Sans attendre la chute de Tripoli, les Occidentaux préparent déjà l'après-Kadhafi
Très présents militairement aux côtés des rebelles avec l'OTAN, ils ont deux soucis en tête: éviter la partition du pays après plus de 40 ans de dictature et assurer que la transition soit réellement démocratique.
Autre souci: la remise en route du secteur pétrolier, certainement scruté avec attention par les pétroliers occidentaux...
De ce point de vue, la progression du titre Total, lundi, à la Bourse de Paris est significatif. Les investisseurs tablent sur un changement rapide de régime en Libye qui permettrait une réouverture des installations pétrolières du pays.
L'ONU convoque un sommet
Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a annoncé lundi qu'il convoquait un sommet cette semaine sur la situation en Libye , en présence des dirigeants de l'Union africaine et de la Ligue arabe ainsi que d'autres organisations régionales.
Le patron de l'ONU a précisé devant la presse que la réunion se déroulerait jeudi ou vendredi à New York et accueillerait aussi les dirigeants de l'Union européenne et de la Conférence islamique.
"Les Nations unies se tiennent prêtes à apporter leur aide dans tous les domaines importants", notamment la sécurité, l'état de droit, la reconstruction économique, la rédaction d'une constitution et l'organisation d'élections, a énuméré Ban Ki-moon.
La France propose une réunion du Groupe de contact
La France, l'un des premiers pays à soutenir l'insurrection libyenne contre le régime du colonel Kadhafi, a proposé d'accueillir dès la semaine prochaine à Paris une réunion du Groupe de contact sur la Libye pour définir un plan d'aide aux nouvelles autorités.
"La France souhaite que la communauté internationale maintenant anticipe et accompagne les nouvelles autorités libyennes. (...) Nous proposons une réunion extraordinaire du Groupe de contact au plus haut niveau dès la semaine prochaine pour fixer ce nouveau plan d'action aux côtés des autorités libyennes", a déclaré lundi Alain Juppé, chef de la diplomatie française, au cours d'une conférence de presse.
Le ministre a souhaité un fort engagement de l'ONU pour préparer l'après-Kadhafi, et appelé la Ligue arabe, l'Union africaine, l'Union européenne et les Etats-Unis à s'associer à ce processus. Mais, a-t-il souligné, "il appartient aux Libyens seuls de choisir (leur) avenir".
"C'est à Paris que nous souhaitons accueillir nos partenaires du Groupe de contact pour cette réunion exceptionnelle qui devrait fixer une sorte de feuille de route pour permettre cette construction de la Libye nouvelle", a affirmé Alain Juppé.
Le président Nicolas Sarkozy s'est s'entretenu lundi avec Mahmoud Jibril, président du Conseil exécutif du Conseil national de transition (CNT) qui représente les insurgés, et l'a invité à Paris mercredi.
Quelle transition politique ?
Le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a appelé lundi, avant l'intervention d'Alain Juppé, l'instance dirigeante de la rébellion libyenne (CNT) à "garantir que la transition se fera dans le calme (...), que le pays reste uni et que l'avenir soit fondé sur la réconciliation et le respect des droits de l'hmme".
Le président américain, Barack Obama, a exprimé un souci similaire en appelant le CNT "à faire preuve de l'autorité nécessaire pour mener le pays vers une transition qui respecte les droits du peuple libyen". De son côté, la chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, a invité les dirigeants des insurgés "à agir avec le sens de la responsabilité en vue de maintenir la paix et la stabilité dans tout le pays".
Les Occidentaux redoutent que la chute du régime autoritaire de Mouammar Kadhafi ne donne lieu à une vendetta entre vainqueurs et vaincus. Ce qui compromettrait d'autant les chances de réconciliation nationale. "De nombreux Libyens nous disent qu'il va y avoir des règlements de compte car on est dans une situation de guerre civile et que le conflit n'a fait qu'exacerber des tensions qui couvaient depuis très longtemps", indique un diplomate européen impliqué de près dans le dossier. Un tel climat de purge pourrait alimenter des forces centrifuges de nature à mettre en danger l'unité d'un pays comptant des dizaines de tribus aux intérêts parfois divergents.
