Jérusalem reconnu capitale d'Israël par les Etats-Unis : "Les Palestiniens ont le sentiment qu'ils ne doivent compter que sur eux-mêmes"
Agnès Levallois, spécialiste du Proche-Orient, n'exclut pas une mobilisation des Palestiniens après la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël. Mais ils leurs faut "le temps de réfléchir, de s'organiser", explique-t-elle.
Les protestations contre la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël se poursuivent. Quatre Palestiniens sont morts dans des heurts ou des raids militaires israéliens ces dernières 24 heures. Invitée de franceinfo samedi 9 décembre, Agnès Levallois, maître de conférences à Sciences Po et spécialiste du Proche-Orient, estime que les Palestiniens sont encore en train de réfléchir à une éventuelle mobilisation, tout comme les pays de la région.
franceinfo : Les Palestiniens les plus radicaux avaient promis vendredi une journée de colère, pourquoi ces appels à l'intifada n'ont pas été suivis ?
Agnès Levallois : Alors ils n'ont pas été suivis pour l'instant parce qu'il me semble qu'il y a une énorme fatigue des Palestiniens, par rapport à la violence qu'ils subissent depuis des années et l'absence totale de processus de négociation. Les Palestiniens ont le sentiment qu'ils ne doivent compter que sur eux-mêmes, qu'ils n'auront pas d'aide de l'extérieur. Il faut donc le temps de réfléchir, de s'organiser, de savoir ce qu'ils ont envie de faire, surtout ce qu'ils peuvent faire. Il existe un débat important au sein des Palestiniens pour savoir s'il faut plutôt mener un mouvement pacifiste, thèse qui, ces derniers temps, avait plutôt la faveur de l'ensemble des Palestiniens. Certains groupes, eux, appellent à des mouvements plus violents et donc nous sommes encore dans cette période de voir comment le rapport de force va évoluer. Est-ce qu'il va y avoir une mobilisation importante pour aider éventuellement les Palestiniens ? Rien n'est définitif aujourd'hui. Même si la violence n'a pas été là hier (vendredi), cela ne veut pas dire qu'il ne se passera rien. Il y a vraiment une volonté de la part des Palestiniens d'étudier au mieux la situation pour apporter la réponse qui soit la moins mauvaise pour eux.
Mahmoud Abbas peut-il sortir affaibli ?
Il est déjà très affaibli. Il l'était déjà avant cette annonce. Là c'est un peu le coup de grâce qui est porté à Mahmoud Abbas, qui a vraiment un problème de légitimité sur la scène palestinienne. Toute la question maintenant va être de savoir si le mouvement de réconciliation inter-palestinienne qui était en cours - la réconciliation entre l'Autorité palestinienne et le Hamas - va pouvoir sortir vainqueur de cette épreuve ou, au contraire, si les points de vue qui sont assez éloignés entre les deux partenaires palestiniens, vont encore s'éloigner. On est vraiment dans un moment très délicat de cette réconciliation indispensable pour les Palestiniens. Mais est-ce que face à cet affront, cette tentative va survivre ?
L'Iran, le Pakistan et d'autres pays musulmans ont appelé à la révolte. Pourquoi ces pays n'ont-ils pas franchi un pas supplémentaire en rappelant, par exemple, leurs ambassadeurs ?
D'abord, beaucoup de ces pays n'ont pas d'ambassadeurs en Israël, car il y a beaucoup de pays arabo-musulmans qui ne reconnaissent pas l'Etat d'Israël. Les deux seuls pays arabes qui ont une représentation diplomatique, c'est l'Egypte et la Jordanie. Il y a une réunion de la Ligue arabe en ce moment et qui va donc aussi permettre de voir comment les différents pays arabes se comportent avant la réunion de l'Organisation de la conférence islamique qui doit se tenir le 13 décembre, en Turquie. Ce qui est très intéressant de voir maintenant, c'est comment la Turquie va réagir. On voit qu'elle se mobilise très fortement et qu'elle entend prendre le lead sur la contestation de cette décision américaine. Ces deux réunions vont être aussi un baromètre de la mobilisation à venir face à ce qui s'est déroulé.
Et leurs ambassadeurs à Washington, aux Etats-Unis ?
Je pense qu'on est encore dans la première phase d'évaluation de la situation, des risques que peuvent prendre ces pays en rappelant leurs ambassadeurs puisque beaucoup des pays concernés ont des liens avec les Etats-Unis. On est vraiment encore dans cette période d'observation. Les réunions dont j'ai parlé vont permettre de définir une politique à partir de laquelle on va voir sûrement des mesures prises.
Comment sortir de cette crise d'influence dans la région, entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite ?
Justement, la question de Jérusalem va aussi être un test de la capacité de l'Arabie saoudite à pouvoir exercer une influence sur la région. Je pense que l'Arabie ne peut pas laisser l'Iran prendre la tête de la contestation sur la question de Jérusalem. En même temps, l'Arabie saoudite est très liée, aujourd'hui, à l'administration Trump puisqu'on avait assisté ces dernières semaines à une tentative de rapprochement entre l'Arabie saoudite et Israël. Aujourd'hui, ça va être très compliqué pour les Saoudiens de maintenir ce début de négociations ou de rapprochement avec Israël, tout en essayant de continuer à faire plaisir aux Américains. Si les Saoudiens font ça, ils risquent de laisser la contestation entre les mains de la Turquie et de l'Iran, ce qui n'est absolument pas supportable pour l'Arabie saoudite. Et c'est sa capacité d'influence sur l'ensemble de la région qui va être observée de très près par les pays de la région et par les observateurs.
Dimanche Emmanuel Macron reçoit à l'Elysée le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. On connaît la position de la France : une solution à deux Etats, est-ce toujours possible ?
Oui, c'est toujours possible s'il y a une véritable volonté politique de continuer dans cette voie-là, le président Macron a rappelé le droit international, bafoué par les Américains avec cette décision. Donc je pense qu'il va réaffirmer cette position. Aujourd'hui, il faut absolument continuer à travailler cette position à deux Etats. Quels vont être les leviers des différents acteurs qui sont encore convaincus de cette nécessité d'arriver à une solution à deux Etats ? Il faut faire en sorte que les Américains et les Israéliens reviennent à cette solution parce que même si, dans les propos, ils continuent à dire qu'ils la défendent, dans les faits, on voit qu'ils ne sont plus du tout dans cette logique. La France peut, à mon avis, essayer de faire quelque chose en essayant d'emporter l'Europe avec elle. Toute seule elle n'a pas la capacité de résister à la politique américaine et israélienne.
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