12 Août 1942. Staline et Churchill faisaient la fête au Kremlin
Les deux hommes ont ainsi passé une partie de la nuit du 12 août 1942 à manger et boire, apparemment un peu plus que de raison. Jusque là, Winston Churchill, connu pour son goût pour le whisky, avait des rapports assez frais avec Josef Staline, réputé franc buveur. Il a suffi d’un repas bien arrosé pour dégeler quelque peu la situation…
«J'ai trouvé Staline et Churchill, rejoints par (le ministre soviétique des Affaires étrangères Viatcheslav, NDLR) Molotov, assis autour d'une table couverte de plats de toutes sortes, notamment un cochon de lait, et d’ un nombre incalculable de bouteilles», rapporte Sir Alexander Cadogan, alors sous-secrétaire au Foreign Office (ministère des Affaires étrangères d’Albion), dans une note rendue publique par The National Archives.
L'atmosphère était «joyeuse comme à un mariage», ajoute le diplomate. «Ce que Staline m’a fait boire m’a semblé assez fort. Winston se plaignait d'une légère migraine lorsque je l'ai rejoint à une heure du matin. Sagement, il s'était alors rabattu sur un vin rouge pétillant du Caucase, bien inoffensif comparé» à ce qui avait déjà été ingurgité, poursuit Sir Alexander.
D’une manière générale, les agapes de Staline au Kremlin étaient connues pour les grandes quantités d’alcool que l’on y consommait. Et le maître des lieux préférait négocier avec de grands buveurs…
Lors de cette rencontre arrosée, qui a duré jusqu'à trois heures du matin, les deux hommes d'Etat n'ont pas beaucoup parlé de la situation militaire, alors que la guerre faisait rage sur le front de l’Est. Tout en levant le coude, le dictateur dissertait sur les mérites du régime soviétique.
De son côté, Churchill a plutôt questionné le «petit père des peuples» sur sa politique intérieure. Interrogé sur le sort réservé aux koulaks, les centaines de milliers de paysans aisés éliminés par le régime soviétique, Staline a répondu «avec une grande franchise», ajoute Cadogan dans sa note. «Il a dit qu'on leur avait donné des terres en Sibérie mais qu'ils étaient très impopulaires parmi la population…»
Pour le diplomate britannique, nul doute que cette réunion un peu spéciale fut un «succès». «Il est certain que Winston a été impressionné, et je pense que cela a été réciproque», écrit-il.
Trente toasts d’affilée…
Dans ses mémoires, le général de Gaulle, qui n’eut apparemment pas des rapports aussi chaleureux avec le dictateur, raconte lui aussi des scènes surréalistes lors de leur rencontre en décembre 1944. «Trente fois, Staline se leva pour boire à la santé des Russes présents. L’un après l’autre il les désignait. Molotov, Beria, Boulganine, Vorochilov, Mikoyan, Kaganovitch, etc., commissaires du peuple, eurent les premiers l’apostrophe du maître. Il passa ensuite aux généraux et aux fonctionnaires».
Le chef de la France libre évoque aussi un dîner «d’un luxe inouï» où le dictateur soviétique «mangeait copieusement de tout» et «se servait forces rasades». De Gaulle finit par prendre congé. «Soudain, avisant près de lui Podzerov, l’interprète russe qui avait assisté à tous les entretiens et traduit tous les propos, le maréchal lui dit, l’air sombre, la voix dure : ‘‘Tu en sais trop long, toi ! J’ai bien envie de t’envoyer en Sibérie.’’ Avec les miens, je quittai la pièce. Me retournant sur le seuil, j’aperçus Staline assis, seul, à table. Il s’était remis à manger».
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