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Que fait le Hezbollah en Syrie ?

L'implication des milices chiites libanaises au côté des forces de Bachar Al-Assad n'est pas une allégeance au régime syrien qui a annoncé la mort de 75 d'entre eux jeudi 23 mai.

Article rédigé par Héloïse Leussier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des membres du Hezbollah transportent le cercueil d'un milicien tué lors des combats à Qousseir, en Syrie, le 20 mars 2013, à Beyrouth (Liban). (STR / AFP)

Les combats à Qousseir, en Syrie, lundi 20 mai, ont illustré l'implication du Hezbollah libanais au côté de l'armée de Bachar Al-Assad. La milice chiite libanaise ne cache plus sa présence en Syrie et l’a même intensifiée. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), le Hezbollah a "clairement" mené l'assaut à Qousseir, ville située à une dizaine de kilomètres de la frontière libanaise et longtemps tenue par les rebelles. Il y a perdu quelque 75 combattants, dénombre une source proche du gouvernement syrien jeudi 23 mai. Ces combattants seraient désormais des milliers sur place. Comment expliquer ce soutien ? Plus qu'un régime, c'est aussi ses propres intérêts que l'organisation cherche à défendre.

 La lutte armée est dans son ADN

Le Hezbollah, littéralement "parti de Dieu", est à la fois une formation politique et une milice armée libanaises. Il a été créé en 1982 pour lutter contre l'invasion du Liban par Israël. Contacté par francetv info, Frédéric Encel, professeur de relations internationales à l’ESG Management School et maître de conférences à Sciences-Po Paris, affirme que ses miliciens sont "des combattants fanatisés qui ne pensent qu’en termes militaires". "Ils sont aguerris, ils ont lutté contre Israël en 2006 et se sont entraînés en Iran en 2009 pour réprimer les mouvements de protestation contre l'élection du président Ahmadinejad'", souligne-t-il.

Cette expérience explique les "progrès rapides" que l'armée syrienne a fait, grâce à leur soutien face aux rebelles, observe Thomas Pierret, professeur à l'université d'Edimbourg, spécialiste de la Syrie, joint par francetv info.

Plus que le régime, il protège ses réseaux 

Si le Hezbollah est un soutien du régime syrien, il représente avant tout un allié de l'Iran, pays qui l'a toujours appuyé militairement et financièrement. Et c'est surtout cette relation qu'il veut préserver en s'impliquant en Syrie, corridor entre l'Iran et le Liban. Selon Thomas Pierret, "le Hezbollah cherche à protéger les points stratégiques syriens qui lui permettent d’acheminer des armes venues d’Iran", comme Qousseir. 

Ces intérêts stratégiques expliquent la position d'Israël, qui a mené récemment plusieurs raids aériens en Syrie. Les responsables israéliens affirment avoir visé des stocks d'armes en provenance d'Iran et à destination du Hezbollah libanais. Cependant, contrairement au régime de Bachar Al-Assad, le parti chiite n'est pas dans une logique de reconquête de l'intégralité des territoires aux mains des rebelles : "un mini-Etat syrien, avec un aéroport pour acheminer les armes, lui suffirait", estime le chercheur. 

Il opte pour la voie de l'Iran, allié de Damas

L'implication du Hezbollah en Syrie reflète, par ailleurs, la victoire de la tendance "iranienne" au sein du mouvement, estime Salam Kawakibi, directeur adjoint du centre de recherches Initiative de réforme arabe, interrogé par Le Figaro. Car l'intervention en Syrie n'allait pas de soi. Le Hezbollah est aussi un parti politique, en pleine préparation des élections législatives de juin au Liban, et certains, en son sein, craignaient que la stratégie pro-Assad ait un effet négatif sur l'opinion libanaise. 

Mais selon l'expert américain Matthew Levitt, interrogé par le Council on Foreign Relations (en anglais), le Hezbollah s’est rapproché de l’Iran, ces derniers mois, au point de considérer les leaders religieux iraniens comme ses propres chefs. "A présent, il est prêt à faire des choses qui sont dans l'intérêt de l'Iran, même si elles vont expressément à l'encontre de ses propres intérêts au Liban."

Il prépare la lutte contre les sunnites

En s'impliquant en Syrie, la milice chiite se bat contre les rebelles, mais surtout contre l'ennemi sunnite. Le conflit syrien se répercute au Liban, où les sunnites supportent les rebelles syriens, tandis que chiites et alaouites soutiennent le régime de Damas. La déclaration d'Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, le 9 mai, est en ce sens révélatrice : "Nous ne permettrons pas que la Syrie tombe aux mains des Etats-Unis, d'Israël ou des groupes takfir [fondamentalistes sunnites]", a-t-il affirmé. 

Pour Waddah Charara, professeur de sociologie et essayiste, ces tensions interconfessionnelles expliquent pourquoi le Hezbollah s'est tant impliqué à Qousseir : cela lui permet de fermer la route qui mène vers le nord du Liban où se trouve Tripoli, "bastion de l’opposition sunnite au Liban". "En fermant cette porte, il affaiblit ses principaux adversaires libanais", explique-t-il. Brice Couturier, chroniqueur à France Culture, va plus loin. Selon lui, le Hezbollah "envisage aussi de participer à la 'deuxième phase' de la guerre civile syrienne, celle qui se profile, entre sunnites et chiites, lorsqu’aura eu lieu l’inéluctable liquidation du régime alaouite." Autrement dit, le mouvement prépare le conflit régional qui pourrait succéder à la crise syrienne, et qui s'annonce guère moins sanglant.

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