"L'histoire nous montre que lorsque la conquête du pouvoir se fait par les armes plutôt que de manière pacifique, la légitimité militaire entre en contradiction avec la légitimité démocratique", prévient le président de l'Institut de sécurité de l'Union européenne, Alavaro de Vasconcelos. "Pour l'éviter, cela passe par l'intégration" des différentes composantes de la société libyenne dans tout futur gouvernement de transition, y compris "des forces islamistes très conservatrices, proches des Frères musulmans, mais non violentes" qui ont "toute leur place", estime-t-il.
"Le danger est que le CNT, basé à Benghazi, pense qu'il doit "dominer le futur gouvernement de transition", juge l'observateur, en plaidant pour que le pouvoir ne soit pas confisqué par les représentant de la région de Cyrénaïque à l'Est mais intègre les forces d'opposition de la Tripolitaine, à l'Ouest.
Toute la mouvance islamiste en Libye jouera-t-elle le jeu d'une transition démocratique ? "Le plus inquiétant, c'est l'aspect sécuritaire. Il y a tout un tas de gens dans le pays qui n'ont pas intérêt à une stabilisation, à commencer par les salafistes qui ont des connections avec l'AQMI", Al Qaïda au Maghreb islamique, s'inquiète de son côté le diplomate européen cité plus haut.
Si l'OTAN s'est chargée des bombardements en Libye, l'UE, marginalisée durant le conflit, se dit prête à agir pour la suite lorsqu'il s'agira d'aider le pays à bâtir des institutions démocratiques. Selon des diplomates, des missions européennes de formations de forces de sécurité sont envisageables à terme, comme en Irak ou en Afghanistan, de même qu'une force d'observation sur le terrain afin d'éviter des débordements. "La Libye a besoin à présent d'une transition ordonnée et d'un Etat réellement démocratique, la tâche est immense. L'ONU et d'autres doivent aider", a estimé lundi le chef de la diplomatie suédoise, Carl Bildt.
Et l'économie ?
Reste à savoir quelle politique économique mèneront les successeurs de Kadhafi si la fin du pouvoir du "guide" se confirme. "En cas de prise de contrôle de la Libye par les rebelles, ces derniers auront très vite besoin d'argent et vont donc opter pour une réouverture rapide des installations pétrolières", commente, sous couvert d'anonymat, un analyste à la Bourse de Paris. Le pétrole est en effet la principale richesse du pays.
La Libye est le quatrième producteur d'Afrique et possède apparemment les plus importantes réserves du continent. Avant la guerre civile, Tripoli, membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), exportait 1,49 million de barils par jour, en majeure partie (85 %) vers l'Europe, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Mais ses exportations se sont effondrées depuis le début de la révolte le 15 février et sont actuellement quasi-nulles.
La priorité d'un nouveau pouvoir serait donc de très vite rouvrir les vannes pétrolières. Les Occidentaux pourraient jouer là un rôle essentiel.
Environ 2,5 % de la production du groupe pétrolier Total se fait actuellement dans le pays "mais des nouveaux contrats pourraient être rapidement signés par le groupe", observe l'analyste cité ci-dessus..."Au cours de la dernière décennie, le groupe français a découvert plusieurs nouveaux gisements, et dispose de contrats qui le lie potentiellement à la Libye jusqu'en 2032", selon un blog du Monde.
La compagnie étrangère est, de loin, la plus engagée dans le pays est l'italien ENI. Outre Total y sont également engagés l'espagnol Repsol et plusieurs compagnies américaines.
Du temps de Kadhafi, le secteur pétrolier libyen dépendait de la compagnie nationale, la National Oil Corporation (NOC). Mais le secteur était, dans le même temps, largement ouvert aux compagnies étrangères. Objectif: "bénéficier de l'expertise et des capitaux nécessaires afin de maintenir la production nationale", selon le blog cité ci-dessus. En mars, NOC avait menacé les firmes occidentales de faire appel à leurs concurrentes chinoises, indiennes et brésiliennes, si elles ne revenaient pas travailler dans le pays...
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