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Armes chimiques en Syrie : "On préfère gérer le conflit plutôt que le résoudre"

La communauté internationale a admis que le régime syrien avait probablement utilisé des armes chimiques contre les rebelles, mais les réactions restent mesurées. L'analyse de Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie.

Article rédigé par Clément Martel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Nuage de fumée après un bombardement du régime syrien sur Alep (Syrie), le 13 avril 2013. (GEORGE OURFALIAN / REUTERS)

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont admis jeudi 25 avril, en pesant chaque mot, que le régime syrien avait probablement eu recours à des armes chimiques contre les rebelles. Pourtant, la communauté internationale reste réservée face au franchissement de cette "ligne rouge" tracée par Barack Obama. Spécialiste de la Syrie, l’universitaire Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo), décrypte la situation pour francetv info.

Francetv info : Barack Obama avait prévenu, lors de son voyage en Israël en mars, que l'emploi d'armes chimiques en Syrie "changerait la règle du jeu", parlant de "lignes rouges à ne pas franchir". Visiblement, elles ont été dépassées. Que va-t-il se passer ?  
Fabrice Balanche : Des armes chimiques ont sans doute été utilisées en Syrie, mais en petite quantité, et en 2012. Et à l'heure actuelle, il est difficile de savoir si c'est le régime qui les a employées, ou des éléments incontrôlés. Mais le régime syrien montre qu'il possède ce type d'armes, et qu'il peut les utiliser. C'est un message à l'intention de la communauté internationale, un peu comme si Bachar Al-Assad disait : "Imaginez ce qui va se passer si je tombe et que mes armes chimiques arrivent dans les mains des islamistes..."
 
Les Etats-Unis tentent par dessus tout d'éviter qu'Israël réagisse violemment à la menace, ce qui renforcerait Bachar Al-Assad et risquerait de faire imploser le Proche-Orient. C'est pourquoi le président américain a tenu à rassurer le pays en affirmant que les Etats-Unis feraient tout pour protéger leur allié. Pourtant, les Américains ne veulent pas intervenir en Syrie : ils se retirent d'Irak, et ne veulent pas rester empêtrés dans cette zone du monde.
  
Pourquoi la communauté internationale reste si précautionneuse face à la question des armes chimiques ?
On se souvient tous du précédent sur les "armes de destruction massives", invoqué pour intervenir en Irak, et des mea culpa qui ont suivi parce que leur existence n'avait pas de réalité. Donc aujourd'hui, les administrations mesurent leurs propos.
 
Les puissances occidentales modèrent cette information sur les armes chimiques, car si cela se confirmait, il faudrait amener une résolution devant le Conseil de sécurité des Nations unies pour ensuite donner mandat à un pays ou à une coalition pour intervenir. Mais la Russie ou la Chine mettraient leur veto, ce qui décrédibiliserait les Occidentaux.
 
Les Occidentaux veulent-ils vraiment renverser le régime d'Al-Assad ?
On peut se poser la question. En mars 2011, quand la révolte a commencé, on pensait que le président syrien allait tomber comme Moubarak ou Ben Ali, mais il est resté coriace. A l'heure actuelle, il a encore une armée derrière lui. Et des gens le soutiennent, des gens qui ont pris les armes pour défendre leur quartier plus que le régime. On a une véritable situation de guerre civile en Syrie.
 
Si le régime tombe, les institutions vont disparaître et nul ne sait ce qui va se passer. Le problème, c'est que la Syrie est à côté de la Turquie, proche de l'Europe, et voisine d'Israël. Un départ d'Al-Assad plongerait la Syrie dans le chaos. Or, nul ne veut la voir transformée en un nouvel Afghanistan.
 
Les Occidentaux, et la France en particulier, se sont fortement engagés contre le régime. Et là, ils ne savent plus trop où ils vont. Aujourd'hui, ils préfèrent gérer le conflit plutôt que le résoudre, car ils ne veulent pas intervenir militairement.
 
Un gouvernement de transition ne fonctionnera pas, car au fur et à mesure que la situation pourrit, les dissensions augmentent dans l'opposition. On se dirige vers une partition du pays, qui aboutirait à une recomposition territoriale du Proche-Orient, centrée sur des clivages communautaires. Israël ne devrait pas s'y opposer, car non seulement cela affaiblirait ses voisins, mais en plus la création d'un Etat kurde, d'un Etat alaouite, etc. justifierait, en quelque sorte, l'existence d'un Etat juif à leurs frontières.

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