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Prix Bayeux. Rémy Ourdan : «Notre travail de reporter de guerre reste essentiel»

Chaque année, le prix Bayeux rend hommage aux correspondants de guerre. Remy Ourdan, grand reporter au Monde et documentariste, a couvert durant 25 ans un grand nombre de conflits : Yougoslavie, Rwanda, Sierra Leone, Afghanistan, Irak, Libye… Il nous parle de l’évolution des médias, de ses doutes. Pour Rémy Ourdan, «le métier reste essentiel, ne serait-ce que pour l’histoire».
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Rémy Ourdan, grand reporte au Monde (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Vous avez exercé votre métier de reporter de guerre un peu partout dans le monde. Est-ce plus difficile aujourd’hui?
Il n’y a pas de règles, la Bosnie, la Centrafrique, l'Ukraine ont été des conflits plutôt bien couverts, c’est beaucoup plus difficile de travailler en Syrie. On rencontre des problèmes d’accès à l’information du côté du régime comme du côté rebelle, en raison des kidnappings, sans parler des djihadistes qui tuent les journalistes.

On accède à l’information par les citoyens, mais ce n’est pas pareil qu'avec des professionnels qui peuvent vérifier. En Syrie comme ailleurs, les armées, les milices font leur propagande, ils défendent leur pouvoir, ils essayent de cacher leurs crimes. Notre rôle, c’est de ne pas se faire avoir, de ne pas se laisser manipuler et de donner une information juste. Certains conflits demandent plus de travail que d’autres, mais si on passe suffisamment de temps sur le terrain, si on enquête, si on parle avec les gens, on trouve les clés pour comprendre les réalités les plus complexes. Il faut laisser aux journalistes le temps de travailler.
 
On a l’impression, comme on le voit à Alep depuis 5 ans, que les images et les mots des reporters ne suffisent plus... 
C’est une grande question pour nous. Toutes les informations que l’on transmet au monde, souvent ne changent rien. La plupart du temps cela n’a pas de conséquence politique, le conflit perdure. C’est frustrant, cela peut mettre en colère, mais il faut prendre de la distance, ce que l’on fait reste essentiel. Même si le massacre continue, on le fait aussi pour l’Histoire, pour la mémoire, il est important que cela soit gravé quelque part. Pour alimenter tous ceux qui viendront après. Il y aura d’autres travaux après la guerre, d’historiens, de chercheurs.

Les gens que l’on rencontre, on le fait à un moment incroyable de leur vie. Ils nous confient leur histoire, on ne peut pas les trahir. On ne peut pas les laisser tomber, c’est pour moi le point le plus important. Même si ça n’a aucun effet, je continuerai à y aller.
 
Est-ce que le métier de grand reporter a changé ?
Quand j’ai débuté en Bosnie, le reportage de guerre était dominé par trois pays (USA, GB, France). Aujourd’hui, on a des reporters de toutes les nationalités, de toutes les cultures, qui couvrent presque tous les coins du monde. Cela a permis de diversifier les regards. Le numérique a facilité le travail des photographes et des caméramen, l’Internet nous a permis d’être mieux informés. Mais sur le fond,  le métier ne change pas, il faut toujours aller à la rencontre des gens dans des situations de chaos, enquêter, faire passer des histoires.
 
Chaque année, vous prenez le temps de rencontrer les lycéens à l’occasion du Prix Bayeux des correspondants de guerre, pourquoi? 
Les jeunes sont spontanés et directs, c'est rafraîchissant. Ils lisent peu le journal, mais il faut leur apprendre à aller aux bonnes sources. Le monde de l’information est devenu tellement vaste, objet de tels mensonges, de thèses farfelues ou «complotistes», qu'il faut leur apprendre à trier les sources. Il faut une éducation aux médias, c’est le rôle de l’école, des parents, des journalistes.

Lorsque l’on suit la campagne électorale américaine, on peut être inquiet. Il y a toujours eu des débats houleux, mais on respectait au moins les faits. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Cela pose de vraies questions sur le rôle des journalistes et des médias.

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