Cet article date de plus de sept ans.

«L'assassinat de Joumblatt a été la fin d’un possible changement au Liban»

Le documentaire «Kamal Joumblatt, témoin et martyr», qui est en lice pour les trophées francophones du cinéma dont l'édition 2016 se tiendra le 3 décembre au pays des cèdres, est une plongée au coeur de la pensée et l'action d'une figure majeure de la vie politique du Liban, assassinée en 1977. Entretien avec son auteur, le cinéaste libanais Hady Zaccak.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
 Affiche du documentaire «Kamal Joumblatt, témoin et martyr» de Hady Zaccak 

Vous avez signé un documentaire politique. En ce moment, l'actualité libanaise est dominée par la politique. Quel sentiment vous inspire l’élection d’un président après deux ans de vide institutionnel?
J’ai assisté au spectacle des élections présidentielles.Toujours les mêmes noms depuis la guerre civile qui ont tant échoué mais règnent sur le pouvoir grâce au système confessionnel qui ressemble au gangstérisme.

Kamal Joumblatt, le fondateur du Parti socialiste progressiste (PSP), aurait-il pu changer la donne politique au Liban? Quel est son principal héritage politique et que pensent aujourd’hui de lui les Libanais ?
Le principal héritage, ce sont ses innombrables écrits qui permettent d'avoir, à travers lui, une lecture du passé et du présent. C’est ce qu’a essayé de faire le documentaire. Son assassinat a été la fin d’un possible changement. S’il était resté en vie, il aurait dû tuer lui-même ses idéaux comme beaucoup d’autres l’ont fait. Par conséquent, il ne pouvait qu’assumer sa mort. Au final, c’est le confessionnalisme et le fanatisme qui ont triomphé et enfanté une population hantée par la peur de l’autre. Joumblatt était un leader libanais et arabe, mais ses ennemis voulaient qu’il soit uniquement un chef druze. Au regard de ces éléments, on comprend pourquoi les Libanais ont des visions contradictoires du personnage. Mais cela est surtout dû à la guerre civile et à son engagement aux côtés de la résistance palestinienne.

Le cinéaste libanais Hady Zaccak et sa caméra, devant un portrait de Kamal Joumblatt (DR/HZ)

Pourquoi avoir choisi de faire parler Joumblatt outre-tombe? 
Je voulais, autant que possible, faire un autoportrait de Kamal Joumblatt en le laissant s’exprimer et en communiquant avec lui à partir du présent. Il y a eu un long travail de recherche afin de constituer un puzzle, qui répond à la complexité du personnage et lui ressemble, et d'utiliser le «je». Je ne voulais pas faire un film uniquement tourné vers le passé. Je voulais que les idées de Kamal Joumblatt nous permettent de questionner notre réel libanais et arabe.

Le film révèle quelque peu les contradictions de l’homme : apparemment sage du fait de sa pratique spirituelle, mais chef guerrier quand ses convictions politiques sont en jeu. Partagez-vous cet avis? 
C’est un personnage complexe et c’est ce qui m’a attiré quand j'ai lu le livre d’Igor Timofiev (Kamal Joumblatt et le destin tragique du Liban publié aux éditions Albin Michel, 2003). C’est un leader féodal qui crée un parti socialiste, un homme spirituel qui devient chef guerrier, un poète, penseur, écologiste… Ce qui est généralement très rare quand on étudie le profil de nos hommes politiques. La majorité d'entre eux sont des vendeurs de slogans et, bien sûr, des seigneurs de guerre. Je me demandais aussi à travers Joumblatt dans quelle mesure les idéologies et les grands principes peuvent-ils être appliqués quand on passe de la pensée à l’exécution sur le terrain. La guerre rend malheureusement tout le monde coupable, surtout dans un pays où tout finit par sombrer dans le confessionnalisme, voire le tribalisme.





Votre documentaire, vous l'avez rappelé, s'apparente à un autoportrait. L'exercice limite la critique et la possibilité de prendre du recul. C'est un parti pris assumé? 
C’est juste. Il y a, certes, la construction du film qui permet la bascule entre la pensée profonde et l’action sur le terrain. Cependant, je reconnais que cela ne suffit pas pour renforcer la démarche critique. La subjectivité l’emporte à une époque où on ne rêve plus, où il n’y a pas de leader qui peut être à la fois un homme de pensée et un leader d’envergure, prônant par exemple la laïcité et le mariage civil. Nous vivons dans un monde arabe totalement malade, qui ne parle que de religion et qui connaît toutes les régressions possibles tout en se proclamant au service d’Allah : de la pure hypocrisie !

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.