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Négocier avec la Syrie ou armer les rebelles ?

Le prix Nobel de la paix Kofi Annan est à Damas ce samedi pour négocier un cessez-le-feu. Il joue l'appaisement avec le régime, alors que les rebelles réclament des armes.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'Armée syrienne libre (ASL) réclament des armes alors que Koffi Annan mène une visite à Damas pour tenter de négocier un cessez-le-feu. Sur cette photo, des rebelles à Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie. (BULENT KILIC / AFP)

"Je crois qu'accroître la militarisation ne ferait qu'aggraver la situation." Le ton de Kofi Annan en visite au Caire jeudi 8 mars n'est pas celui de son successeur à la tête de l'ONU, Ban Ki-Moon. Quelques jours plus tôt, le Coréen tempêtait : "Nous voyons des images atroces qui nous parviennent de Syrie. C'est tout à fait inacceptable, intolérable. Comment, en tant qu'être humain, peut-on tolérer une telle situation ?" Et de désigner "le gouvernement syrien [qui] n'a pas assumé sa responsabilité de protéger son peuple".

Ban Ki-Moon avait haussé le ton. Le régime de Bachar Al-Assad avait mis plusieurs jours à autoriser la Croix-Rouge à pénétrer dans Baba Amr. Un quartier "désinfecté", selon le terme utilisé par les médias officiels syriens, par un mois de bombardements.

L'ONU paralysée, l'émissaire spécial de la Ligue arabe et des Nations unies Kofi Annan, en visite à Damas, doit chercher un cessez-le-feu ce samedi 10 mars. Selon la chaîne de télévision d'Etat syrienne, "une ambiance positive règne sur la rencontre entre le président Assad et Kofi Annan". L'homme est estimé. Il a pour lui d'avoir eu des positions critiques sur l'intervention en Libye. Mais sa mission est pratiquement vouée à l'échec. "Même s'il n'y a que 5% de chances de réussite, nous devons essayer", plaide un diplomate occidental. L'ONG International crisis group (ICG) résume : "Ses chances sont minces, mais il représente aujourd'hui le meilleur espoir." C'est dire.

Un conflit qui se militarise

Pourtant, ICG estime que les négociations doivent aboutir "maintenant ou jamais". Bachar Al-Assad jouant la montre en proposant des réformettes tout en menant une répression sanglante, l'Armée syrienne libre (ASL), qui compterait environ 20 000 hommes, notamment des déserteurs, court après les armes et le conflit se militarise.

Des milliers de personnes sont descendus dans la rue en Syrie la semaine dernière à l'appel de l'opposition. Ils ont réclamé que l'ASL puisse recevoir des armes de l'étranger après la chute de Baba Amr et se sont fait tirer dessus.

  (BING)

De son côté, le Conseil national syrien, principale coalition de l'opposition et longtemps opposé à des livraisons d'armes, a créé un "bureau militaire", probablement en Turquie, pour organiser les approvisionnements en matériel militaire. "Nous savons que des pays ont émis le désir d'armer les révolutionnaires. Le CNS, via le bureau militaire, a voulu organiser ce flux pour éviter des livraisons directes d'armes venant de pays particuliers", a déclaré le président du CNS, avant de préciser qu'"il est hors de question que les armes passent en Syrie dans le désordre".

Selon Bagdad, des armes circulent clandestinement de l'Irak, qui en regorge après 30 ans de guerre et la violente insurrection sunnite qui a suivi l'invasion américaine en 2003, vers la Syrie. "Les armes sont transportées de Bagdad à la province de Ninive (nord) et leur prix est en nette augmentation, car elles sont envoyées à l'opposition en Syrie. Ainsi le prix d'une kalachnikov, qui variait entre 100 et 200 dollars, est passé à 1 000 ou 1 500 dollars", a expliqué le ministre adjoint irakien de l'Intérieur, Adnane al-Assadi.

Des pays prêts à armer la rébellion

Certains pays ne cachent pas leur désir de venir en aide aux insurgés militairement. "L'opposition syrienne a le droit de s'armer face à la répression du régime", a ainsi lancé en début de semaine, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud-al-Fayçal. Comme un echo au Premier ministre Qatari Hamed ben Jassem al-Thani qui estimait, fin février : "Nous devrions faire tout ce qui est nécessaire pour aider (les opposants), y compris leur fournir des armes pour qu'ils puissent se défendre".

"Le Qatar et l'Arabie Saoudite ne font qu'officialiser leur soutien" en armes, estime le chercheur Fabrice Balanche, du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient (Gremmo). Pour lui, ces pétromonarchies ne livrent peut-être pas directement des armes mais "a minima, ils financent des rebelles syriens".

Ecoute des militaires sunnites

Pourquoi cet empressement ? Pour fragiliser "l'axe" chiite Damas-Téhéran (et Bagdad), estime le chercheur. Dans une zone fragile et stratégique, l'Iran chiite, soutient l'Alaouite Bachar Al-Assad. Les pétromonarchies sunnites du Golfe, en guerre froide contre l'Iran, comme l'explique Le Figaro, verraient d'un bon oeil la chute de Damas, qui affaiblirait Téhéran.

D'autant qu'en Syrie, si la contestation a une "tendance de fonds sociale", le conflit est "en partie communautaire", affirme le chercheur. Le CNS a admis qu'il y avait une "lutte confessionnelle", les manifestants sunnites (60% de la population) s'opposant aux alaouites au pouvoir, notamment.

Le régime syrien surveille d'ailleurs de plus en plus ses militaires sunnites. Selon Le Figaro, les conversations des officiers sunnites sont "systématiquement écoutées". "Le pouvoir n'envoie pratiquement plus aucun sunnite sur le terrain. Il n'a plus confiance", affirme une source ayant ses entrées dans l'appareil sécuritaire au Figaro.

Washington redoute Al-Qaïda

Les Occidentaux, eux, font profil bas officiellement. Bagdad a affirmé qu'avec les armes, des jihadistes montaient en Syrie. Et selon la Maison Blanche, Al-Qaïda essaye de profiter des violences. Une des raisons pour lesquelles fournir des armes à l'opposition n'est pas à l'ordre du jour, selon Washington. "Il ne faudrait pas qu'il y ait des groupes salafistes qui récupèrent des armes et s'amusent à descendre un avion à Tel-Aviv", explique Fabrice Balanche.

Dans ce contexte, qu'arrivera à tirer Kofi Annan de Damas ? Peut-être une aide humanitaire étroitement encadrée "dans les quartiers détruits ou pillonés", explique le chercheur . Mais "le régime va utiliser la visite de Kofi Annan pour montrer qu'il est crédible, qu'il n'est pas si au ban des nations. Kofi Annan vient pour l'aide humanitaire, ils vont s'en servir pour faire reconnaître que les populations civiles sont victimes des rebelles" en réclamant que les ONG interviennent dans les quartiers alaouites.

Selon lui, le président syrien espère que Kofi Annan "pousse l'opposition à négocier avec le régime, mais pour l'instant, très peu de gens veulent négocier".

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