Qatar : "Ce qui est frappant, c'est la puissance de leur influence", confie le réalisateur d'un documentaire sur le pays
"Le monde en face", l'émission de Mélanie Tavarant diffusée dimanche sur France 5, propose de découvrir le document inédit "Qatar : au pays des mille et une ruses" d'Alfred de Montesquiou.
Cet émirat de la péninsule arabique, vers lequel vont converger des milliards de regards durant la Coupe du monde de football, est le sujet d'un documentaire inédit, réalisé par Alfred de Montesquiou. Un film qui retrace l'évolution particulièrement rapide et lucrative d'un pays de 2,5 millions d'habitants, dont seulement 300 000 natifs Qataris.
Franceinfo : Est-ce qu'il vous a été difficile de réaliser votre documentaire sur le Qatar ?
Alfred de Monstesquiou : C'est ambigu le Qatar. Ils sont suffisamment bien conseillés et introduits en France dans les hautes sphères pour connaître les règles du jeu. Ils ont passé le stade de vous dire 'non' lorsque vous demandez quelque chose, même si cela ne leur plaît pas. Ils ont de nombreux leviers. Notamment ceux pour gérer les accès à certaines personnes.
Pour des raisons très opaques, qui sont liées à leurs propres intrigues de cour et aux rapports de pouvoir au sein de la famille royale, vous avez accès à telle ou telle personne, mais vous ne savez pas pourquoi. La principale difficulté est de trouver une parole libre, car ce n'est pas une démocratie. De plus, c'est un pays très clanique et très petit, tout le monde se connaît. Si vous vous mettez un peu hors des clous, au bout de trois jours, tout le monde est au courant. Vous leur dites "il y a un grave problème des droits de l'homme, il y a un grave problème de mortalité au travail" et ils vous répondent : "Non, pas du tout, c'est une légende. Allez voir notre ministre du Travail, il vous répondra." Vous allez voir le ministre et vous avez droit à une magnifique séance de langue de bois.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué durant le tournage ?
Il y a plusieurs choses évidemment qui m'ont marqué. Cela fait 20 ans que je couvre le monde arabo-musulman et durant ces années, j'ai surtout vu des pays en désintégration : l'Irak, la Libye, le Soudan avec le Darfour, et là, nous sommes face à un pays qui en l'espace de même pas trente ans a une success-story extraordinaire. C'est un pays qui agace, qui a des tas de défauts, mais c'est tout de même une réussite incroyable par rapport à la région. Ce qui m'a frappé, c'est qu'en fait, ils nous tendent un miroir grossissant. Ce pays est une caricature de nous-même. C'est le pays de l'ultra-capitalisme débridé, hors-sol, avec des injustices sociales criantes, des aberrations écologiques inouïes, mais ils sont devenus meilleurs que nous à notre propre jeu. Ils jouent la mondialisation mieux que nous : la toute-puissance de l'argent, la toute-puissance de la communication, la toute-puissance de l'image. Comme ils sont richissimes, ils achètent tout ce qui leur semble séduisant ou utile en Occident.
Mais vraiment, ce qui est frappant, c'est la puissance de leur influence. Notamment en France, chez les politiques et les différents think tank. C'est hallucinant. Autant le grand public a une mauvaise image du Qatar, autant lorsque l'on se trouve dans l'élite financière, politique et diplomatique, ils sont aimés. L'élite ne dit jamais de mal de ce pays, car tout le monde a besoin d'eux. Le ministère de la Défense les adore, car ils leur vendent des rafales, le ministère de l'Industrie car, ils vendent des métros et des trams. Je n'avais jamais vu un tel hiatus. Et pour trouver des experts qui parlent librement en France du Qatar, j'ai ramé ! Même en ce moment, pour la promotion de mon film, c'est compliqué. Les médias privés évitent de parler de l'émirat, car toute la presse sportive, par exemple, a désespérément besoin du PSG. Le Qatar possède 17% du groupe Lagardère qui détient des journaux comme Paris-Match, le Journal du Dimanche, Europe 1.
Mais même lorsque le Qatar n'a pas de liens capitalistes avec un journal ou une télévision, le fait qu'il possède 17% de Volkswagen par exemple suffit à dissuader la critique : vous imaginez le poids comme annonceur de Volkswagen pour un média privé ? Le Qatar a compris comment hacker notre système. Ils ont compris comment se rendre attrayant et comment peser. Ils ont vraiment le sentiment que l'on est à vendre.
Est-ce que la France est le principal pays visé ?
Oui. Ils ont identifié la France comme un maillon faible. Le pays dans lequel le retour sur investissement est le plus rentable. C'est-à-dire un pays qui est tout de même au Conseil de Sécurité de l'ONU et où il est facile d'investir. Ils ont mis 30 milliards d'euros en France. Cet argent est placé pour avoir un retour financier, mais aussi pour avoir un levier géopolitique.
Dans quoi sont placés ces 30 milliards d'euros ?
Ils possèdent de grands hôtels à Paris, ils ont des participations importantes dans Total, dans Veolia, dans Vinci. Ils ont évidemment le PSG, qu'ils ont acheté 100 millions, mais dans lequel ils ont mis 500 millions. Il y a 20 milliards d'argent public qatari en France et 10 milliards d'argent privé.
Le Qatar suscite beaucoup de jalousie de ses voisins…
Oui et justement la question de base de mon film était : pourquoi le Qatar veut absolument briller ? Est-ce que c'est de la vanité ou est-ce qu'il y a un mobile plus profond, plus urgent ? Car c'est cela qui suscite la jalousie de ses voisins. En faisant le film, c'est ce que j'ai cherché à comprendre et j'ai pu constater que la façon de faire du Qatar n'était pas que l'orgueil, il y a un truc plus profond que cela. Cette Coupe du monde de football, par exemple, est totalement existentielle pour l'émirat. Parce que c'est exister sur la scène internationale, c'est se rendre invulnérable. Enfin, c'est se prémunir de ses voisins qui à l'échelle locale n'ont qu'une envie : vous écraser.
Car il faut savoir que le traumatisme des Qataris, c'est l'invasion du Koweït par Saddam Hussein. Et de ce fait, le Qatar s'est dit : on ne peut pas envahir un pays qui est hôte de la Coupe du monde de football. On ne peut pas envahir un pays qui a la plus grosse base américaine de la région, ainsi qu'une énorme base turque. Et maintenant, en plus, il est devenu le premier exportateur de gaz depuis l'embargo sur le gaz russe.
La Coupe du monde de Football a-t-elle vraiment un poids géopolitique ?
Oui, c'est existentiel pour eux. D'une certaine manière, ils ont déjà gagné sur le plan international. Sauf si évidemment, il y a un drame pendant la Coupe du monde comme un attentat ou des émeutes, car il risque d'y avoir de gros problèmes de gestion de flux des spectateurs. Ils ne sont pas au point pour gérer un million de spectateurs, selon des experts. En tout cas, sauf gros "couac", ce petit pays, complètement inconnu au bataillon il y a 20 ans, va attirer l'attention de milliards de personnes. C'est un vrai triomphe géopolitique.
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