Frédéric Encel : Alep "est certainement la dernière bataille" en Syrie
Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris, a commenté sur franceinfo la situation en Syrie et notamment sur la bataille d’Alep, "dernière des quatre villes de Syrie qui n'est pas encore totalement revenue aux mains de Bachar al-Assad".
Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris était l’invité de franceinfo lundi 26 septembre. Il est co-auteur de l'ouvrage qui sort cette semaine, "Géopolitique de la nation France" avec Yves Lacoste, aux éditions Presses universitaires de France. Il s’exprimait sur la situation en Syrie et notamment sur la bataille d’Alep.
franceinfo : Au mois d’août, vous disiez qu’Alep faisait face à une bataille de titan. Est-ce que la situation est pire aujourd’hui ?
Frédéric Encel : Oui, absolument pire parce que c'est certainement la dernière bataille. La raison est simple, c'est la dernière des quatre villes de Syrie qui n'est pas encore totalement revenue aux mains de Bachar al-Assad. Et pour les russes, il s'agit même d'effacer l'humiliation d'il y a un mois, lorsque les insurgés avaient réussi à briser le blocus. Cela était d'autant plus humiliant pour Assad et surtout pour la Russie que, si on prend la métaphore de l'échiquier, les islamistes radicaux et les autres groupes d'opposants sont des pions tandis que la Russie et Assad disposent de la reine et des tours, c'est-à-dire de l'artillerie et surtout de l'aviation. C'est la raison pour laquelle je pense que cette bataille va durer jusqu'au bout mais ça sera peut-être la dernière.
La France a comparé Alep à Sarajevo ou Guernica pendant la guerre d'Espagne. Ce sont des termes très forts mais en l'absence de changements rapides sur place, est-ce que cela ne témoigne pas aussi d'une forme d'impuissance ?
C'est exactement cela. Les termes utilisés par la France, c'est réellement, à la fois la force du faible et la faiblesse du fort. C'est-à-dire que la France, seule, ne peut rien faire mais en même temps depuis près de 5 ans, c'est certainement la seule puissance au monde à avoir suivi la seule voie réellement cohérente. C'est-à-dire de ne pas négocier avec Bachar al-Assad, de ne pas le soutenir et en même temps de ne pas hésiter à être indifférent vis à vis de lui pour mieux frapper l'islamisme radical et l'Etat califat de Daech. Evidemment c'est une position très difficile parce qu'on sera toujours accusé dans un camp ou dans l'autre d'être trop tempéré vis-à-vis de l'un ou l'autre. Mais je pense que c'est toujours la seule politique possible. Le problème c'est que nous sommes pratiquement seuls sur cette ligne-là.
On a encore parfois du mal à comprendre, comment une guerre civile qui a fait 300 000 morts, la pire crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale, continue de butter sur des impasses diplomatiques?
Oui, c'est vrai. Pour rester au Proche-Orient, en cinq et demi de guerre civile, de guerre et de répression, il y a eu trois fois plus de tués qu'au cours des 70 années de conflit israélo-arabe et 10 fois plus de réfugiés. Or, sur ce conflit compliqué, il y a eu quelques avancées diplomatiques mais sur la Syrie on a quelque chose de plus compliqué, c'est-à-dire ces trois cercles concentriques. C'est à la fois une guerre civile réellement intra-communautaire au sein de l'Etat syrien ; une crise moyen-orientale, avec en toile de fond cette guerre froide qui se joue entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, donc entre la puissance tutélaire du chiisme et la puissance tutélaire du sunnisme ; et puis ce troisième cercle concentrique, c'est-à-dire le retour à une véritable guerre froide. Regardez les noms d'oiseaux échangés entre les Russes et les Américains, on n'avait pas entendu cela depuis les années 80.
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