stephens.
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