La "guerre propre" d'Israël
Pour éviter l'écueil de la précédente opération israélienne, en 2008, la communication est cette fois particulièrement soignée et s'adapte à son temps.
GAZA - Le cessez-le-feu est entré en vigueur mercredi 21 novembre. Après huit jours durant lesquels Tsahal a intensivement pilonné la bande de Gaza, la vie des Israéliens n'a pas été particulièrement perturbée, semble-t-il. Dans un article, Haaretz (en anglais, sur abonnement) rapporte que malgré les cinq morts israéliens dans l'opération Pilier de défense et malgré les sirènes à l'approche de roquettes palestiniennes, la vie a suivi son cours. Dans la cité balnéaire de Tel-Aviv, le bronzage préoccupait autant que les roquettes, selon le quotidien d'opposition.
Si la guerre a pu sembler indolore côté israélien, c'est que tout a été soigneusement orchestré pour rendre aussi propre que possible l'opération. Vidéos de frappes chirurgicales parfaites, live-tweet (récit en direct via Twitter) irréel de la guerre, soin particulier apporté à prévenir les civils de Gaza. Avec Pilier de défense, les Forces de défense israéliennes renouvellent la "hasbara", le terme hébreu désignant la propagande. Un champ d'action primordial pour s'assurer le soutien des opinions nationale et internationale.
Une propagande remise au goût du jour
L'attention portée à la hasbara n'est pas nouvelle, rappelle Gilles Paris, journaliste au Monde, sur son blog. Elle "fait l'objet depuis longtemps d'un soin particulier de la part des autorités israéliennes qui procèdent généralement par une 'politique de l'offre', la mise à disposition de la presse nationale et internationale d'une kyrielle d'experts militaires, de chercheurs, y compris via des reportages clé en main, dans le but de faire passer les éléments de langage israéliens".
Hier, elle se confinait aux médias traditionnels. Mais, avec le développement de nouvelles technologies, cette propagande investit de nouveaux champs. Obsolète le communiqué aride, éculée la réaction auprès d'une agence de presse, ringard le reportage embarqué. Avec Tsahal, la guerre devient vivante, esthétique et précise comme les calculs fabuleux des ordinateurs.
Sur Twitter, comme nous vous l'expliquions dans un précédent article, des bataillons de "twittos" formés au ministère des Affaires étrangères diffusent des éléments, répondent, argumentent, formant un live-tweet en plusieurs langues des événements. Tous parlent d'une seule voix, répètent les mêmes arguments, loin des réactions éruptives et réalisées avec les moyens du bord des Gazaouis qu'a compilées L'Orient Le Jour. Et l'armée a réponse à tout, argumente sur tout. Par exemple, à plusieurs médias, dont l'AFP, qui évoquent le bombardement d'un immeuble dans lequel se trouvaient des journalistes, Tsahal apporte ses précisions.
.@afpfr Ce bâtiment abritait un QG du renseignement du #Hamas. N'acceptez pas de leur servir de boucliers humains.
— Tsahal-IDF (@Tsahal_IDF) Novembre 20, 2012
Ce flux de messages est nourri par les vidéos de la chaîne Youtube de Tsahal. Images en noir et blanc transmises par des drones, échanges radio, elles ont le même parfum de secret que la vidéo irakienne qui a fait connaître Wikileaks ou qu'un film d'espionnage. Mais celles-ci ne sont pas une fiction et fuitent opportunément, avec le cachet des censeurs, juste avant le journal de 20 heures. L'une d'entre elles montre qu'à la vue de civils, une frappe est opportunément annulée.
Une autre présente le témoignage de la femme d'une victime israélienne d'un tir de roquette. Une troisième explique que l'armée de l'air israélienne fait tout son possible pour prévenir les civils.
Eviter la bavure médiatique
Car c'est là la crainte numéro 1 de l'armée israélienne. Aussi sophistiquée que soit la hasbara, elle reste soumise à la bavure qui trouverait une chambre d'écho suffisante pour retourner l'opinion. En 2009, c'était l'appel à l'aide déchirant et en direct d'un médecin palestinien pacifiste qui venait de perdre ses trois filles et sa nièce. En 2006, durant la deuxième guerre du Liban, un terrible bombardement sur le village de Kafr Qana.
Et la corde reste raide. Tsahal a autorisé les reporters à pénétrer dans la bande de Gaza, contrairement à 2008. Deux journalistes de la chaîne du Hamas ont été tués, soulevant la colère de Reporters sans frontières. D'autres ont bien failli être touchés dans une tour et un hôtel où ils étaient rassemblés. Mais surtout, la mort de douze personnes d'une même famille, dont cinq femmes et quatre enfants, dimanche, a bien failli changer la donne, relevait alors Haaretz (en anglais). Le journal a évoqué le souvenir de 2006, rappelant que "les images montrant les effets du bombardement de Kafr Qana en juillet 2006 ont changé la face de la seconde guerre du Liban et retourné l'opinion publique contre l'opération israélienne".
Pour éviter à tout prix de se retrouver de l'autre côté de la ligne rouge, les forces israéliennes se vantent d'effectuer des frappes plus précises, moins "coûteuses" en vies humaines. Lors de l'opération Plomb durci en 2008, 1 400 Palestiniens avaient été tués en 22 jours. Cette fois, il n'y a pas eu d'offensive terrestre et "seulement" 154 Palestiniens ont perdu la vie en 8 jours.
Mais dans l'une des zones les plus densément peuplées du monde, mener des raids aériens reste un travail délicat. Alors les forces israéliennes n'ont pas hésité à prévenir les civils des bombardements dans des zones précises pour que ces derniers puissent évacuer. Et d'en profiter pour twitter :
Le but du #Hamas est de tuer des civils. Tout le monde devrait le savoir. Alors RT pour qu'ils le sachent. twitter.com/Tsahal_IDF/sta…
— Tsahal-IDF (@Tsahal_IDF) Novembre 20, 2012
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